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Notre étrangère, de Sarah Bouyain (France/Burkina Faso)
Les déchirures du métissage
critique
rédigé par Emmanuel Sama
publié le 23/04/2011
Emmanuel Sama
Emmanuel Sama
Sarah Bouyain, réalisatrice
Sarah Bouyain, réalisatrice
Dorylia Clamel (Amy), dans Notre étrangère
Dorylia Clamel (Amy), dans Notre étrangère
Seydou Guèye (amoureux) et Assita Ouédraogo (Mariam), photo extraite du film
Seydou Guèye (amoureux) et Assita Ouédraogo (Mariam), photo extraite du film
Dorylia Clamel (Amy), dans Notre étrangère
Dorylia Clamel (Amy), dans Notre étrangère
Assita Ouédraogo (Mariam), dans Notre étrangère
Assita Ouédraogo (Mariam), dans Notre étrangère
Nathalie Richard (Esther), dans Notre étrangère
Nathalie Richard (Esther), dans Notre étrangère
Nadine Kambou Yéri, dans Notre étrangère
Nadine Kambou Yéri, dans Notre étrangère
Blandine Yaméogo (Tante Acita), dans Notre étrangère
Blandine Yaméogo (Tante Acita), dans Notre étrangère
Nadine Kambou Yéri, Blandine Yaméogo et Dorylia Calmel, dans Notre étrangère
Nadine Kambou Yéri, Blandine Yaméogo et Dorylia Calmel, dans Notre étrangère
Tournage de Notre étrangère. Sarah Bouyain avec Nadine Kambou Yéri (t-shirt blanc) Dorylia Calmel (sur le banc, au fond) et Blandine Yaméogo, assise sur le banc.
Tournage de Notre étrangère. Sarah Bouyain avec Nadine Kambou Yéri (t-shirt blanc) Dorylia Calmel (sur le banc, au fond) et Blandine Yaméogo, assise sur le banc.

Notre étrangère, le premier long métrage de la Franco-Burkinabèe Sarah Bouyain se situe comme une suite à ses questionnements sur ses origines de métisse.
Dans un précédent documentaire, "Les enfants du blanc" (2000), elle avait enquêté parfois difficilement dans les orphelinats d'accueil des métis abandonnés par les colons et les militaires à travers l'Afrique occidentale française (AOF).

Cette fois-ci, Sarah Bouyain rentre en elle-même et fictionnalise son espace spéculaire en portant à l'écran les déchirements vécus par une métisse appartenant à deux cultures, naviguant entre deux familles séparées par tant de distances à la fois géographiques et culturelles.
Le tour de force de Sarah Bouyain est d'être parvenue à extérioriser des déchirements intérieurs de trois femmes dépouillées d'amour maternel ou filial vivant difficilement leur solitude.
Ami, une jeune métisse de 25 ans, a été arrachée à l'âge de 8 ans à sa mère africaine (Mariam) pour vivre en France. La mère-devenue la honte de sa famille pour avoir enfanté une métisse - s'expatrie afin de retrouver peut être un jour cette partie de son sang et de son être. Cette femme - devenue ménagère solitaire qui initie Esther, une employée de banque, à parler bambara tout aussi esseulée - traduit fortement le sentiment d'amertume que la réalisatrice voulait exprimer.

Le montage alterné parfois en parallèle des péripéties de la rencontre d'Ami revenue à Bobo-Dioulasso dans l'espoir de retrouver sa mère et de la vie solitaire de cette exilée fuyant ses congénères du foyer africain où elle vit et ne trouvant quelque soupçon de vie que quand elle se retrouve avec Esther.
Sarah Bouyain passe sans cesse d'un lieu en Afrique à l'autre en Europe. Parfois cela crée une rupture brutale comme dans la séquence où Ami entre pour la première fois dans la cour familiale privée de son monde jadis bruyante. à d'autres moments la transition est douce comme si on n'avait pas changé de pays.

Dans un entretien qu'elle nous a donné par internet, Sarah nous dit qu'elle voulait restituer les sensations de l'immigrant, du métis, de l'exilé qui vit entre deux mondesW Son corps physique se trouve ici, ses pensées ses rêves là-bas. La longue silhouette de Mariam semble survoler les lieux qu'elle traverse comme un fantôme.

Quant à Ami, ses traversées de la ville de Bobo-Dioulasso l'édifie du fait qu'elle soit classée comme la Blanche, étrangère. L'impossible dialogue entre Amy et sa tante - seule gardienne du sanctuaire familial et seule détentrice de la vérité sur le lieu d'expatriation de sa mère - est parfois comique mais révèle le tragique que crée souvent la barrière de la langue.
Cependant la réalisatrice a voulu éviter les dialogues informatifs au maximum car pour les auditeurs bambaras l'on s'aperçoit que des sous titrages essentiels manquent dans les moments cruciaux où la tante crache que la mère de Amy est la honte de la famille.
La réalisatrice a été bien inspirée de mettre l'accent sur le jeu des comédiennes. Les plans séquences, en laissant les visages ainsi que les corps exprimer les sentiments, font ressentir les liens entre les personnages.
Le film est certes un regard d'Européenne, mais peut-on lui reprocher sa double culture ?

À travers une direction photo qui peint avec la lumière et un montage maîtrisé, Sarah nous offre un drame psychologique, sans asséner une quelconque vérité sur le métissage ni de réponse définitive sur la classification identitaire.
Nous retiendrons pour conclure quelques propos de Sarah qui nous confie que "tout au long de ma vie je ne cesserai de naviguer et d'osciller dans l'entre deux, je serai toujours une étrangère dans chacun des deux pays. Mais je ne le vis pas mal en définitive. La double culture est aussi une richesse, par l'inconfort qu'elle génère."

Emmanuel Sama
Burkina Faso

Version web de l'article paru le Mercredi 02 mars 2011, sur papier : Bulletin Africiné n°14 - Ouagadougou (Burkina Faso), FESPACO 2011 - n°3, p. 6.
avec le soutien du FESPACO, d'Africalia (Belgique), du Ministère des Affaires étrangères (France), d'Africultures (France).

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