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La Métaphore du Manioc (Lionel Meta, Cameroun), Tabou (Meriem Riveill, Tunisie), Les Sabres (Cédric Ido, Burkina Faso), Tinye So (Daouda Coulibaly, Mali)
La Claque du Fespaco
critique
rédigé par Samir Ardjoum
publié le 09/05/2011

Une fois de plus, le plaisir se (re)trouvait dans la compétition officielle du court-métrage, l'après-midi du mercredi 2 mars étant particulièrement riche en émotions.
D'Algérie ou de Tunisie en passant par le Cameroun, c'est toute une étude de l'absurde et de la frustration qui est mise en scène avec beaucoup d'intelligence.

Kafka a établi ses positions au Cameroun et c'en est succulent. Un chauffeur de taxi emmène une cliente à l'aéroport qui désire se rendre à Denver aux Etats-Unis pour aller rejoindre son mari. Il est difficile de ne pas dévoiler la chute tant ce serait un crime de lèsemajesté.
Quoiqu'il en soit, La Métaphore du Manioc est un bijou filmique qui entraine le spectateur dans une spirale insensée où le rire rejoint les problèmes d'incompréhension dans notre société aseptisée. Le Camerounais Lionel Meta tisse un scénario en béton mâtiné de dialogues succulents.
Réussissant à insuffler l'ironie là où il faut et surtout à la découper
sans plomber le film de saynètes prolixes, Meta crée un chainon manquant en puisant dans le nonsense chère aux Monty Python ou même Seinfeld (Série TV américaine des années 90) et solidifie le tout avec un jeu d'acteur irréprochable.
La perfection n'est pas loin ! Chapeau !

Sélectionné en compétition officielle, Tabou de la réalisatrice tunisienne Meriem Riveill est une minutieuse et sensuelle description de cette frustration qui nous ouvre les yeux. Dès la première séquence, une fenêtre, une jeune et belle femme observant un port s'étirant sur un horizon romanesque (très belle photographie). Sa peau, ses gestes, ce regard qui se perd dans les méandres d'une mémoire qui se ravive, tout est scrupuleusement dessiné par son amant, se trouvant à l'intérieur de la pièce et la regardant de dos. La séquence est belle et annonce d'emblée une idée de cinéma assez séduisante : le temps qui décortique nos frayeurs d'antan. Sans en dévoiler l'intrigue, Tabou réveille une conscience, celle d'un acte violent qui meurtrit le corps. Riveill capte cette souffrance sans tomber dans le graveleux (sublime scène de la douche où la caméra découpe au scalpel le grain de la peau mâte de l'héroïne) et réussit l'exploit de tromper le spectateur ivre de films sur le sujet en l'exposant devant la noirceur absolue. Le plan final, vêtu du noir complet, est illuminé de ces quelques mots qui continuent de résonner dans nos esprits : "Souviens-toi". Ma claque du Fespaco !

Dans Les Sabres, c'est tout bonnement le film de genre qui est convoqué. Agréable nouvelle quand on connait la difficulté de traiter frontalement cette configuration dans les cinémas d'Afrique. Originaire de Stains (France, Seine Saint-Denis), comédien et réalisateur, Cédric Ido ressemblerait à un jeune premier désirant tout avaler sur son passage. Ses classes, il les a surtout faites en bouffant des films à tirelarigot.
Et Les Sabres en est la parfaite retranscription de cet appétit gargantuesque, et c'en est malheureusement son défaut. Les Sabres, belle idée de métaphore ancrée dans un film d'anticipation, introduit une bande de Samouraïs se disputant des lopins de terre. Une maitrise indéniable de l'espace et très peu de fioritures et de grandiloquence au niveau des scènes de combat. Le hic, réside pourtant dans cette aptitude à vouloir calquer sur les Anciens (Akira Kurosawa, Seijun Suzuki, la série des Baby Cart ou bien la Trilogie de la 36e chambre), quitte à y perdre un peu de sa personnalité.
Un film fiévreux mais sans une mise en scène inventive qui aurait démarqué Ido de sa propension cinéphilique. Mais un réalisateur qui ira très loin.

De Tinye So, il est difficile d'en parler tant le brouillon qui ornait le cadre lui a été fatal. Qui ? Le réalisateur Malien, Daouda Coulibaly, qui revendiquait la posture des Ancêtres en alarmant le public, avant les projections, qu'ils étaient oubliés de tous. Belle envolée légèrement réactionnaire et qui se retrouvait parfaitement dans son film.
Entre images léchées, caméra virevoltante et dialogues aussi philosophiques qu'inappropriées, Coulibaly tissait des historiettes incroyablement moralisatrices et s'éloignait de ce fait d'une dynamique artistique.

Un marionnettiste accompagné de son fils, essuie humiliation et absurdité sur la route qui les mène à un spectacle d'enfants. Garagouz de l'Algérien Abdenour Zahzah étonne d'emblée par ce plan d'ouverture où le réalisateur et critique de cinéma réussit à installer une durée qui ne peut qu'intriguer. Un cadre, une maison et l'aube des damnés qui refait surface. Un homme d'un âge moyen appelle son fils à le rejoindre dans sa camionnette. Celui-ci obéit.
Toute cette mise en scène qui fleurit la modernité ne peut que forcer le spectateur à hisser sa curiosité à travers un chemin sinueux. Car et nous le découvrirons tardivement, le cinéma de Zahzah est un monde où la fantaisie est mitraillée par les paroles délicates des âmes égarées. Garagouz traine inlassablement son ombre d'oeuvre intelligente qui façonne le regard du spectateur sans toutefois le manipuler. Cette radicalité présente souvent un aspect positif car le public doit faire des concessions pour pénétrer en terrain inconnu. Malheureusement, Zahzah ne poursuit pas dans cette quête expérimentale et souligne ses intentions par un trop plein d'émotion caractérisée par des tâches artificielles (musicalité excessive, redondance des faits narratifs). Mais, il ne faut en aucun cas s'attarder sur cette légère déception et voir impérativement ce film qui offre au réalisateur d'autres possibilités que nous suivrons avec impatience.

Samir Ardjoum
Algérie

Version de l'article paru sur papier le Vendredi 04 mars 2011, Bulletin Africiné n°16 - Ouagadougou (Burkina Faso), FESPACO 2011 - n°5, pp. 1 & 3.
Ce bulletin est publié par la Fédération Africaine de la Critique
Cinématographique (FACC) avec cette année le soutien du FESPACO, du ministère français des Affaires étrangères et d'Africalia.
Il est rédigé par des membres de la FACC présents au Fespaco 2011, venant de 9 pays d'Afrique.

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