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Un homme qui crie, de Mahamat-Saleh Haroun
Être père, c'est être responsable
critique
rédigé par Sid-Lamine Salouka
publié le 09/05/2011

Dans Abouna, un père - vaincu par le chômage de longue durée - part en exil, laissant deux enfants traumatisés. Ils attendent qu'il vienne arbitrer leur match de foot ou qu'il leur lise Le Petit prince de Saint-Exupéry. Dans Darrat, un fils se lie avec l'assassin de son père dans l'espoir de venger celui-ci-ci mais finit par trouver en celui qu'il a haï un père de substitution. Dans Un Homme qui crie, un père - qui trahit son fils - part à la recherche de ce dernier.

Le film est l'histoire d'une complicité entre un père et son fils qui s'effrite. Adam, ex-champion de natation, est le maître-nageur d'un grand hôtel où il exerce son métier avec passion, secondé par son fils, Abdel. Mais, à la faveur d'une réforme entreprise par la direction de l'hôtel, le père est évincé au profit du fils. Alors que la guerre civile s'approche de N'Djamena menacée par les rebelles, Abdel est enrôlé dans l'armée dans une scène pathétique digne d'une tragédie grecque. À travers Adam qui observe par une fenêtre, l'écran semble s'étirer en une marine où on a la mère à gauche qui supplie qu'on lui laisse son fils et Abdel, à droite, qui est enlevé brutalement par des soldats.
Les barreaux de la fenêtre sculptent cette séparation de la famille en ses trois entités devenues inconciliables.

Mais c'est le rôle du père qui est visé. Si dans Darrat, c'est la mort qui crée la séparation du père et du fils, dans Abouna et Un homme qui crie, elle résulte de la lâcheté du père. Tenaillé par le remords, Adam, qui a abandonné son fils comme le petit prince sa rose, remonte à contre-courant le fleuve des événements et va chercher Abdel audelà de la ligne de front alors que la débâcle des troupes loyalistes jette les
Tchadiens dans une fuite vers le Cameroun.
Ce courage physique en dernier ressort le réinstalle dans sa responsabilité de père et lui donne une figure plus humaine. Sa quête est rendue encore plus urgente par l'arrivée de Mariam (Djénéba Koné), copine d'Abdel qui est enceinte. Adam - qui avait refusé de passer la main à son fils alors que le poids de l'âge sur lui est patent - est le symbole d'une Afrique où les adultes refusent de construire un avenir possible pour leurs descendants. On pourrait comparer cette démission au bradage du patrimoine national à l'étranger : Adam entraînant des enfants d'expatriés à la piscine n'est qu'un larbin surveillant les enfants des autres alors qu'il a abandonné le sien !

Un homme qui crie est un film poignant, davantage par ce qui est tu que par ce qui est filmé qui, au contraire, comporte une certaine poésie. Le jeu sobre de Youssouf Djaoro renforce davantage la présence de cet acteur qui vit intensément son rôle : il pleurait à la fin de la projection (dans la salle Burkina, jeudi 03 mars 2011) !
Mais il s'agit pas seulement d'une histoire sur la filiation, il y a aussi une guerre civile : l'image de fosses communes où on enterre des soldats nous ramène à la réalité historique. Aussi, Haroun n'éprouve-t-il pas le besoin de recourir à des effets spéciaux et à des scènes de combat : une colonne de camions des Nations-Unies qui passe est parlante en soi. Le bruit des avions et des hélicoptères de combat installent déjà le spectateur dans une ambiance de bombardements à venir.

En filmant avec respect la douleur des plus humbles, Mahamat-Saleh Haroun donne à cette tragédie une portée universelle. Il invite l'humanité tout entière à se pencher sur la souffrance des pauvres par l'usage d'une partie de ce vers du poète martiniquais Aimé Césaire : "car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse !"

Sid-Lamine SALOUKA, Burkina Faso
Christelle Ndaya MBAYA, Sénégal/ R.D.C

Version de l'article paru sur papier le Samedi 05 mars 2011, Bulletin Africiné n°17 - Ouagadougou (Burkina Faso), FESPACO 2011 - n°6, pp. 1 & 8.
Ce bulletin est publié par la Fédération Africaine de la Critique
Cinématographique (FACC) avec cette année le soutien du FESPACO, du ministère français des Affaires étrangères et d'Africalia.
Il est rédigé par des membres de la FACC présents au Fespaco 2011, venant de 9 pays d'Afrique.

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