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Mohamed-Lakhdar Tati
Un réalisateur cartographe
critique
rédigé par Samir Ardjoum
publié le 13/05/2011
Mohamed-Lakhdar Tati
Mohamed-Lakhdar Tati
Comment recadrer un hors-la-loi en tirant sur un fil
Comment recadrer un hors-la-loi en tirant sur un fil
Samir Ardjoum
Samir Ardjoum

Essai cinématographique épuré où le moindre mot sonnerait comme une tempête de sable, Dans le silence, je sens rouler la Terre traverse un pan obscur de la colonisation française en Algérie, celui des révolutionnaires antifranquistes.

Mais qui est Tati ? D'abord un poème. Série de vers qui se réapproprie un passé trop lointain pour en garder des bribes. Ces quelques mots dévalent sur une pente vertigineuse où les pierres roulent sur une musique lancinante. C'est l'une des premières séquences du film et elle affiche d'emblée la caractéristique première du cinéma de Tati.
Algérien de naissance, résidant en France et co-fondateur de l'association algérienne de cinéma, A nous les Ecrans, Tati n'en est pas à sa première incursion dans la réalisation. N'appartenant actuellement à aucun groupe, il a toujours su promener sa carcasse nonchalante en grappillant des informations ici et là.

Parfait autodidacte de la culture, Tati surprenait déjà au début des années 2000 avec le court métrage, Aveu, où il saisissait à sa manière le silence plombant de l'ombre totalitariste. Quelques années plus tard, il sera toujours question de lumières tamisées avec son premier documentaire, Joue à l'ombre.
Documentaire expérimental sur la ville d'Alger, Tati y filme la vie, les bruits et fureurs d'un quotidien lumineux et arrive à en capter pleinement le désir des jeunes filles en fleurs (belles séquences de regards croisés), la tristesse des séducteurs amateurs, les regards fuyants des pères solitaires et la bonhommie des mères courages.

Tati est constamment en colère, mais ne le montre jamais, préférant l'apaiser de peur d'être dans le discours politique.
En véritable cartographe, il se réapproprie un pays (le sien, l'Algérie)
et tente d'en comprendre toutes les contradictions politiques, territoriales et sociologiques. Le cinéma n'est pas loin car à aucun moment, Tati capte les faits et les ampoule de manière à ne pas trop se mouiller. La parole et le son deviennent alors deux moyens fédérateurs, créant une mise en scène audacieuse.
Plus d'artefact, pas l'ombre d'un soupçon pédagogique ni d'une
lecture officielle où la propagande serait reine. Tati caresse nos sens et nous entraine dans une spirale d'interrogations qui rejoint régulièrement nos doutes les plus primitifs.
En cela, les films de Tati dérangent car elles ne suivent pas le niveau plan-plan et formaté de la production algérienne actuelle. L'intérêt de Tati n'étant pas de réconforter mais de bousculer les conventions quitte à se retrouver face des vérités dérangeantes.

Electron libre et symbolisant un véritable souffle, il rejoint les convictions d'un noyau malheureusement dispersé (tels que Yanis Koussim et Abdenour Zahzah déjà sélectionnés dans la compétition courts métrages). Le Fespaco aurait du en prendre note et accompagner des films osés, libres et inventifs que sont Djoûu de Djamel Beloucif, Afrik Hôtel (regard intelligent sur la situation des émigrés d'Afrique Subsaharienne durant le Festival Panafricain d'Alger) de Hassen Ferhani et Nabil Djedouani, Comment recadrer un hors-la-loi en tirant sur un fil de Lamine Ammar-Khodja ou bien On ne mourra jamais d'Amal Kateb.

Leurs images comme celles de Tati participent à la reterritorialisation d'un pays pétri d'idées fausses. A prendre d'urgence en considération
sous peine d'être discrédité.

Samir Ardjoum
Algérie

Version de l'article paru sur papier le Vendredi 04 mars 2011, Bulletin Africiné n°16 - Ouagadougou (Burkina Faso), FESPACO 2011 - n°5, p. 4.
Ce bulletin est publié par la Fédération Africaine de la Critique
Cinématographique (FACC) avec cette année le soutien du FESPACO, du ministère français des Affaires étrangères et d'Africalia.
Il est rédigé par des membres de la FACC présents au Fespaco 2011, venant de 9 pays d'Afrique.

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