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Les Donzos, symbole d'un temps révolu
FESPACO 2011
critique
rédigé par Sid-Lamine Salouka
publié le 15/05/2011

La rencontre avec des cultures étrangères, a fait de l'Africain un homme qui est en quête perpétuelle de ses racines. Cela se vérifie particulièrement avec le legs de la colonisation. C'est ainsi que cinquante ans après l'indépendance, le thème de la recherche identitaire se retrouve dans nombre de films présents à la 22ème édition du Fespaco.

Le cas des chasseurs donzos d'Afrique de l'ouest, en tant que point d'ancrage de cette identité, est le sujet de deux longs métrages burkinabè en compétition. Le premier film est En attendant le vote de Missa Hébié, une adaptation d'un roman d'Ahmadou Kourouma racontant sous la forme d'un récit de chasseurs les tribulations d'un dictateur africain nommé Koyaga ; le second film est Nyama ou Le Poids du serment de Kollo Daniel Sanou qui évoque l'aventure d'un chasseur traditionnel qu'une perte de mémoire conduit momentanément à embrasser une religion étrangère.

Les donzos détiennent leur légitimité de la charte de Kurukanfuga, qui est en quelque sorte la constitution donnée à l'empire mandingue par Soundjata Kéita depuis le 13ème siècle.
Protecteurs des faibles, loyaux et solidaires les uns envers les autres dans le principe, les donzos sont à la fois reconnus pour leur immense connaissance de la nature et craints pour leurs pouvoirs mystiques, fruit d'un pacte qui les lie aux esprits de "la brousse". Nos deux films fonctionnent tous les deux sur cette double perception.
Dans le film de Missa Hébié (En attendant le vote) Koyaga a d'abord la figure positive d'une victime qui réclame son droit. Vétéran de la guerre d'Indochine, il a été radié de l'armée avec d'autres camarades qui l'aideront à prendre le pouvoir politique par la suite. Dans Le Poids du serment de Kollo Sanou, les principes de la confrérie fondent le socle d'une vie communautaire qui est une sorte de démocratie directe. C'est au nom de ces principes que Sibiri pourvoie aux besoins de Sarah et de son enfant après que son ami Nyama a disparu en brousse.
Toutes les décisions sont prises à l'issue de palabres où le point de vue de chacun est entendu, fût-il plus jeune ou même une femme.
Cependant ces bonnes intentions sont dévoyées par la cupidité des hommes.

Tel Dark Vador dans La Guerre des étoiles de George Lucas, Koyaga sombre du côté obscur de la Force et les pouvoirs de la confrérie deviennent un moyen pour se maintenir au pouvoir par une violence aveugle. Dans Le Poids du serment, Sibiri, parvient à tromper la vigilance des anciens. Il se présente comme une personne désintéressée en apparence alors qu'en secret il convoite la femme de son ami.

Dans les deux films, la fonction documentaire du récit est rendue crédible par l'apparition dans la fiction de vrais donzos qui apportent une véritable fraîcheur au récit. Tel est le cas de la succulente scène d'exposition du Poids du serment qui montre une confrérie de Bobo-Dioulasso. Avant la projection, Kollo Sanou a d'ailleurs tenu à rendre un hommage à l'historien malien Youssouf Tata Cissé, spécialiste des donzos. Les musiciens qui accompagnent le récit de vie de Koyaga, dans En attendant le vote sont aussi des véritables chasseurs traditionnels.
Bien entendu les premiers rôles sont tenus par des acteurs professionnels.
Cependant la direction des acteurs est parfois approximative. Par exemple, dans le film de Hébié, les acteurs ont tendance à trop théâtraliser leur jeu. C'est le jeu sans reproche d'un Habib Dembélé (Koro Doua) qui vient soulager le spectateur.

On peut retenir que la présence des donzos dans ces deux films est le signe de la recherche de solutions endogènes aux problèmes de l'homme africain. Le scénario d'En attendant le vote des bêtes sauvages essaie de faire coïncider la durée de l'histoire avec celle de la veillée des chasseurs : la nuit correspond à la période sombre du pouvoir de Koyaga et l'aube symbolise le lever d'un jour nouveau. Dans Le Poids du serment, le film finit par la fuite Nyama et Sarah hors de Ouagadougou, la ville où le héros a expérimenté la fourberie et la rapacité des tenants d'un certain christianisme.
Il s'agit d'un retour à l'Afrique précoloniale, le village, comme dans la symbolique de la négritude, étant perçu comme un espace hors du temps et où sont préservées des valeurs authentiques. La perte de mémoire de Nyama devient alors une métaphore de l'amnésie des Africains qui ne cherchent pas en eux-mêmes des solutions à leurs problèmes.
Si tel est le choix des deux réalisateurs, la réponse est problématique.
D'abord, il faut relever que toute communauté humaine est traversée de conflits internes qui la font évoluer. Le rôle de bon père de famille tenu par Mamadou Drabo dans Le Poids du serment n'occulte pas le statut de la femme par exemple ; le refus du lévirat qui y est prôné est une idée introduite de l'extérieur au même titre que les tissus imprimés qui inondent le marché du village. Le retour au village est juste un angélisme de bon aloi, un appel à la conciliation des traditions et du modernisme, présent dans tous les films de Kollo Sanou, depuis Paweogo (1983) à Tasuma (2003).

Ensuite, les meilleurs volontés, qu'elles soient venues de l'extérieur ou non, peuvent être détournées par des hommes de mauvaise foi comme le suggère l'allégorie du vote des bêtes sauvages : Koyaga trouvera toujours le moyen de contourner les mesures de contrôle et les contre-pouvoirs de la démocratie...
Au bout du compte, l'analyse du symbole des donzos dans ces deux films montre que le cinéma du continent reflète, quelque part, la perplexité de l'Africain jeté dans l'engrenage d'un entre-temps qui perdure.

Sid-Lamine SALOUKA
Burkina Faso

Version de l'article paru sur papier le Samedi 05 mars 2011, Bulletin Africiné n°17 - Ouagadougou (Burkina Faso), FESPACO 2011 - n°6, p. 5.
Ce bulletin est publié par la Fédération Africaine de la Critique
Cinématographique (FACC) avec cette année le soutien du FESPACO, du ministère français des Affaires étrangères et d'Africalia.
Il est rédigé par des membres de la FACC présents au Fespaco 2011, venant de 9 pays d'Afrique.

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