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Coproduction inter pays de séries TV
S'unir pour mieux surmonter les difficultés
critique
rédigé par Yacouba Sangaré
publié le 15/05/2011

Une expérience à la fois nouvelle et insolite. Sur le continent, singulièrement en Afrique de l'Ouest, des pays se "donnent la main", pour produire des séries TV avec des histoires qui franchissent les frontières pour s'adapter aux réalités des lieux que ces productions traversent.
Regard sur un phénomène qui vise à favoriser l'intégration en Afrique.

Ouaga 2000. Nous sommes mercredi 2 mars 2011. Il est un peu plus de 10 heures du matin. L'air est sec et chaud. Dans une coquette villa duplex, située à une centaine de mètres de la voie express, règne une ambiance bonne enfant qui, il est vrai, contraste avec le silence pesant de ce quartier huppé presque sans vie.
Visiblement, il y a du beau monde. Des visages connus comme le cinéaste Cheick Oumar Cissoko, Etalon de Yennenga avec Guimba, ex-ministre malien de la culture, Boubakar Diallo, réalisateur burkinabé, Abdoulaye Komboudri, célèbre comédien burkinabè et aussi des techniciens et surtout de jeunes comédiens qui rêvent de faire leur chemin dans ce milieu ô combien complexe. Les couleurs sont également de la fête, avec des hommes et surtout des femmes parés dans de scintillants caftans en bazin, dont les modèles rivalisent en ingéniosité.
Les uns devisent tranquillement entre eux, les autres s'affairent autour du petit buffet dressé pour la circonstance. Entre ces deux "mondes", de jeunes femmes, visiblement, des comédiennes se font maquiller dans l'une des nombreuses pièces de cette vaste demeure. Projecteurs et caméras sont en place. Dans la pièce au-dessus, un travelling a été installé.

Vous l'avez compris, nous sommes sur un plateau de tournage. Celui de la série Les Concessions. Une saga familiale de 52 épisodes de 26 min dont la particularité est de se passer dans quatre pays et donc quatre univers différents. Concrètement, l'action se passe principalement à Bamako (Mali), Ouagadougou (Burkina Faso), Niamey (Niger) et Lomé (Togo). Et l'histoire est essentiellement construite autour de deux volets. L'un, malien, conte la vie agitée d'une concession dirigée d'une main de fer par Aminata, une veuve septuagénaire.
Tout commence quand son fils chéri Sory décide de prendre une seconde épouse moderne et chrétienne. L'autre nous plonge d'une part au coeur des péripéties amoureuses d'Isaac, qui flashe pour sa demi-soeur métisse, et d'autre part dans la galère de son géniteur.
La série est portée financièrement, avec bien entendu l'apport des bailleurs de fonds occidentaux, par deux producteurs : le Malien Moussa Ouane et le Burkinabé Gervais Kwene. Dans chaque pays impliqué dans le projet, des équipes techniques locales sont sollicitées pour le tournage.
Autre série, même désir de collaboration sous-régionale : Super Flics. Produite par Jovial Productions et réalisée par Aminata Diallo-Glez, cette parodie de série policière partage ses épisodes entre le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, le Mali et le Niger. Avec à la clé, un casting qui épouse les couleurs et sensibilités des pays visités. A une échelle moins importante, Les Rois de Ségou, série historique signée par le Malien Boubacar Sidibé, est le fruit d'une étroite collaboration entre le Mali et le Burkina. De toute évidence, cette coproduction inter pays présente un avantage non négligeable : la circulation, on ne peut plus, aisée des séries dans la sous-région, notamment les pays qui portent le projet. L'objectif est que la production soit vue par un public plus large sur le continent.
De plus, à travers ses acteurs, ses lieux de tournage, et même l'histoire, chaque pays y retrouve un peu de lui-même.
Conséquence : les populations locales s'approprient les séries parce qu'elles s'y reconnaissent. On comprend aisément donc cette volonté des producteurs voire des réalisateurs d'affranchir leurs productions d'une étiquette nationale, pour celle plus grande dite "africaine". Est-ce pour autant un "sésame" pour le succès ? Pas si sûr. A l'analyse, ces coproductions inter pays risquent d'être confrontées à différents écueils.

D'abord, le manque d'homogénéité entre les épisodes. Cela peut se traduire par un déséquilibre technique avec un fossé grandissant entre le savoir-faire des équipes (l'une étant nettement plus performante que l'autre), et surtout au niveau du talent des comédiens.
Avec d'un côté, des acteurs qui donnent la plénitude de leur talent, et de l'autre, ceux qui ne portent pas assez leurs personnages. Ensuite, il y a le très grand risque d'aboutir, au bout du compte, à une production sans identité réelle, faite d'autant de sensibilités culturelles que de pays parcourus.
Sans oublier, le handicap pour les acteurs de tourner dans une langue qui n'est pas la leur.

Toutefois, ces difficultés ne devraient pas refroidir cet enthousiasme à travailler ensemble, au-delà des frontières.
Cela pourrait donner un soupçon de dynamisme au cinéma et à l'audiovisuel en Afrique, en favorisant l'émergence et la production des séries.
Ce qu'il faut donc, c'est mieux appréhender ces écueils et les surmonter, afin que ces coproductions inter pays soient un véritable levier pour la création d'une industrie du cinéma et de l'audiovisuel sous nos tropiques.

Yacouba Sangaré
Côte d'Ivoire

Version de l'article paru sur papier le Samedi 05 mars 2011, Bulletin Africiné n°17 - Ouagadougou (Burkina Faso), FESPACO 2011 - n°6, pp. 1 & 6.
Ce bulletin est publié par la Fédération Africaine de la Critique
Cinématographique (FACC) avec cette année le soutien du FESPACO, du ministère français des Affaires étrangères et d'Africalia.
Il est rédigé par des membres de la FACC présents au Fespaco 2011, venant de 9 pays d'Afrique.

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