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Entretien avec Beti Ellerson, universitaire et réalisatrice américaine
"L'importance d'une base de données universelle accessible à tous"
critique
rédigé par Sitou Ayité
publié le 05/06/2011
Sitou Ayité
Sitou Ayité
Beti Ellerson Poulenc
Beti Ellerson Poulenc

Beti Ellerson Poulenc est l'auteure du livre "Sisters of the Screen" (Lawrenceville, NJ: Africa World Press, 1999, 400 pages) et du documentaire "Cinéma d'Afrique au féminin". Très investie dans la recherche du point de vue des femmes dans le cinéma, Beti Ellerson Poulenc crée en 2008, le "Center for the Study and Research of African Women in Cinema", un blog dédié essentiellement à la femme africaine au cinéma. Après son doctorat en études africaines, elle a enseigné pendant un moment à l'Université d'Howard (Washington). Elle est désormais chercheuse indépendante, auteure de nombreuses publications en free-lance, et elle enseigne dans diverses universités.
Beti Ellerson Poulenc a accepté de nous parler de son engagement scientifique au côté des femmes africaines dans le 7ème art.

Comment vous est venu ce désir de vous intéresser aux femmes dans le 7ème art ?

J'ai un doctorat en études africaines avec sous-spécialisations en cinéma africain et études des femmes. En tant que féministe, j'ai toujours été intéressée par le discours critique féminin, donc dans le domaine académique, je voulais faire une enquête sur les expériences des femmes africaines à travers les films. J'ai trouvé ce medium particulièrement adapté car les cinéastes peuvent utiliser le cinéma pour décrire des problèmes de société de même qu'un outil pédagogique et un moyen de sensibiliser la population. Cette recherche m'a amené d'une part, à l'élaboration d'une étude cinématographique africaine au féminin. Ceci incluant l'historiographie et la recherche sur le regard de la spectatrice - la manière dont elle reçoit l'image. Et d'autre part à la promotion de leur travail et la création, une plateforme de réflexion. Ces initiatives me tiennent à cœur, je voudrais apporter ces expériences au grand public au-delà des salles de classe et de conférences. Donc, je définis "les femmes africaines dans le cinéma" comme un concept qui comprend la théorie et la pratique.

Pensez vous qu'on donne aux femmes leur place dans ce milieu ?

Il faut d'abord voir le rôle de la femme d'une manière générale dans les structures sociales, politiques et culturelles en Afrique, puis regarder la place que le cinéma occupe dans les sociétés africaines. On peut remarquer une visibilité croissante des femmes à tous les échelons de l'infrastructure cinématographique africaine. Elles ne sont pas seulement devant ou derrière la caméra, mais également dans les coulisses. Pour citer Sarah Maldoror : "La femme africaine doit être partout. Elle doit être à l'image, derrière la caméra, au montage, à toutes les étapes de la fabrication d'un film. C'est elle qui doit parler de ses problèmes…"

Vous avez discuté avec plusieurs femmes dans le cinéma, que retenez-vous de ces discussions ?

J'ai retenu beaucoup de choses au cours des conversations avec les nombreuses femmes durant ces quinze dernières années. L'idée de la parole des femmes africaines comme "discours alternatif" proposée par Anne-Laure Folly-Reimann (Togo), par exemple, est devenu un leitmotiv pour mes recherches et écrits. Avec les changements de technologie qui ont permis à beaucoup de femmes de se promouvoir et de présenter leurs films avec les nouveaux outils de communication, on aurait pu s'attendre à un changement générationnel des attitudes et des idées. Pourtant les réflexions qu'elles peuvent avoir sur la coexistence en tant que mère et cinéaste résonnent de la même manière. Il y a aussi des jeunes réalisatrices d'aujourd'hui qui se considèrent comme cinéaste et non pas comme femme cinéaste, ce que Safi Faye revendique depuis plusieurs décennies.

Qu'attendez-vous de ces discussions ?

J'ai voulu recueillir les expériences des femmes à travers le continent dans tous les domaines du cinéma : réalisatrices, productrices, comédiennes, critiques et organisatrices - comme un ensemble, de les écouter, de les laisser parler de leur interprétation de leur propre image et comment elles visualisent leurs sociétés. J'ai eu des surprises en cours de route. Certaines parmi elles m'ont donnée des réponses très personnelles inattendues à des questions que je n'aurais jamais posées. Dans l'ensemble, j'ai bénéficié d'un grand intérêt et d'un véritable soutien, car elles se rendent compte de l'importance de cette recherche et de son archivage.

Vous êtes écrivain et réalisatrice d'œuvres dont les thèmes sont centrés principalement sur la femme et le cinéma. Avez-vous été confrontée à l'une des difficultés qu'elles évoquent en tant que réalisatrice ? Si oui laquelle ?

Ma principale difficulté est le manque de temps. Le temps d'écrire, de penser, de rechercher, de réfléchir sur les idées. Ceci dit, je tiens à souligner que ma position est très différente, vivant en Occident, travaillant à la fois comme universitaire et chercheuse indépendante. En ne minimisant pas les difficultés, les quelques productions cinématographiques que j'ai réalisées ont été bien reçues, peut-être surtout en raison de la nature du sujet. En tant qu'universitaire, écrire fait partie de mon travail, ce qui ne veut pas dire que l'on peut toujours trouver une maison d'édition pour la publication. D'autre part, l'African Women in Cinema blog est un moyen très efficace de publier mes entretiens et l'analyse critique, pour toucher un lectorat diversifié et de capter leur intérêt. Et comme je l'ai dit ci-dessus sur le progrès de la technologie, je suis une internaute passionnée et j'ai bien profité de tous les outils et réseaux de l'Internet ce qui m'a donné beaucoup de visibilité et m'a permis de faire beaucoup de contacts. Mais oui, j'ai eu des difficultés, mais avec chaque réussite et tentative inachevée que les cinéastes me racontent, je comprends mieux l'importance de la persévérance et la confiance en soi.

Votre livre "Sisters of the screen" qui est publié en 1999 est suivi quelques années plus tard du documentaire "Cinéma d'Afrique au féminin". Comment s'est fait le processus de l'œuvre écrite à l'œuvre "image" ? était-ce un simple besoin de changer de format ?

J'ai reçu un Rockefeller Humanities Fellowship, (un fond pour la recherche postdoctorale) pour ce projet. Les entretiens ont été filmés avec l'intention de produire un documentaire et comme base d'une analyse pour un travail écrit. Ainsi, le livre et le film sont les "documents" visuels et écrits du même projet. J'avais espéré avoir une version française du livre, comme ce fut le cas pour le film, mais comme vous le savez, certains projets ne voient pas toujours la lumière du jour. Des raisons de temps et de financement expliquent la différence entre la sortie du livre et celle du film. Avant de produire le documentaire, j'ai été la productrice exécutive et présentatrice d'une série de 27 épisodes [Reels of Colour, Ndrl] diffusée sur des télévisions communautaires à travers les Etats-Unis, ce qui m'a beaucoup préparé pour la réalisation de ce projet.

En 2008, vous créez, un centre pour l'étude et la recherche de la femme africaine dans le cinéma. Pourquoi une telle initiative ?

Ah, les désirs d'une chercheuse ! Voulant continuer à mettre à jour et documenter les expériences des femmes africaines dans le cinéma, mais réalisant la fixité et la linéarité du livre et du film en "copie dure", j'ai suivi la tendance des nouveaux médias et réseaux sociaux pour poursuivre le projet ce qui m'a permis de mettre l'information régulièrement à jour. Ayant compris l'importance d'une base de données universelle accessible à tous, je voulais l'instaurer comme une ressource sur l'Internet. J'ai lancé le Centre pour l'étude et la recherche des femmes africaines dans le cinéma comme un environnement virtuel dans lequel les producteurs culturels, universitaires, étudiants, et le grand public peuvent faire une recherche d'informations relatives aux femmes africaines dans le cinéma: réalisatrices, comédiennes, productrices, et toutes les professionnelles du cinéma. Comme les médias sociaux et hébergement de vidéos sont devenus des éléments centraux de l'Internet, le Centre s'étend pour inclure l'African Women in Cinema Blog, et une présence sur Twitter, Facebook et YouTube, Vimeo et Dailymotion.

Quel message adresseriez-vous particulièrement à une femme africaine qui œuvre dans le domaine du cinéma ?

Rappelez-vous de la sagesse de vos aïeules, écoutez humblement les expériences des anciennes et tirez leçon de leur histoire.

Propos recueillis par
Sitou Ayité

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