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5ème Festival d'Oran du Cinéma Arabe (FOFA 2011), Algérie
Le FOFA : nouvelle agora du film arabe ?
critique
rédigé par Mohamed Bensalah
publié le 02/01/2012
Poster FOFA 2011
Poster FOFA 2011
Mohamed Bensalah
Mohamed Bensalah

Le désormais Festival d'Oran du Cinéma Arabe (FOFA) [et non plus le Festival International du cinéma arabe d'Oran (FIFAO), Ndlr] se propose, de refléter la richesse de la cinématographie arabe, à l'aune des révoltes tunisienne, égyptienne, libyenne, syrienne, yéménite… Le moins que l'on puisse dire, est que cette 5e édition s'est déroulée dans un contexte particulier. En ces temps d'inquiétude et de perte de repère, d'aucuns s'interrogent, à juste titre d'ailleurs, sur l'opportunité et la pertinence d'une telle manifestation cinématographique consacrée au monde arabe, alors que ce dernier, à feu et à sang, affronte des défis de toute nature, avec en toile de fond, des violences inouïes qui se succèdent à un rythme effréné. D'autres soulèvent la question relative à "l'arabité" du cinéma. La réponse, en fait, est simple à formuler. C'est précisément parce que les conflits s'enveniment et que les déséquilibres géostratégiques s'accentuent, qu'il s'avère urgent de réagir pour mettre à nu les dysfonctionnements et dérapages nombreux, non seulement dans le domaine politique où les frontières du dicible et du pensable ont été largement franchies, mais également dans les domaines de la communication, de la culture et des arts.

Ces questions soulèvent en fait, deux interrogations essentielles : la première relative aux virtualités du cinéma en tant que vecteur d'expression, d'information et de communication et posent donc la problématique de l'efficacité de ce média en tant que moyen de conscientisation et de mobilisation des masses. La seconde, bien plus complexe, remet à jour des interrogations anciennes relatives à l'identité d'un film.

Oran, Agora du 7e art arabe ?

Tout un chacun sait que les images traduisent des sentiments et des émotions et expriment des idées et des pensées. Bien plus que la presse ou la radio, l'œuvre filmique, en excitant la curiosité et en éveillant l'esprit, arrive à remplir d'enthousiasme le spectateur le plus réfractaire aux médias d'information. Le rôle du 7ème art dans le développement de la conscience critique, esthétique et politique des masses n'est plus à démontrer. Les films mettent en relation, informent, expliquent, propagent des informations et donc contribuent à la compréhension de réalités parfois très complexes. Le cinéma, en tant que fenêtre sur le monde, offre des possibilités multiples en matière de raffermissement des relations sociales et donc de rapprochement des peuples et des cultures. Aujourd'hui, les habitants d'une même contrée géographique ignorent parfois totalement ce qui se passe chez leurs voisins.
Un festival de films arabe est l'occasion unique pour découvrir via le regard du cinéaste les réalités contemporaines. Il permet aux uns et aux autres d'échanger des points de vue sur les mouvements majeurs de l'histoire en marche et sur l'avenir des cinématographies arabes. Il aide enfin à comprendre et à faire comprendre ce que les films disent, font ressentir et transmettent comme émotion aux gens qui vont les voir et pour lesquels ils ont été réalisés.

Inviter la Tunisie, l'Égypte ou la Syrie, en 2011, n'est pas seulement accueillir des pays qui ont signalé au monde leur besoin de changer d'histoire, leur besoin de liberté, leur force collective et leur désir de démocratie. C'est aussi accueillir de grands pays de cinéma qui tiennent à défendre les libertés artistiques, morales, professionnelles et économiques de la création cinématographique et qui souhaitent inventer de nouveaux symboles en réorganisant le cinéma et l'audiovisuel afin d'accompagner la conscience collective.

La programmation de cette 5e édition s'est voulue être une fenêtre ouverte sur les cinématographies du monde arabe, du moins, elle a essayé d'éclairer le public sur la complexité des situations politiques et sociales de ces pays. Oran n'est ni Cannes où sont proposés à la présélection des films par milliers, ni Bollywood, l'usine à rêves de Bombay qui fonctionne à plein rendement. Compte-tenu de la disette actuelle dans le domaine de la production filmique dans le monde arabe, il n'a pas été possible d'aligner de nombreux films.
En compétition, ont été retenus 12 longs métrages et 22 courts. Étaient présents les artistes et cinéastes de 18 pays Le travail réalisé par l'équipe de programmation et d'organisation (composée de 6 personnes), doit être salué. Quels que soient les couacs enregistrés, on ne peut qu'être satisfait de ce modeste panorama exigeant et singulier, qui compte aussi de nombreux films documentaires, réalisés dans le cadre de Tlemcen, Capitale de la culture islamique. Trois jurys internationaux, composés de personnalités des arts et de la culture, ont décernés de nombreux prix aux lauréats.

Le 7ème art arabe, un cinéma en quête de repères

Les cinéastes arabes ont toujours été à l'écoute des soubresauts de l'histoire en générale et de leur histoire en particulier. Leurs films évoluent au rythme des mutations des sociétés qu'il reflète. Qu'il soit égyptien, libanais, syrien, marocain ou tunisien, chaque cinéma développe ses problématiques particulières.
Durant ces dernières décades, quelques œuvres de qualité ont été produites : Beyrouth : Vérités, Mensonges et Vidéos de Mai Masri (Palestine-Liban-2006), Les Bottes du général de Akram Agha (Syrie-2008), Déluge au pays du Bath, de Omar Amiralay (Syrie-2003), Sans plomb de Sami Tlili (Tunisie-2006), Domia de Reem Al Bayat (Arabie saoudite-2010), ou encore avec Yousri Nasrallah : Mercedes (1993), L'Aquarium (2008), La Porte du soleil (2004), et Femmes du Caire (2009)…

Ces productions n'ont rien à envier aux films récents réalisés cette année dans des pays arabes en pleine effervescence, tels 18 jours, film collectif de 10 réalisateurs égyptiens, Plus jamais peur, du Tunisien Mourad Bencheikh, Tala'eh d'un collectif syrien, Sur la planche, de la Marocaine Leïla Kilani, Amina de la Yeménite Khadidja Al Salami.
Tous ces films, réalisés dans l'urgence, ont offert une certaine vision des révoltes égyptienne, tunisienne, marocaine ou yéménite et montré les hommes et les femmes qui font le monde arabe d'aujourd'hui. Ceci dit la 6ème édition du FOFA s'annonce passionnante vu le nombre impressionnant de films en gestation.

Le monde arabe ne manque ni de créateurs de talent, ni de compétences, ni de savoir-faire technique. Mais, malgré tous ces atouts, la vitalité de sa cinématographie fait défaut. Parmi les deux ou trois cents films produits dans le monde arabe ces dernières années, les bons films ont fait cruellement défaut, sauf exception bien sur ! Balbutiantes et fragiles, en comparaison à celles des voisins du Nord, les structures cinématographiques arabes ne brillent guère par la qualité de leurs productions. On espère voire programmer un jour à Oran, des films sur Al Khawarizmi le savant, Ibn Khaldoun l'historien, Al Farabi, le mathématicien, Al Farazi, le physicien, Al Makdisi, l'astronome, Al Abbadi, le chimiste, Ibn Sina, le philosophe… Encore faut-il une imagination fertile, un esprit créateur, des moyens appropriés et surtout une liberté d'expression, ce qui, à l'heure actuelle fait cruellement fait cruellement défaut.
Un festival est une opportunité pour dresser un état des lieux, relever ici et là les capacités à dire et à se dire, estimer et évaluer sous quelles conditions et pour quels objectifs, le cinéma, en tant qu'outil de communication, peut être réapproprié pour des paroles neuves. Il faut, peut-être, chercher ailleurs les raisons des pesanteurs. Le FOFA se propose tout simplement de revisiter les champs et contre-champs de la cinématographie arabe, d'analyser les œuvres marquantes contemporaines, de célébrer les films et cinéastes dont les styles, écritures et thématiques sont à même de laisser des traces dans les mémoires.

Le public oranais était fier de pouvoir visiter ou revisiter, à partir de son fauteuil, de nombreux pays : le Liban déchiré par la guerre avec Et maintenant on va où ? de la Libanaise Nadine Labaki (2011), le Maroc avec Andalous ya lehbiba, la Tunisie avec Dima Brando, la Jordanie avec Transit, la Palestine avec Habibi Rasak Kharban, l'Egypte avec Kaf El Kamari

Le FOFA, une fenêtre ouverte sur les cinématographies arabes

A travers le seul film réalisé en 2011, rendons hommage au cinéma syrien qui - en dépit du nombre très restreint de films réalisés ces dernières années - s'impose par la qualité de ses films. Rendons hommage également aux cinéastes palestiniens qui, dans des conditions particulièrement pénibles, pour ne pas dire très risquées, témoignent de la réalité sordide de leur quotidien. Rendons enfin hommage à la Tunisie, qui, il y a quelques années, était très prolifique, et qui n'a malheureusement produit qu'un long-métrage cette année.
Nous attendons impatiemment les nombreux films en chantier depuis les révoltes, la plupart, fictions ou documentaires qui puisent leurs scénarios dans ce que l'on a appelé de manière abusive "Le printemps arabe". Toute la production n'a pas un dénominateur commun. Chaque cinéaste a bien sur ses préoccupations et sa manière propre de s'exprimer, de dire ses vérités, de dénoncer les dysfonctionnements de sa société. La démarche stylistique des uns peut-être aux antipodes de celle des autres. Des films sont produits, même dans des pays ne disposant pas d'infrastructures cinématographiques. C'est dans sa diversité que s'affirmera la cinématographie arabe en devenir.

Le festival d'Oran, est un des rares, sinon le seul, à s'attacher particulièrement aux problématiques des cinématographies arabes, telles qu'elles se manifestent présentement. Persuadé que la culture peut réussir à cimenter l'unité des peuples et que le cinéma, la télévision et l'audiovisuel, parce qu'ils favorisent précisément la création, la diffusion culturelle et la circulation des idées, peuvent être des instruments à même de construire des rapprochements entre les peuples et les cultures, les initiateurs du Fofa, sont persuadés du fait que le cinéma, véritable passerelle populaire entre les peuples et les cultures, peut contribuer à dépasser ses incompréhensions. Un festival, ce sont certes des films en compétition, mais ce sont aussi des rencontres autour de multiples activités connexes : atelier de formation, hommages, tables-rondes…

Il serait vain d'espérer des résultats tangibles en quelques éditions. Le pari lancé est à long terme. Il exige du temps, de l'argent et de la persévérance, mais aussi et surtout, une démarche cohérente qui ne saurait faire l'économie de tâtonnements. Cette 5ème édition se veut être un état des lieux. Elle apportera, sans nul doute, un éclairage nouveau sur les possibilités du cinéma en tant que vecteur de rapprochement des imaginaires et donc, en tant que moyen d'affermissement des relations entre citoyens vivant parfois les uns à côté des autres sans se connaître vraiment. Ce rendez-vous d'exception sortira, sans nul doute, Oran de sa torpeur et installera la ville, la région et le pays au croisement des cinématographies arabes. En établissant une ou plusieurs passerelles en direction de l'histoire contemporaine, en mettant à jour les aspects complexes qui échappent parfois aux plus avertis, et enfin, en essayant de comprendre et de faire comprendre ce que les films disent, font ressentir et transmettent comme émotion aux gens qui vont les voir et pour lesquels ils ont été réalisés, Oran deviendra à terme, une véritable Agora du film arabe. Du moins, telle est notre espérance.

Mohamed Bensalah

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