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Le dos de la veuve, de Mary-Noël Niba
Une rebelle à réchauffer
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 26/03/2012

Le film de Mary-Noël Niba a été projeté le 02 mars dernier à l'Institut français de Yaoundé.

Mary-Noël Niba a longtemps travaillé à la télévision nationale, la Crtv, où elle a réalisé un certain nombre de " films documentaires ". Samedi dernier, à l'Institut français de Yaoundé, elle a présenté son premier film de cinéma, un documentaire sur la problématique de la veuve (et de l'orphelin) chez les Koms de Bamenda. Un film qui porte les stigmates de la télévision.

Pauline (40 ans environ et six enfants) et Patience (28 ans, deux enfants) sont veuves. Dans leur communauté, une tradition séculaire commande que ni la veuve, ni l'orphelin ne soient jamais abandonnés à eux-mêmes. Pour ce faire, ils sont toujours laissés en héritage au successeur, généralement le chef de famille, qui doit les encadrer et en prendre soin au même titre que sa propre femme et ses propres enfants. Mais, Pauline se rebelle contre cette tradition qu'elle juge avilissante pour la femme, en refusant, notamment, que le frère de son défunt mari lui " réchauffe le dos " : qu'il partage son lit. À l'opposé, Patience, elle, se désole carrément que le successeur tarde à la prendre pour épouse, " par respect de la tradition ".

Dès la séquence d'ouverture, une voix off résume le film. Ce qui pose d'emblée le problème de sa structuration, car, sachant déjà de quoi il y sera question pendant les 68 minutes qu'il dure, le spectateur ne restera plus, assurément, dans la salle que par respect pour la réalisatrice, pour son travail. Il est alors plongé dans un sublime décor de verdure et de montagnes, aux flancs desquelles s'agrippe le petit village des Koms. " Je ne pouvais pas accepter d'avoir des relations sexuelles avec lui ", martèle sentencieusement Pauline, qui le fait ainsi entrer en plein dans le nœud de la question.
Un nœud coulant, qui va se serrer et se desserrer, sans que Mary-Noël Niba défende son propre point de vue, ce qui fait la force et la marque des grands documentaires. Au lieu de cela, la réalisatrice s'est contentée, tout au long de son film, de présenter, de manière lisse, des choses vues et entendues. Ce qui lui confère des allures de reportage, ce d'autant qu'il manque cruellement de mise en scène.

Un film documentaire étant aussi un film de cinéma, son but n'est-il pas de créer l'émotion ? Niba tenait là un sujet grave. Un sujet où, malheureusement, les aspects dramatiques, à peine effleurés, sont aussitôt abandonnés. Comme dans la scène du cimetière, lorsque Pauline commence à nettoyer la tombe de son mari. L'on s'attend alors qu'il se passe quelque chose, mais, la dramatisation, à ce niveau, est évacuée en même temps que la veuve jette les mauvaises herbes.
De même, le décor, magnifique, ne participe cependant pas de l'esthétique de la dramatisation de ce sujet qui interpelle forcément l'affect. Surtout que l'éclairage ne semble pas avoir été un élément déterminant de l'écriture de ce film. A ce sujet, nous sommes demeurés sur notre faim, l'éclairage n'ayant créé, à aucun moment, une atmosphère renforçant ce qui était montré. Peut-être que comme les cinéastes du Néoréalisme italien ou de la Nouvelle Vague française, la réalisatrice a voulu filmer le réel tel qu'il s'est présenté à elle, sans éclairage valorisant. Mais, qu'à cela ne tienne, dans le film de Niba, le décor n'est pas cette " organisation scénique de l'espace dans un temps donné " dont parlait Gilles Visy.
Plusieurs fois, des images de montagnes sont revenues, plaquées comme sur une carte postale, figées, pour ne pas dire inexploitées. Il a manqué à l'utilisation de ce décor cette complicité, cette combinaison avec le sujet et les personnages, qui auraient pu véritablement éprouver les spectateurs, car " le décor ne vaut pas par lui-même, mais n'a de sens que par rapport aux personnages ", comme l'écrivaient Vanoye et Goliot-Lété dans leur Précis d'analyse filmique. Comme le décor, le son n'a pas plus été mis en scène dans Le dos de la veuve.

Linéaires sur tout le film, les dialogues n'ont pas permis de caractériser les personnages. On a même vu une (autre) veuve éclater de rire après avoir fustigé le comportement du successeur censé s'occuper d'elle, et qu'elle ne voit qu'une fois par an, en passant. La musique, le folklore local pour l'essentiel, n'ayant pas eu pour ambition de faire écouter le cinéma, n'a pas non plus établi de rapports entre les images et les personnages. Elle n'a constitué qu'un simple fond sonore.

Bien que traité sans originalité, le film de Mary-Noël Niba a le mérite d'exister, et d'avoir remis sur la table un sujet qu'on tend à enfermer aux oubliettes, alors qu'il demeure d'une douloureuse actualité. Conçu avec des techniques héritées de la télévision et enfanté avec des défauts inhérents aux nouveau-nés de son genre, à l'exemple du col de chemise récalcitrant de l'avocat, col qui a manifestement refusé de rester sous le revers de la veste, le bébé de Niba ne doit cependant pas être jeté avec l'eau du bain.

Jean-Marie Mollo Olinga

Fiche technique :
Durée : 68 minutes
Version : PAL couleur
Audio : Stéréo
Format : 16/9
Langues d'origine des dialogues : anglais, pidgin, kom, français (film traduit en français)
Langue de sous-titrage : français

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