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Journal d'un cinéphile extrémiste… au Festival d'Oran du film arabe
Journée # 3 : Samedi 17 décembre 2011
critique
rédigé par Samir Ardjoum
publié le 30/03/2012

"Pour la première fois, depuis le début de ce festival, je sors de la salle ravi !"

Je viens de relire mon précédent billet en éprouvant, je l'avoue, une certaine confusion. Mes mots dégagent une odeur rance, de souffre, traduisant surtout une déception sincère face à des films qui n'arrivent pas ou prou à me transporter. Il est toujours délicat d'utiliser la première personne du singulier sous peine d'être mal interprété. Quoiqu'il en soit, je ne détiens aucune vérité, juste un avis qui parfois peut irriter.
C'est un journal de bord, une sorte de carnet de notes et de plans serti de provocations assumées ainsi que d'inserts subjectifs où l'interprétation serait reine. Vouloir analyser tel film serait inapproprié et indécent vis-à-vis du réalisateur et du lecteur et en deçà de l'intention - toute personnelle - que j'ai évoquée dans mon premier billet.

Pour qu'il y ait une véritable jouissance, il faut qu'il y ait un corps qui s'y prête. Aucun des films cités dans ledit billet reflétait le souffle qui annonce la tempête, prodiguant une idée de notre société, m'informant sur l'auteur lui-même. Quoiqu'une œuvre telle que Combien tu m'aimes ? de Fatma Zohra Zamoum me semble être un cas particulier, car emblématique d'une infidélité que j'ai pu subir, d'une profonde mélancolie en découvrant une réalisatrice, plus habituée à servir une écriture filmique audacieuse, sombrer dans un schématisme inouï. Constat extrême, certes, mais les choses sont là, pourquoi donc les manipuler ?

J'ai toujours rapproché ma cinéphilie à un florilège de sensations toutes plus définitives les unes que les autres. C'est la plus belle des beautés, m'avalant de son regard durant 90 minutes, et m'invitant dans sa chambre obscure afin que je l'accompagne dans ses fantasmes les plus fous, limités soit par un cadre (celui de l'écran de la salle de cinéma) soit par mon imaginaire. Je préfère la seconde piste, celle qui me donne une raison d'exister, redorant mon blason de spectateur. Devant les films de Nadif, Zohra Zamoum, Ramadan et Ben Hassen, je ne suis qu'un zombie. Devant celui de Boumediène, je relève discrètement la tête !

La Cité des vieux, de Mouzahem Yahia, en compétition Courts Métrages, pourrait être le meilleur film de son auteur à ce jour. Tout va très vite dans ce maelström de sentiments endiablés situé dans un Alger futuriste où les vieux auraient pris le pouvoir, forçant les jeunes à capituler, en les licenciant de leur statut de citoyen, pour un départ vers un Ailleurs foutraque ! Belle idée, belle parabole sur plusieurs choses, dont je ne retiendrais que celle qui touche le cinéma algérien depuis toujours, l'absence de transmission entre les aînés (pour la plupart) et leurs enfants spirituels. On peut encore déceler ici et là des artifices souvent repérés dans la filmographie de Yahia, le poussant parfois à amplifier un sentiment, d'où une construction narrative en demi-teinte.
Or, avec La Cité des Vieux, un je-ne-sais-quoi se produit sans crier gare, observant une véritable respiration, et aboutissant dans une surprenante séquence finale où le Temps deviendrait mon plus fidèle allié. Deux visages, deux jeunes personnages aussi beaux qu'élastiques, une femme écoutant son alter-ego (rocambolesque Mohamed Bouchaïb,) lui ouvrant les portes de son intimité, caressant ses doutes, son amour pour la vie. Instant de grâce, étirée, dilatée, me permettant de m'approcher timidement du cadre, de côtoyer cette impulsion créatrice, et de prendre la place de Bouchaïb, d'observer Sarah, de l'écouter me dire : "Je suis là et je veux te voir" ! Quel plaisir de voir enfin un plan prendre forme, que l'auteur l'expérimente tout en laissant libre cours à une curieuse improvisation (on peut entendre l'équipe technique souffler les dialogues à l'acteur en pleine transe). Tout cela rafraîchit ce singulier présent et pour la première fois, depuis le début de ce festival, je sors de la salle ravi !

Damascus with love du Syrien Mohammed Abdul Aziz et The Singer de l'Irakien Kassem Hawal.
Deux films en compétition longs métrages. Deux histoires attachantes. Aziz filmant la quête initiatique d'une jeune femme à la recherche de ses origines, d'un amour perdu, d'une identité plurielle en somme ; et Hawal narrant l'univers tragi-comique d'un dictateur entouré de sa cour, fêtant son anniversaire tout en appréciant le concert de son chanteur préféré. À la fin de la journée, un p'tit air désenchanté m'accompagnait : j'avais la certitude de m'être retrouvé nez-à-nez avec deux produits audiovisuels.
Il est alarmant de voir le téléfilm, légendaire ennemi du cinéma, revenir dans les couloirs du festival, m'entraînant dans une profonde lassitude. Je n'ai plus ce désir d'avancer, plus l'envie d'accompagner ces réalisateurs, honnêtes cela va de soi, mais dont les plans n'encouragent pas à la réflexion. Leurs films sont réservés, dénués de ce coup de poing tant attendu qui m'embarquerait dans une frénésie. J'ai besoin de croire qu'un plan peut exploser de sens, que les personnages pouvaient exister avant que le film soit projeté, et que le récit ne se terminera jamais.

Le cinéma, au contraire du téléfilm, est le chaînon manquant entre l'intention de l'auteur et mon affect. C'est une toile blanche qui serait progressivement peinte par mes émotions personnelles, alors qu'avec les deux films précités, je me retrouverais en face d'une ladite toile peuplée de cases numérotées, où chacune correspondrait à une couleur. Tout n'est qu'une question de liberté et d'interprétation en somme !

Samir Ardjoum

Journée # 3 : Samedi 17 décembre 2011. parue sur El Watan 2 (Le Laboratoire des médias). [elwatanlafabrique.wordpress.com/2011/12/18/journal-dun-cinephile-extremiste-au-festival-doran-du-film-arabe-2/]

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