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Normal !, de Merzak Allouache
La fatalité à l'Algérienne !
critique
rédigé par Seltana Hamadouche
publié le 30/03/2012

Faouzi, cinéaste, souhaite réunir ses comédiens afin de visionner ensemble son film inachevé, plus précisément des séquences du film qu'il a tournées deux années auparavant. Il veut avoir d'autres points de vue et surtout pour trouver une fin à son œuvre cinématographique.



Ce film, où deux récits s'entrecroisent, oscillant entre fiction et réalité, est d'abord un film sur le cinéma (une réflexivité cinématographique), la création et l'art en général. Ce qui est mis en exergue, ce sont les difficultés auxquelles les artistes algériens sont confrontés. Ils doivent non seulement faire face aux problèmes financiers, mais ils sont aussi confrontés à la censure. Cette censure revêt plusieurs aspects. D'abord politique (les sujets liés au contexte socio-politique sont perçus comme thèmes subversifs), puis morale (le scénario du personnage du film de Faouzi est considéré comme anti-religieux ; l'auteur est même susceptible de poursuites judiciaires). En cause : les scènes d'amour implicites et les baisers échangés susceptibles de choquer le public.
Pour mener à bien son projet, le jeune artiste n'a pas d'autre choix que la menace, afin d'avoir la subvention tant attendue.

Ensuite, c'est un film sur les désillusions et le désarroi de la jeunesse algérienne : le manque de perspectives, le chômage, etc. " J'étouffe, affirme l'un d'eux, nous avons des projets plein la tête, des ambitions, mais toutes les portes sont fermées […] on donne l‘image d'un jeune qui regarde le temps passer ". [1]
Au menu des tourments des jeunes algériens figurent le piston conditionnant l'embauche, les " tchippas " (commissions indispensables pour faire des petites affaires), ainsi que les " beggara ", ces parvenus enrichis durant les années du terrorisme (1990) qui les narguent avec " leur grosse voiture et belles villas. " [2]

Comment dès lors dénoncer et surtout comment s'en sortir ? Faut-il lutter ? Faire connaître ses revendications à travers des manifestations ? Militer à travers l'art ? Les images sont-elles plus fortes, plus parlantes que les paroles ?
Tel est le débat entre les comédiens et le cinéaste au cours de la projection du film. Outre la censure et les problèmes de la jeunesse algérienne, est abordé également, dans les échanges, le contexte socio-politique et sécuritaire : les émeutes en Kabylie (2001), les événements de 1988, les années noires (1990) et la misère sociale et économique, entre autres.

Au final, comme le stipule le titre du film, Normal ! (un terme utilisé dans le langage populaire algérien lorsqu'on ne trouve pas de réponse à une question, signifiant ainsi une fatalité), les Algériens, lassés de toutes les guerres qui se succèdent et du sang versé, semblent résignés. Rien ne les surprend plus ni ne les choquent. Comme s'il régnait une torpeur sur ces jeunes qui, malgré leur volonté, leur talent, se retrouvent confrontés à tant de difficultés insolubles (la bureaucratie administrative, subventions, censure, etc.). C'est ainsi que l'expression " tels des " morts-vivants " ", utilisée par l'un des citoyens / personnages résume bien le quotidien de la jeunesse.

Ce film est atypique, se situant entre fiction et documentaire : les scènes de discussions / débat entre comédiens semblent ne pas être écrites ni répétées. Cela donne une force et un réalisme à leurs affirmations, constatations, révolte et à leur lutte.

Le film montre un Alger où règne le désordre. Les lieux sont si délabrés que l'on ne peut visiblement ni s'épanouir ni créer. L'atmosphère est étouffante, cette " saleté frappante ", " agressive " (les réalisateurs Allouache et Faouzi affirment que ce sont des décors naturels) dénote l'absence totale de l'État et coupe court à tout sentiment de plénitude, de perspectives et de réussite.

Néanmoins, le film finit par une note d'espoir (du moins de notre point de vue algérien) : bien que l'objectif ne soit pas atteint, le combat continue. Finalement Faouzi, l'artiste, se joindra à la manifestation du samedi[3]. Et le film se termine comme il a commencé : avec une pancarte où on peut lire en arabe : " Algérie libre et démocratique ".

À quelques mois des célébrations du 50ème anniversaire de l'indépendance, le film est d'actualité. Que pensent ces jeunes de la guerre d'Algérie ? De l'indépendance ?
Parmi les quelques impressions livrées par des jeunes au moment de la commémoration de l'anniversaire du cessez-le-feu (18 mars 1962), relevons: "J'éprouve du respect pour ces hommes […] mais ces histoires ne m'intéressent pas." Ou encore celui qui dit : "L'indépendance représente la fin d'une galère et l'avènement d'une autre, plus grande encore." [4]
Comme si la révolution, la guerre d'indépendance sont loin des préoccupations de ces jeunes.

Le film a reçu le prix du meilleur long-métrage arabe au festival Doha-Tribeca. Le jury a précisé que ce film avait été choisi pour sa capacité à " exprimer avec courage ce qui se passe dans les pays arabes et à dévoiler la répression ".

Seltana Hammadouche
Université de Bordeaux 3

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