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Entretien avec Rahma Benhamou El Madani, réalisatrice franco marocaine
"On se complète si bien, quand ça marche".
critique
rédigé par Amina Barakat
publié le 02/06/2012
Amina Barakat (Africiné)
Amina Barakat (Africiné)
Rahma Benhamou El Madani, réalisatrice
Rahma Benhamou El Madani, réalisatrice
Tagnawittude
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Affiche sortie française
Affiche sortie française
Je suis chez moi, 2007
Je suis chez moi, 2007
Du côté de chez soi, 2003
Du côté de chez soi, 2003

Rahma, de son prénom purement marocain, fait partie de cette vague de jeunes femmes qui ont choisi de se mettre derrière la camera. Comme beaucoup de ses collègues, elle se sent prête à dire son chapitre à elle, sans parapluie ni tuteur. De nationalité française et d'origine marocaine, Rahma est née en 1966 à Aïn Kihal en Algérie. Elle quitte ce pays à l'âge de six ans avec sa famille, pour aller vivre dans la région de Bordeaux en France. Elle y suit des études de communication et sciences du langage ; parallèlement, elle effectue des reportages documentaires ainsi que des animations à la radio Clé des ondes de 1989 à 1992. Rahma part suivre des études de lettres modernes à Lille, avant de travailler pour radio c à Waziers dans le nord de la France en 1998-1999.
En 2000, elle est chroniqueuse à Echo FM Anor. Rahma a donc enchainé plusieurs métiers où l'image a toujours été le centre d'intérêt. Finalement elle n'a pas hésité à jeter l'ancre dans le champ cinématographique, pour faire ses films et raconter ses histoires de la manière qu'elle juge intéressante à ses yeux. Rahma Benhamou El Madani s'est prêtée à une interview, où elle parle à cœur ouvert et met l'accent sur les problèmes qui la dérangent le plus dans la fabrication d'un film. Elle vient de réaliser un long métrage documentaire, "Je suis sur la route", portrait d'une femme taxi de 70 ans. Elle travaille actuellement sur plusieurs projets dont "Plus fort que tout le reste", un court métrage de fiction, en cours de réalisation, et d'un long métrage de fiction "Prise de tête".

Rahma a aussi travaillé pour la société Plein Cadres à Lille au niveau de la production et du montage de dossiers de production avec le Maghreb, la Belgique ainsi que d'autres sociétés françaises. Elle a écrit et réalisé des films documentaires et fictions sur les thèmes de la femme au travail, l'immigration mais aussi la musique. Son dernier bébé se nomme "Tagnawitude", un documentaire sur la musique des Gnawas.

Est-ce que vous croyez au cinéma au féminin ?

Je ne vois pas comment on peut appeler un film fait par une femme. C'est du cinéma féminin, oui. En plus d'être bien autre chose, c'est tout simplement du cinéma. Je pense d'ailleurs que le cinéma des femmes est toujours plus fort en termes d'images, d'émotion, et presque je dirai plus dur que le cinéma masculin. Il y a cet adjectif "c'est un film de femme" qui pourrait signifier moins bon dans l'esprit de certains… il n'en est rien. Je constate dans notre cinéma une volonté plus forte pour représenter avec notre sensibilité féminine des sujets souvent tabous, non dits, ou tout simplement de controverse. Notre cinéma n'est pas fleur bleue, souvent il dépasse les frontières, sort des sentiers battus, et interroge la société sur des thèmes cruciaux. Oui, il y a un cinéma féminin.


court métrage extrait "Plus fort que tout le reste ?"

rahma | Myspace Video



Pour vous est-ce qu'être femme et réalisatrice est un défi ?

Je viens surtout du documentaire. Dans ce domaine il est vrai qu'il est souvent difficile de faire des choix entre des techniciens hommes qui vont avoir un regard bien différent du mien, à l'image par exemple il ne s'agit pas de la même façon de cadrer, ou d'appréhender l'autre. Quand je cherche la discrétion, l'homme va vouloir se mettre en avant… Être réalisatrice, c'est un défi à toutes les étapes de la fabrication d'un film. Il y a une idée de parité qu'il faut évidemment privilégier, pour construire un projet. Je pense que le défi vient de cette idée de toujours faire avec l'autre ; le cinéma est un travail d'équipe. J'ai réalisé tout de même mes films avec peu de techniciens, filmant moi-même et m'imposant à tous les stades de la production. Je ne pense pas que le défi soit là où l'on pense pourtant. Il n'est pas dans l'approche avec le réel, mais avec les techniciens sur le terrain. Tout est une question de choix qu'il ne faut pas lâcher et si on peut d'ailleurs être ferme en douceur ça vaut mieux pour tout le monde. Sinon, alors, il ne faut pas faire de concessions. Voilà où est le défi : l'autre collègue qu'il soit homme ou femme, qu'il faut intégrer dans le projet que l'on porte et à qui on va se livrer pendant une aventure filmique.

Quels sont les problèmes épineux qui se posent à vous en tant que réalisatrice ?

En tant que réalisatrice, mes problèmes sont les mêmes que ceux de mes collègues masculins. Nous avons des soucis d'ordre financier, des soucis liés à nos sujets, à leur format, à leur diffusion… Outre tout cela, les problèmes que l'on rencontre sont souvent liés à la manière dont nos interlocuteurs vont nous percevoir. Est-ce que l'on va être soumise à la discrimination en tant que femme ? À mes débuts, on me signalait que je ne pouvais pas m'occuper de technique, ce que j'ai évidemment fait. On me faisait comprendre que je ne pouvais être que scénariste et laisser la réalisation à un homme… ce que je n'ai pas fait. Il faut être très têtu pour faire ce que l'on a décidé de faire.


Je suis chez moi

rahma | Myspace Video



Est-ce que vous croyez que la coproduction Sud-Sud peut participer à l'évolution du cinéma au Maghreb et en Afrique ?

Je vis à Paris, originaire du Maghreb, mes films sont déjà une coproduction entre le Nord et le Sud. Je me suis intéressée à la production pour proposer mes films qui touchent à des sujets que je pensais ne jamais pouvoir faire sinon. Il est vrai que le domaine de la production - selon les critères des pays - est un vrai casse tête. Par exemple en France, les réglementations régionales, mais aussi nationales, en matière de coproduction, souvent sont décourageantes. Les coproductions entre pays du Sud sont possibles, et je pense, doivent se développer pour sortir d'une certaine dépendance. J'ai réalisé un film entre le Maroc, l'Algérie et la France. Je n'ai pas réussi à avoir de fonds au Maghreb. Du coup, mon film a souffert dans sa sortie et dans sa production. Il y a peu de chance dans ces cas-là pour que nos productions s'en sortent indemnes.

Quels sont les thèmes dans lesquels vous vous sentez à l'aise en travaillant dedans ?

J'ai réalisé des documentaires plutôt sociaux, engagés, mais aussi un court métrage fiction expérimental, et un documentaire musical. Je prépare un autre documentaire musical plutôt international, et une fiction sur une femme chinoise… Ce qui m'inspire ne dépend jamais d'un sujet en particulier mais plutôt d'une émotion. Si je suis touchée par un événement, par une personne, une situation, alors ça sera le déclic qui ne me quittera pas jusqu'à la sortie du film. J'aime être transportée par ce que je cherche à travers une histoire. Il vaut mieux d'ailleurs car l'aventure peut être assez longue entre le moment où on a eu l'idée et la concrétisation. Il faut tenir !

Comment vous voyez le champ cinématographique marocain ?

Je crois que je suis un peu mal placée de là où je suis pour juger ce cinéma. Mais je suis toujours peinée de constater que le documentaire reste le parent pauvre du cinéma marocain. Il n'a pas sa place dans les programmations des festivals, et quand il l'est les projections sont marginalisées (Festival de Tétouan) ou bien le format pellicule est privilégié alors que plus personne ne tourne sous ce format là… D'ailleurs même pour la fiction il va devenir désuet avec l'entrée du numérique. Le champ cinématographique a changé ; il faut s'adapter et permettre une démocratisation du cinéma dans son ensemble. Je suis pour un cinéma proche de la population marocaine et donc aussi pour que celui qui a envie de réaliser un film puisse le faire plus facilement, de façon à avoir du coup un cinéma plus populaire et plus représentatif de notre société dans toute sa spécificité.




Votre dernier documentaire sur les Gnawas a été applaudi dans plusieurs festivals internationaux. Qu'en est-il avec le Maroc ?

Mon dernier film que j'ai produit tant bien que mal voyage beaucoup. Je suis un peu surprise qu'au Maroc il ne soit pas encore diffusé. Je sais que le documentaire n'a pas beaucoup de place au Maroc. Tant que l'on en sera à considérer le cinéma uniquement en termes de fiction, alors des films comme les miens et d'autres ne seront pas pris en compte. Je suis heureuse quand les Gnawas reconnaissent mon travail. Ce film qui voyage, il le doit à eux seuls. Donc je n'ai pas de peine à ne pas aller dans les festivals de cinéma. Je ne fais pas de films pour me retrouver uniquement avec mes collègues. Je pense que transmettre notre culture à l'étranger est plus important. Qu'un film documentaire sur les gnawas tourné au Maroc en majorité, voyage au Chili, au USA, au Canada etc… est signe qu'il s'impose. C'est ce qui m'importe. Après que les Marocains du cinéma ne le comprennent pas ne me regarde pas. Ils seront prêts peut être un jour à constater que nous Marocains dit du Monde sommes aussi Marocains !

Qu'est-ce que vous préférez le plus faire : des films de fiction ou des documentaires ?

Le documentaire m'apporte une grande liberté. Je pense que je ferais tout le temps des documentaires. Je viens de là. Mais j'aime aussi raconter en fiction le réel. Pour moi, il n'y a pas de frontière. Le réel peut être plus fort en documentaire, parce qu'on arrête le temps, on focalise sur des séquences, des moments, des personnages… et en fiction aussi. Je suis en train d'écrire un long métrage fiction inspiré d'une histoire vraie et j'ai un autre film de fiction en recherche. Je n'ai réalisé pour le moment qu'un court métrage fiction mais j'ai l'impression d'avoir besoin des deux modes de narration. Je pense à des cinéastes comme Robert Kramer qui a su passer de l'un à l'autre. J'aime ce genre de cinéma qui mélange les genres. La forme fiction ou documentaire est un choix que l'on fait à peine ! Cette forme s'impose à nous.

Les métiers du cinéma sont en train de se féminiser. Est-ce que vous pensez que cela peut être un plus pour vous ?

Je me suis habituée à faire à ma façon, tout en travaillant avec des hommes en production ou en tant que techniciens. J'ai pu une seule fois confier la caméra à une femme, une Chinoise, et j'avoue avoir été agréablement surprise. Je retrouvais la même énergie, la même façon presque brutale et douce de s'approcher de l'autre. Je crois tout de même que l'idée de parité doit être privilégiée, car on se complète si bien, quand ça marche ! Notamment en montage. Il me semble que c'est le moment crucial où cette combinaison homme-femme est la plus importante. J'aime la mixité dans un sens comme dans l'autre. Ce qui me préoccupe le plus c'est la compréhension et l'entente sur un projet. Certaines personnes ne peuvent travailler que dans le conflit ; il va de soi que c'est chacun qui voit comme il doit faire. Mais c'est propre aux deux sexes.

La distribution est un gros problème dont souffrent les réalisateurs surtout en Afrique et au Maghreb qu'en pensez-vous ?

Il me semble que la distribution pose problème. À mon avis, nous ne pouvons imposer nos productions que si elles sont soutenues de façon sérieuse jusqu'à la distribution. Il faut favoriser la circulation des films en pensant aux sous titrages, mais aussi aux coproductions. Je vis et je travaille en France ; mes films sont tournés partout, j'ai eu la chance d'accompagner mes films à l'international. Et j'ai du mal à diffuser mes films dans mon pays d'origine, parce qu'il y a comme une sorte de vase clos. Le propre de notre métier est la libre circulation. Je pense au modèle belge par exemple, petit pays mais qui s'impose d'une façon assez belle à l'international autant dans le documentaire que dans la fiction. Pour une simple raison : leur souci premier est l'œuvre. J'ai eu la chance de pouvoir travailler avec des coproducteurs belges et j'ai pu observer leur fonctionnement en matière de distribution des films. C'est cela qui doit être réfléchi, pour ne pas laisser un film sur le carreau, porté seulement par son auteur.

Propos recueillis par Amina Barakat

Le 6 juin 2012 : sortie en salles de TAGNAWITTUDE au Cinéma LA CLEF (Paris) à 20h, suivie d'une rencontre.

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