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Joe Ouakam, de Wasis Diop
Balade dans l'intimité d'un artiste
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 04/07/2012

La 16ème édition du Festival Ecrans Noirs vient de débuter. En attendant le palmarès, retour sur le film qui a remporté l'Ecran Documentaire l'année dernière, présenté en avant-première le 20 juin 2011 au Centre culturel de Yaoundé. Le célèbre musicien sénégalais Wasis Diop a commis là son premier film, un documentaire de 26mn.

Sous-titré "Fête de l'âme", Joe Ouakam explore la journée non seulement d'un individu, Issa Ramangelissa Samb, de son vrai nom, mais aussi celle d'un personnage, Joe Ouakam, un peintre-sculpteur.

Dès les premières images, Wasis Diop fixe le spectateur. "J'explore l'âme, ce qu'elle offre", entend-on d'emblée. Pour ce faire, le réalisateur montre son personnage-individu laçant ses chaussures et filme avantageusement ses pieds, pour nous prévenir qu'il va nous engager dans les rues de Dakar, à pied, où la solitude et la singularité d'un être atypique vont être mises en exergue. Et presque tout au long du film, l'acteur va marcher, dans ce microcosme dominé par l'artifice, en écoutant ses pas.
Par conséquent, le son prend une dimension esthétique décisive dans cette œuvre, car, pour le réalisateur, l'œil doit entendre, pendant que l'oreille voit. Wasis Diop y apporte ainsi, avec beaucoup de bonheur, la touche particulière du professionnel du son qu'il est. On peut entendre, par exemple, le bruit de la mer, à partir de l'atelier du peintre, où le bric et le broc que le réalisateur nous présente rappellent les origines de l'homme.

De cet univers composite, Wasis Diop extrait le géniteur - ne se positionne-t-il pas lui-même en créateur ? Au travers de son documentaire, il a le mérite de montrer deux films à la fois. Un film sur un homme ; un autre, contenu dans le premier, le personnage que vit cet homme. Ce faisant, il soumet le spectateur à une technique de double regard, où la caméra campe son sujet, d'une part, dans son intimité, c'est-à-dire dans son imaginaire, son inconscient, et d'autre part, dans son vécu, autrement dit, dans son extériorité.

Ainsi considéré, Wasis Diop emprunte au cinéma surréaliste. Son film ne relèverait-il pas d'une écriture automatique ? D'abord au sens de ce courant esthétique où la forme devient le contenu, car Joe Ouakam ne repose pas sur une véritable histoire. Ensuite, parce que le film sonde la pensée de son protagoniste à travers de multiples évocations (dans une dictée où figurent certaines personnalités politiques sénégalaises) et de nombreux questionnements relatifs, entre autres, au naufrage du bateau Le Joola (avec un nombre de victimes plus important que la tragédie du Titanic), au problème de la Casamance, à la création - "Yalla [Dieu, en wolof, Ndlr] s'est créé lui-même avant de créer" -, à la morale africaine, etc. L'acteur part d'un fait à un autre, sans transition ni lien apparent entre eux, une manière pour l'auteur de s'inscrire dans un processus de subversion, pour déployer sa liberté créatrice.

Jean-Marie MOLLO OLINGA

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