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Cinéma et télévision : mal nécessaire ou partenaires incontournables ?
Écrans noirs 2012
critique
rédigé par Pélagie Ng'onana
publié le 11/07/2012
Pélagie Ng'onana (Africiné)
Pélagie Ng'onana (Africiné)

Des professionnels se sont réunis lors de la 16ème édition des Écrans noirs pour débattre sur les stratégies de financements du cinéma qui se font de plus en plus rares, l'émergence de la télévision et la place accordée aux deux entités.

Initiées depuis quelques années par le festival Écrans noirs, les rencontres interprofessionnelles sont devenues un rendez-vous annuel. Elles portent généralement sur le thème principal de l'édition du festival. Depuis leur création, ces rencontres sont cordonnées par Gaston Kelman, écrivain et critique camerounais basé en France. Cette année, c'est autour du "développement de la télévision africaine : atout ou frein pour le cinéma du continent " que les divers participants ont confronté leurs points de vue. Les différents avis reconnaissent que la palabre entre le cinéma et la télévision a été et continue d'ailleurs à être présente dans tous les pays du continent.
"Il fallait donc répartir les rôles et préciser les différents financements des deux entités", indique Gaston Kelman qui constate que pour se démarquer, le cinéma s'invente des systèmes techniques de plus en plus sophistiqués, question de se rendre plus divertissant. En faisant par exemple appel aux effets spéciaux avec la complicité des décors et des studios. Les puristes du 7ème art défendent ainsi ce caractère exceptionnel que porte l'image du cinéma et qualifient un film de cinéma diffusé en télévision de fleur sans parfum, ou encore, une femme sans maquillage. En face, la télévision qui a pour vocation d'informer, former et divertir se positionne. La conjoncture aidant, elle concourt à palier l'absence des salles de cinéma qui se ferment progressivement.

Mais en réalité, la télévision est un faux ennemi du cinéma. Il est tout simplement pris en bouc émissaire. La responsabilité est collective, pense Pierre Jalladeau de CFI (Canal France International). La télévision, pour lui, ne peut pas avoir capté le public du cinéma, étant donné que dans certains pays d'Afrique de l'Ouest par exemple, 23% de foyers disposent d'un poste de télévision. Par ailleurs, la télévision diffuse des productions qui peuvent facilement tourner, être acheté et remporter de l'argent. "Il faut aussi noter que les fonds de financement du Nord pour le cinéma du Sud ont régressé. Notamment la Francophonie qui a considérablement réduit son budget de financement qui allait jusqu'à 70% du budget total d'un film", rappelle Pierre Jalladeau.

Cinéma populaire

Délégué général des Ecrans noirs, Bassek ba Kobhio n'a pas la même lecture, lorsqu'il soutient qu'en Afrique Centrale, notamment au Cameroun, avoir le petit écran ne coûte plus grand-chose. Pour lui, il y a une revanche des produits télévisuels. La banalisation des frontières y est pour beaucoup, avec l'avènement du numérique, qui, plus léger facile le transport et la diffusion. Sans encourager les vidéastes qui se proclament trop tôt cinéastes, il demeure que la télévision en Afrique a un public qui fait vivre l'œuvre qu'elle soit cinématographique ou audiovisuelle. Il est donc question pour Bassek, de faire consommer un produit dans une économie qui est à l'échelle de la conjoncture générale ambiante. "Nos films sont donc malheureusement programmés à la télévision, et nous devons sortir du mythe du format et penser à donner un véritable parcours à nos œuvres", pense-t-il. Elle semble donc bien lointaine, l'époque où le cinéaste snobait et lançait un regard en plongé au réalisateur de films de télévision.

L'organisateur du colloque regrette tout de même que le public ne s'applique pas véritablement pour regarder un film à la télévision. C'est généralement en vaquant à d'autres occupations que le téléspectateur jette, de temps en temps, un coup d'œil au film qui est en train de passer. Une attitude qui pénalise les créateurs et ne favorise pas cette relation entre le public et le film telle que souhaitée par les cinéastes.
Le délégué général des Ecrans noirs note, en plus, que faire du cinéma a comme avantage, l'exigence de l'apprentissage et de la rigueur. Un point sur lequel il est rejoint par André Ceuterick, délégué général du Festival international du film d'amour de Mons qui insiste surtout sur la qualité technique et artistique du produit.
"Que l'on tourne en 35 mm, en vidéo ou en mini DV, une œuvre doit faire preuve de créativité et d'originalité. Ce ne sont pas les supports qui créent, bien que la sensibilité change selon qu'on regarde un film en salle ou sur petit écran. En Belgique, on a des films de cinéma qui ne sortent jamais en salles mais plutôt dans des vidéos clubs et ils ont du succès", précise Ceuterick qui remarque que les œuvres audiovisuelles n'assurent pas toujours sur les plans artistique et sociétal. Puisque la télévision, plus pragmatique, n'hésite pas à diffuser des films à la création et la qualité artistique limitées mais qui sont en phase avec les attentes du public. On parle de cinéma populaire.

La télévision au service du cinéma

Si en France, la télévision assure environ 40% des frais engagés pour une production, en Allemagne l'État subventionne le cinéma parfois jusqu'à 80%, la BBC anglaise octroie 25% de son budget à la production du 7ème art. Bon nombre de pays africains attendent encore ce genre de geste salvateur de la part de leurs gouvernants. Il convient de souligner l'exception que constitue le Maroc dont le gouvernement arrive aujourd'hui à produire annuellement 27 films. Hormis l'existence d'une structure indépendante de financement du cinéma, le pays bénéficie en outre d'une loi de 1997 octroyant 5% des recettes publicitaires des chaînes TV publiques et privées à la production cinéma.

Lucien Mailli, cinéaste formateur et réalisateur camerounais, soutient que seule la volonté politique de nos dirigeants constitue l'élément déclencheur d'une réelle prise de conscience, pour que les chaînes de télévision arrivent à financer et à booster la production cinématographique du continent. Il propose les redevances et autres taxes audiovisuelles, les textes légiférant l'action des chaines de radio et TV tant publiques que privées, des sponsors et opérateurs économiques et téléphoniques, les exploitants des richesses aquatiques, forestières, minières et touristiques.

Seulement, dans ces pays dits émergents, les télévisions privées peinent déjà à assurer le salaire de leurs employés. "La plupart des responsables sont des commerçants et ne comprennent rien au cinéma", ajoute la réalisatrice Francine Kemegni. Coproduire ou acheter une œuvre cinématographique relève d'un exploit. Ils se contentent ainsi à diffuser des télénovelas, des téléfilms ou séries "à trois sous" qui contribuent à abrutir le public artistiquement et socialement.
"Vu leur statut, il est difficile pour l'Etat de financer les télévisions privées puisqu'elles ne se soumettent pas aux exigences de service public au même titre que les TV étatiques", note Pierre Jalladeau.

Au Cameroun par exemple, la décentralisation est encore embryonnaire pour pouvoir soutenir le cinéma comme c'est le cas en France. Le pays passe trois à quatre ans sans produire un long métrage.
Pour espérer obtenir un appui considérable et définitif du gouvernement, Olivier Bilé, cinéaste et enseignant, propose comme tous les panélistes, la constitution des lobbyings. Faisant remarquer qu'il est difficile d'aboutir à une subvention permanente en procédant individuellement. Il est pour cela question de briser les clivages qui existent, depuis des lustres, entre les anciens et la jeune génération de cinéastes. Ou même entre les différents cinéastes dont certains se conforment dans l'opportunisme et l'intérêt personnel. Le volontarisme politique en Afrique est tributaire d'un bouclier culturel solide et solidaire qu'auront mis en place les acteurs du secteur. Et c'est ce qui semble le plus manquer à nos pays.

Pélagie Ng'onana

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