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Entretien avec Pascale Obolo, réalisatrice camerounaise de Calypso Rose
"Montrer un autre cinéma, différent, moderne et qui dialogue avec le reste du monde"
critique
rédigé par Harouna Gorel
publié le 08/03/2013
Pascale Obolo, réalisatrice, au Fespaco 2013
Pascale Obolo, réalisatrice, au Fespaco 2013
Calypso Rose, chanteuse
Calypso Rose, chanteuse
Calypso Rose, sur scène
Calypso Rose, sur scène
Calypso Rose, chanteuse
Calypso Rose, chanteuse
Depuis le Sud
Depuis le Sud
Tunisie
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Fespaco
Fespaco

Bonjour Pascale, pouvez-vous nous présenter votre film Calypso Rose ?

Calypso Rose est une artiste. La première femme à avoir remporté le titre de reine du calypso, et qui faisait partie aussi du premier mouvement féministe à Trinidad. Toute sa vie, elle s'est battue pour le droit et l'égalité des femmes dans les Caraïbes. Pour moi, elle est un exemple en qui beaucoup de femmes peuvent se retrouver, aussi bien les Occidentales que les Africaines.



Combien de films avez-vous à votre actif ?

Une dizaine de films dont des longs métrages documentaires, des films expérimentaux, de la vidéo d'art mais aussi des fictions. Je travaille beaucoup sur l'écriture, je donne des cours à Paris sur comment faire évoluer le cinéma à travers l'évolution des nouveaux médias, des nouvelles écritures. C'est ça qui m'intéresse. C'est vrai aussi que dans mes films, il y a un travail très spécial sur la construction du récit.
Par exemple, Calypso Rose a une construction bien précise et spéciale, c'est-à-dire que je me suis servie de visions et j'ai re-raconté ces visions, qui donnèrent un rythme au film, t'emmenant chaque fois d'un pays à un autre, de te faire voyager en somme.

Calypso Rose est dans la compétition documentaire…

Oui et c'est la première fois au Fespaco. Je suis très contente surtout que Rose a toujours voulu que ce film soit vu en Afrique. J'espère que ce film va être remarqué, parce que je trouve qu'il a une écriture innovante pour le cinéma africain et qu'on a besoin de gens qui essaient d'innover dans l'écriture, qui essaient de faire avancer, de faire évoluer le cinéma, de montrer un autre cinéma, différent, moderne, et qui dialogue avec le monde entier. C'est tout ce travail sur l'esthétique qui m'intéresse. De montrer que même à travers l'esthétique on peut raconter, montrer des histoires fortes qui touchent les gens.
Donc je suis très ravie d'être interviewée par la critique, parce que j'ai moi-même une revue d'art contemporain africain [www.afrikadaa.com, Ndlr. Cliquez], je suis la rédactrice en chef de cette revue qui est en ligne, et je pense que la critique est importante pour nous, artistes. Ça nous permet de nous poser des questions sur notre travail, de nous remettre en question et donc d'évoluer aussi.



Calypso Rose est un film qui nous fait voyager : Trinidad, les États-Unis, l'Afrique. Pourquoi ?

C'est une construction très spéciale. Dans mes films, je travaille beaucoup sur les nouvelles écritures, sur l'évolution des langages cinématographiques, donc visuelles. Dans chaque ville, on découvre une facette de l'histoire de cette femme.
Tobago, c'est sa ville de naissance. New York, c'est la femme immigrée qui part à la conquête du monde, qui lutte pour ses droits et pour le respect de l'égalité des droits des femmes. Paris, c'est la femme artiste, parce que c'est une Diva qui a sacrifié toute sa vie à la musique, à son art. Et quelque part, ce sacrifice fait aussi qu'elle ait connu la solitude. Parce qu'elle ne vit qu'à travers la scène. C'est comme une espèce de drogue. Aujourd'hui, elle a soixante-treize ans, mais elle continue à tourner, à faire des concerts dans le monde entier.

Le seul moyen qu'elle a de recevoir de l'amour, c'est au travers de ses fans, lorsqu'elle se trouve sur scène. C'est pour cela qu'elle a besoin continuellement de chanter, d'échanger et de partager cette passion avec le public.

Ce film est l'histoire d'une femme qui a été violée à 18 ans, par trois hommes. Depuis, elle ne s'est pas mariée, on a même l'impression qu'elle déteste les hommes…

En fait, ce fut un traumatisme. Jusqu'à 18 ans, elle n'avait jamais eu de rapports sexuels. Puis elle fut violée par trois hommes. Donc c'est un électrochoc pour elle. Elle est meurtrie dans son corps, et quelque part c'est dur de réparer ça. Depuis, elle a une peur de l'homme parce qu'il y a eu cette violence qu'elle a subie à 18 ans. Et jusqu'à aujourd'hui elle n'a jamais pu retrouver la paix en elle-même.
Mais peut-être que ce film lui a permis aussi de se réconcilier avec les hommes, avec la société. Surtout que ce fut la première fois qu'elle racontait son viol devant une caméra, devant son public. Elle a caché cette histoire jusqu'à l'âge de 70 ans.

Elle a gardé cette histoire en elle, elle ne l'avait encore jamais racontée, ni à sa famille, ni à personne. Vous voyez, c'est très dur de garder un secret aussi lourd en soi. Et pourtant, quand on la voit sur scène, elle joue avec les hommes, et dans ses textes elle n'a aucun problème avec eux. Cette image de "femme artiste" qu'elle s'est fabriquée, c'est une manière aussi de se protéger.

Quels sont vos rapports avec cette femme ?

Nous sommes devenues très proches du fait que j'ai mis cinq années à faire ce film. Ma mère est décédée au bout de la deuxième année, et je n'avais plus la force pour continuer ce film. Je me souviens de Calypso, m'appelant pour m'informer que nous n'avions plus d'argent pour continuer ce film. Elle m'aida à trouver l'argent, notamment auprès du gouvernement de Trinidad qu'elle sollicita.

Quelque part, elle remplace aussi cette mère que je venais de perdre et du coup, me redonna le courage et la force de continuer à faire ce film. Depuis, il y a cette relation de confiance, de mère à fille, qui s'est installée, pendant tout le tournage du film.

Propos recueillis par Harouna GOREL

Article écrit dans le cadre de l'atelier du Bulletin Africiné - Ouagadougou (Burkina Faso), FESPACO 2013. Publié dans Africiné n°18 (Ouaga), pp. 4 & 5, Mardi 26 février 2013.
Ce bulletin est publié par la Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (FACC, Dakar) avec le soutien de l'Organisation internationale de la Francophonie, Africultures, Ambassade de France au Sénégal et en Algérie, le Goethe Institut d'Afrique du Sud et du Nigeria, le ministère de la Culture de Tunisie, l'Institut Gabonais de l'Image et du Son (IGIS), l'association Vanuit het Zuiden (Depuis le Sud) et le Fespaco. Il est rédigé par des journalistes membres de la FACC présents au Fespaco 2013, venant de 15 pays d'Afrique.

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