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Cinéma et école en Afrique: la lecon dans le cinéma en Afrique
critique
rédigé par Charles Ayetan
publié le 02/07/2013
Charles Ayetan (Africiné)
Charles Ayetan (Africiné)

"Le cinéma africain est un "moyen d'éducation de masse"". Cette affirmation trouve son fondement dans plus d'une initiative de réflexion autour du septième art. Deux exemples: le premier est un colloque qui a eu lieu à Lagos (Nigeria) au cours du deuxième Festival mondial des Arts négro-africains sur le thème "Civilisation noire et éducation", le deuxième est un séminaire tenu à Ouagadougou (Burkina Faso) du 8 au 13 avril 1974 sur le thème "Le rôle du cinéaste africain dans l'éveil d'une conscience de civilisation noire" ("Le rôle du cinéaste africain dans l'éveil d'une conscience de civilisation noire", Présence Africaine, Revue culturelle du monde Noir, Nouvelle série bilingue, n° 90 2e Trimestre 1974). Il est ainsi reconnu au cinéaste africain, une responsabilité importante dans "l'éveil d'une conscience de civilisation noire" et l'émancipation des populations. "Il s'agit donc de promouvoir ou d'aider à la promotion d'un cinéma populaire, non au sens condescendant, dévalué, du terme, mais au sens où ce cinéma se mettrait à l'école et au service des peuples d'Afrique sans pour autant enchaîner sa liberté et sa créativité propres", lit-on dans l'argumentaire de ce séminaire sur le rôle du cinéaste africain.

Le cinéaste africain a ainsi une grande responsabilité et détient un pouvoir dans la formation des consciences, rôle qu'il doit assumer à travers l'inspiration d'une "solidarité historique et culturelle entre les communautés du monde Noir" et l'éveil d'une "conscience de civilisation".

Le cinéma, un art et un médium

Médium de masse par essence, le cinéma, également connu sous le nom du septième art, exerce une forte influence sur les populations du monde entier, notamment celles de l'Afrique. Il suffit d'observer les effets, les réactions que suscite une projection de film en Afrique, que ce soit en salle ou en plein air : interjections, sifflements, commentaires, acclamations pour une action spectaculaire ou exemplaire d'un acteur. Sur le continent noir, le cinéma a connu, entre autres, l'étape des films historiques, films portant principalement sur le passé historique du continent : royaumes, chefs historiques à l'instar de Chaka, Gbéhanzin, Samory, Soundjata, etc. Il s'agissait dans ces films de susciter et développer la conscience historique, de même que la connaissance des peuples noirs. Il y a également des films inspirés d'œuvres littéraires et des films portant sur les réalités sociales (conditions de vie et de travail, syndicalisme, revendications de libertés et respect des droits humains, exode rural, émancipation, modes de vie, etc.). Dans le contexte du cinéma-école, on peut relever la catégorie des films didactiques parmi lesquels ceux qui portent sur les valeurs humaines, la morale, la sagesse africaine, les techniques traditionnelles de mise en valeur des ressources… Dans ce cas de figure, "le cinéaste se met à l'écoute du peuple, exploite les richesses de la tradition orale et de la vie des communautés noires; et c'est au contact de celles-ci, en se mettant à leur école, que le cinéaste peut faire jaillir des contenus nouveaux et forger une écriture et un style même pour l'art cinématographique africain" (Présence Africaine, n° 90 2e Trimestre 1974).

Le cinéma, une école du soir

Reconnu comme "pionnier du cinéma africain", "doyen" ou encore "l'aîné des anciens" du cinéma en Afrique, Sembène Ousmane (1923-2007) considère le cinéma comme une école du soir et non pas comme un simple divertissement. En effet, le fascinant parcours de Sembène Ousmane, ce célèbre autodidacte africain, met en relief le chemin sinueux d'une quête, "la quête d'émancipation et de réalisation de soi". Ses expériences lui ont permis de découvrir que la réalité ne peut être transcendée que par sa représentation notamment par l'écriture, l'écriture de la fiction. Militant syndicaliste et politique de la première heure, Sembène Ousmane trouva et réalisa dans le cinéma le prolongement de la politique par d'autres moyens: ceux de l'imaginaire. Il forgea dans ce sens un concept, celui du "cinéma, école du soir". "Ses romans et ses films sont généralement des miroirs de la société africaine. Il a une vision panafricaniste qui se reflète dans ses œuvres. En effet, même s'il situe ses héros dans la société sénégalaise, les problèmes qu'il aborde se retrouvent ailleurs en Afrique", écrit Pierrette Herzberger-Fofana (in "Sembène Ousmane 1923-2007, l'ingénieur des âmes"). Au cours d'un entretien accordé à Pierrette Herzberger-Fofana, Sembène a dévoilé sa conception du rôle de l'artiste: il est d'avis que grâce au don qu'il possède, l'écrivain doit créer des œuvres. Pour Sembène Ousmane en effet, "créer, c'est participer à l'évolution de la masse, c'est-à-dire essayer d'être ce qu'on appelle l'ingénieur des âmes ou le forgeron de caractères". La fonction didactique est restée une composante majeure du cinéma de Sembène Ousmane qui, dans ses œuvres littéraires et filmiques, traite des questions sociales, politiques et économiques du continent noir.
A l'occasion d'une leçon de cinéma qu'il donna au Festival international du film de Cannes 2005, Sembène Ousmane rappelait encore que pour lui, comme pour toute une génération de cinéastes, "le cinéma est en Afrique l'équivalent des cours du soir (…) C'est toujours une source d'enseignement permanent comme peuvent l'être les paroles des conteurs de mon enfance".

Le cinéma, une leçon d'histoire…

Bien que les cinéastes réfutent généralement, l'intention de s'ériger en "donneurs de leçon", un nombre considérable de films d'Afrique et d'ailleurs traitent de l'histoire du continent noir. Dans ce sens, plusieurs cinéastes donnent des leçons d'histoire à travers des chercheurs, des griots, des vieux ou des vielles, qui racontent l'histoire des peuples, ou chantent l'honneur des personnalités légendaires telles que le roi, le prince, les dignitaires, les sages, etc. On peut citer le film Keïta, l'héritage du griot (Burkina Faso, 1994, 95 mn) du réalisateur Dani Kouyaté qui à travers cette fiction, déroule la trame de la vie du jeune Mabo qui a eu la chance de découvrir avec stupéfaction l'histoire de ses ancêtres à l'école d'un vieux griot. Ce premier long métrage du réalisateur a décroché plusieurs prix en Afrique et dans le monde: Prix du meilleur premier film au Fespaco 1995 (Ouagadougou, Burkina-Faso), Prix Telcipro 1996 au Festival du Cinéma Africain de Milan et Grand Prix Cannes Junior 1995. Griot de naissance, le réalisateur et comédien Dani Kouyaté au cours d'un entretien au sujet de ce long métrage a confié, "je suis moi aussi garant de l'histoire de mon peuple par rapport aux générations futures… J'ai beaucoup de chance de vivre dans le siècle du cinéma, car le film est un merveilleux instrument pour un griot". Autrement dit, le cinéma est un support sur lequel on peut écrire ou enseigner l'histoire, la morale, la sagesse, les sciences, bref tout ce que l'école moderne peut enseigner à travers les leçons données aux élèves ou étudiants. D'ailleurs, et de plus en plus avec l'avènement du numérique, des projections de films sont faites quelques fois dans des salles de classe pour donner ou compléter les cours du professeur. Souvent conseillers du roi et éducateurs du peuple, les griots ont une grande place dans le cinéma en Afrique et bien de cinéastes ont relevé ces rôles dans leurs films à travers des éloges, des mises en garde ou des dénonciations d'injustices: Madame Brouette (2002, 104 min) et Teranga Blues (Sénégal/France, 2006, 93 min) de Moussa Séne Absa (Sénégal).

L'expérience du cinéma ambulant

Le concept du "cinéma, école du soir" s'est incarné dans les projections itinérantes de films dans les milieux urbains et ruraux et a marqué la vie des populations en Afrique à travers les ciné-bus. Plus récemment, plusieurs pays d'Afrique subsaharienne font l'expérience du Cinéma Numérique Ambulant (CNA). Le Cinéma Numérique Ambulant (CNA) est un réseau d'associations dont l'objectif principal est de diffuser en Afrique, en milieu rural, le cinéma africain.
Créé en 2001, le CNA est présent au Bénin, au Burkina Faso, au Cameroun, en France, au Mali, au Niger, au Rwanda, au Sénégal et au Togo. Le réseau CNA est régi par une charte commune qui a été adoptée en juin 2007. Le siège du CNA-Afrique se trouve à Ouagadougou au Burkina Faso. Ce réseau compte à ce jour, onze unités mobiles qui ont déjà réalisé plusieurs milliers de projections de films, dans des centaines de villages, pour des millions de spectateurs. Ces projections de films sont suivies d'un débat qui permet d'approfondir avec les publics les différents sujets abordés dans les films visionnés: égalité des genres, citoyenneté, pratiques traditionnelles, hygiène et santé, etc. Avec comme devise "Le cinéma pour tous, le cinéma partout", le CNA semble perpétuer le souci du doyen Sembène Ousmane de faire du cinéma l'école du soir. Mais loin de remplacer l'école traditionnelle, c'est-à-dire l'enseignement scolaire, le cinéma démontre à suffisance qu'il est un outil éducatif qui vient compléter le système éducatif en Afrique.

L'école, vue par les cinéastes

Les programmes scolaires dans de nombreux pays africains restent tributaires des programmes coloniaux déphasés et révolus. Quoique des réformes aient été entreprises ici et là, d'importants efforts restent à faire pour améliorer le système scolaire traditionnel. Quelles réformes faut-il alors pour le système éducatif en Afrique ?

En d'autres termes, comment adapter l'école aux réalités et besoins de l'Afrique? C'est la question que se pose l'écrivain et cinéaste camerounais Bassek Ba Kobhio dans son premier long métrage intitulé Sango Malo, le maître du canton (1991, 93 min). En effet, à travers ce film qui a été sélectionné au Festival de Cannes en 1991 dans la catégorie "Un certain regard", le réalisateur traite de la problématique de la finalité de l'école en Afrique en dirigeant les projecteurs sur les clichés et obstacles du système traditionnel, très théorique et peu pragmatique. Ce film s'ouvre sur la brillante formation de Malo Malo Bernard, le nouvel instituteur du village Lébamzip dont l'ambition est de révolutionner le système éducatif des pays d'Afrique. Le jeune maître devrait dès lors affronter toutes les autorités en place: le directeur d'école, le chef canton, le préfet, sans omettre de renverser les normes coutumières issues de longues années de traditions. En un temps record, Malo Malo allait réduire le cadre théorique de l'école en une dimension hautement pratique: cours en plein air, ateliers, champs et projets de coopérative trouvent vie. Une vision pourtant difficile à atteindre sans compromis.

D'un autre côté, le film Finyé (Le vent - 1982, 100 min) du réalisateur malien Souleymane Cissé aborde aussi la thématique de l'école, mais sous l'angle d'une révolte estudiantine, sur fond d'injustices nées de la falsification des résultats scolaires et du rejet d'un amour de jeunesse que certains parents sont déterminés à empêcher, pour diverses raisons. Le réalisateur de ce film y dénonce la fraude et l'abus d'autorité de certains parents et politiques, qui conduisent au trafic des résultats. D'où l'échec injuste qui marginalise certains élèves ou étudiants, éternels recalés aux examens.

Une certaine critique d'un système scolaire corrompu.

On peut citer également, le film Yellow card (Carton jaune - Zimbabwe, 2001, 92 min) du réalisateur et producteur zimbabwéen John Riber qui relate l'histoire de Tiyane, un jeune lycéen dont la vie est partagée entre l'école, l'amour, son bébé et son rêve de footballeur professionnel. Ce film, faut-il le noter, est une comédie qui a suscité beaucoup de réactions de la part du public à l'occasion de sa projection dans une salle de classe du Lycée de Makepe à Douala au Cameroun en janvier 2008 à l'initiative de l'association AfricAvenir International.

Ces réalisateurs, et bien d'autres encore, abordent peu ou prou la "leçon" ou "l'école "en lien avec l'idylle des collégiens, des lycéens ou des étudiants pris dans le dilemme d'un choix entre réussite scolaire, amour et ambitions professionnelles futures. C'est ainsi que S. Ousmane dans son film Faat Kiné (Sénégal/France, 1999, 120 min) attire l'attention sur le personnage principal, Faat Kiné, qui abandonne ses études à l'âge de 20 ans, à la veille du baccalauréat, pour raison de grossesse. Ce film dénonce la stigmatisation liée à la grossesse des jeunes filles sur les bancs de l'école, en même temps qu'il illustre l'héroïsme des femmes en Afrique à l'instar de Faat Kiné qui parvient à éduquer dignement ses deux enfants.
Le court métrage Symbole (Le) de Ahmadou Diallo (Sénégal/Pays Bas, 1994, 8 min) a la force de rappeler à un grand nombre d'adultes et de jeunes ayant étudié en Afrique subsaharienne le phénomène du fameux "symbole" qui est un objet symbolique créé par les instituteurs et que doit porter en guise d'humiliation les élèves qui s'expriment dans leur langues maternelles en classe ou même dans la cour de l'école.

Côté infrastructurel, le réalisateur Cheick Oumar Sissoko dans son film Nyamanton, la leçon des ordures (Mali, 1986, 94 min) nous retrace l'histoire de Kalifa et de sa sœur Fanta renvoyés de l'école parce qu'il n'y a pas de banc; un film qui évoque le drame que vivent certains enfants et jeunes dans nos écoles. On peut aussi évoquer les films comme: Leçon de choses de Fatma Zohra Zamoum (Algérie, 1996) dans lequel le cinéma s'invite dans une école dès la rentrée scolaire avec les élèves comme public, ou encore The First Grader de Justin Chadwik (Kenya, 2011, 103 min), ou Knowledge for life de Sander Francken (Pays-Bas/Mali)…

Quels contenus pour un cinéma-école?

Le septième art en Afrique "devrait avant tout avoir un rôle éducateur" fait remarquer l'écrivain et historien guinéen Djibril Tamsir Niane au séminaire sur "Le rôle du cinéaste africain dans l'éveil d'une conscience de civilisation noire". Ce qui implique selon cet auteur, le rôle d'information et de formation, tout comme celui assigné aux médias dont la télévision qu'il considère comme le corollaire du septième art. Au même moment, plusieurs observateurs dénoncent le rôle de "mauvaise école" du cinéma et de la télévision auprès des adolescents qui cherchent forcément à ressembler aux héros des films d'action dont certains ne montrent pas le bon exemple.

D'où la nécessité de s'appesantir sur le contenu des films si l'on doit opter pour l'hypothèse d'un cinéma africain comme un cinéma-école pour les populations, notamment la jeunesse. En plus du rôle premier de divertissement, le cinéma jouerait ainsi un rôle pédagogique, d'accompagnement, voir de complément de l'école. Mais encore faut-il ne pas occulter la dimension linguistique dans les productions cinématographiques afin de rendre accessibles les œuvres filmiques à la grande masse analphabète des populations africaines. La jeune génération de professionnels africains du cinéma et de l'audiovisuel disposent d'autant de sujets que leurs aînés d'hier en matière d'éveil des consciences et d'éducation des populations".

Charles Ayetan

Cet article a été publié par la Revue Fuorivista, Bologne, Italie. (Articolo tratto dal volume "LA LEZIONE. Da Roberto Longhi a Pier Paolo Pasolini ad Alain Bergala", a cura di Nadia Gagliardi Coja).

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