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Trois questions à Baba Diop, critique de cinéma (Sénégal)
"Un film sur lequel il n'y a aucun article est condamné à l'oubli"
critique
rédigé par Mohammed Bakrim
publié le 10/07/2014
Baba Diop (au centre), entouré du Burkinabé Clément Tapsoba (à sa droite) et du Marocain Mohammed Bakrim (à sa gauche, casquette et foulard), à Khouribga 2014.
Baba Diop (au centre), entouré du Burkinabé Clément Tapsoba (à sa droite) et du Marocain Mohammed Bakrim (à sa gauche, casquette et foulard), à Khouribga 2014.

C'est l'une des figures de proue de la critique cinématographie africaine, Baba Diop occupe d'ailleurs le poste de président de la Fédération africaine de la critique cinématographique (FACC) dont le siège est à Dakar. C'est un fin connaisseur du cinéma africain dans sa grande diversité. Visage familier dans de nombreux festivals internationaux, c'est un grand supporter du festival du cinéma africain de Khouribga. Il nous livre ici sa lecture de l'état actuel du cinéma africain.

Quel regard portes-tu sur le cinéma africain aujourd'hui ? Tu viens d'assister à la 17ème édition du festival du cinéma africain de Khouribga marquée par l'arrivée d'une nouvelle génération de cinéastes (beaucoup de premiers films…) ? Qu'est-ce qui caractérise le nouvel état des lieux du cinéma de notre continent ?

Le cinéma en Afrique avance, tant dans le domaine de la production, de la mise en place d'une législation et d'un environnent économique viable que dans la recherche formelle.
Dans le domaine de la production, soulignons l'existence de festivals nationaux ou internationaux (annuels ex : Khouribga, Ecrans noirs [à Yaoundé, ndlr], Luxor etc.., biennales ex ; Jcc [à Tunis, ndlr], Fespaco, thématiques, Ciné droit libre, environnement, Maroc, Gabon, cinéma de femmes au Burkina…). Ce foisonnement de festivals sur le continent prouve qu'il y a de la matière à alimenter ces lieux de rendez vous du cinéma africain. Il y a quelques décennies de cela, personne n'aurait parié sur l'existence possible de pareils festivals, à cause de la faiblesse de la production de chaque pays.
La mise en place d'un environnement juridico-économique : nombre de pays du continent commencent à comprendre que le cinéma n'est pas un simple divertissement mais bien une industrie et que le film est générateur d'une valeur ajoutée : visibilité du pays, tourisme de l'image, savoir faire des professionnels dans de nombreux domaines (musique, décors, accessoires bijoux, chaussures, vêtements, paysages, mise en étalage de produits de luxes etc…). Ce qui justifie la mise en place d'organisme autonome pour la gestion du cinéma type "CNC" [Centre National du Cinéma, en France, ndlr], la création de fonds pour soutenir la production et l'élaboration de textes réglementaires. Au nombre de ces pays figurent le Maroc, la Tunisie, le Tchad, le Sénégal, le Gabon etc... Le regroupement des directeurs de la cinématographie créé à Khouribga en 2012 est un indicateur de la volonté de placer le septième art parmi les industries culturelles à forte potentialité, sans pour cela brider la créativité des auteurs.



La venue de jeunes réalisateurs, plus fils du numérique et de la télé que du 35mm ou du 16 mm depuis le début du siècle, a donné un coup de fouet à la production avec des orientations clairement définies. Ces jeunes réalisateurs s'inscrivent plus dans un cinéma grand public, avec des moyens de fabrication certes limités, que dans le cinéma d'auteur. La dernière sélection de Khouribga qui a donné grande place au jeune cinéma permet d'affirmer ce que j'avance. L'écriture de beaucoup de ces films emprunte la voie de la simplicité dans le récit, les sujets traités sont plus souvent des sujets d'actualité (le viol et ses conséquences, non à l'exclusion, la réconciliation etc.…)
Il y a chez ces jeunes un engagement citoyen, une volonté de changer les mentalités en douceur et non frontalement comme c'était le cas au sortir de la colonisation. Dans une conjoncture difficile où les budgets de la culture subissent des restrictions, il est rassurant de voir des jeunes porter l'espoir d'un cinéma qui envers et contre tout poursuit son bonhomme de chemin.

ADIOS CARMEN - Amin Benamraoui from Africiné www.africine.org on Vimeo.



L'influence de la télévision est décelable dans beaucoup de ces films. Elle pousse des jeunes vers la réalisation de série tv. Dans l'esprit de ces jeunes, la ligne de démarcation entre télé et cinéma n'est pas très évidente, car de plus en plus, il est question d'Audiovisuel et peut-être moins de cinéma. Le système Nollywood - qui installe le cinéma dans les salons - leur donne à réfléchir quant au type de cinéma à faire, du moins pour ceux qui se trouvent dans la zone d'influence du prêt à consommer nigérian.
Il faut observer que ceux qui continuent à faire des films pour le grand écran creusent avec délectation leur sillon. Au regard de la sélection de Khouribga (Sotto voce, Adios Carmen, Durban poison...), les films sont de grande facture et participent au renouvellement du cinéma mondial. La création d'école de cinéma dans la partie nord de l'Afrique avantage le cinéma du Maghreb sur celui de l'Afrique Subsaharienne.

Dans ce panorama, comment conçois-tu la fonction de la critique cinématographique, à travers les différents supports (média classique et réseaux sociaux…) ?

La critique journalistique - je laisse de côté les études et autres monographies produites dans les universités et centres de recherches en sciences humaines - offre une visibilité au film. Car un film sur lequel il n'y a aucun article est condamné à l'oubli. La critique situe le film dans une époque, un contexte historique, un courant, une conception, un choix délibéré dans l'art de raconter une histoire. Car le film nous renseigne sur la marche de nos sociétés avec ses avancées et ses blocages.
Enfermer la critique dans une seule et unique fonction serait réducteur. La critique journalistique peut être informative, explicative, appréciative, révélatrice de non dits, avec bien entendu un argumentaire fiable et convaincant pour celui qui écrit. La critique peut s'adresser à une cible bien au fait de l'évolution du cinéma et de ces différentes directions (journaux et revues spécialisés). Elle peut s'adresser au grand public qui désire savoir s'il y a un rapport qualité -prix car après tout il paie pour accéder au film (les quotidiens et les hebdos)

Il y a forcément incidence sur le support. Une revue spécialisée, un quotidien à fort tirage, un hebdomadaire, une émission radio ou télé, un blog ou facebook… etc. Chacun de ces médias fait appel à une forme particulière de traitement et ne s'adresse pas au même public. La nature du support exige un traitement particulier quant à la forme.
Étant journaliste de radio et de presse écrite, je n'ai jamais servi le même papier aux deux médias. Celui destiné à la radio est plus impressionniste que celui de la presse écrite qui est plus discursif, plus raisonné. Dans les réseaux sociaux, c'est l'interactivité qui en est la finalité ce qui n'est pas le cas pour les médias classiques. Les émissions interactives sur le cinéma à la radio relèvent plus du programme, avec son côté jeux et gain (coffret Dvd ou ticket d'entrée à une séance de projection).

La FACC [Fédération Africaine de la Critique Cinématographique, basée à Dakar, ndlr] a été créée avec le vaste projet de fédérer les énergies et de contribuer à l'émergence de nouvelles générations de critiques ? Où en est-elle à ce propos ?

Si au début de ma carrière de journaliste culturel, peu de confrères prenaient cette option du journalisme, on peut dire aujourd'hui, en prenant l'exemple du Sénégal que je connais le mieux, rares sont les quotidiens et hebdomadaires ou mensuels qui ne disposent pas de pages cultures qui traitent de cinéma et des autres disciplines artistiques. Des revues spécialisées y ont vu le jour avant de péricliter. Ce fut le cas de "Unir cinéma" du Révérend Père Jean Vast à Saint Louis du Sénégal, de "Ciné -Culture -Afrique" de Annette Mbaye D'Erneville ou encore des "Cahiers d'Afrique" du défunt réalisateur Mahamat Johnson Traoré. Sur le plan continental, il y eut "Écrans d'Afrique / African Screens" piloté par la Fepaci et le COE. Toutes ces revues ont disparu. L'espoir de voir naitre prochaine un magazine dénommé "Senciné" est entretenu par ses initiateurs [La Direction Nationale du Cinéma, au Sénégal, et l'association sénégalaise de la critique cinématographique, ndlr].
La Fédération Africaine de la Critique Cinématographique (Facc) basée à Dakar (Sénégal) regroupe plus d'une vingtaine d'associations nationales. Elle organise depuis quelques années au Fespaco des ateliers de critique de cinéma pour ses membres, avec à la clé la production d'un bulletin quotidien. La Facc dispose d'un site bien référencé, "Africiné", le plus grand site au monde spécialement dédié au cinéma africain et sa diaspora. La Facc soutient d'autres initiatives allant dans le sens du renforcement des compétences des jeunes critiques comme ce fut le cas avec "l'atelier introduction à la critique cinématographique" du 26 au 30 mai 2014 à Dakar en partenariat avec la coopération espagnole et le Festival Cine Africano de Cordoba. La Facc soutient également la production de livres sur le cinéma en Afrique. Certains de ses adhérents sont des auteurs. La Facc étend ses activités à la diffusion de films. Un projet a été finalisé pour l'organisation d'une manifestation cinématographique au cours du sommet de la francophonie de Dakar au mois de novembre prochain. La Facc s'achemine vers la tenue d'un congrès, pour le renouvellement de ses instances qui lui donnera un nouveau souffle.

Entretien réalisé par Mohammed Bakrim
(Khouribga, juin 2014)

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