Le public aura soupé du cinéma marocain lors de cette 18ème édition des Ecrans noirs (du 19 au 26 juillet 2014). Forte délégation du royaume chérifien venue rehausser le colloque consacrée au cinéma marocain et nigérian ; programmation à forte coloration marocaine ; film d'ouverture et de clôture du même Maroc. Entrée et dessert made in Morocco donc. Et même le plat de résistance. Au point de provoquer l'ennui chez les cinéphiles. De par son ancienneté et sa maturité, le cinéma marocain a forcément une conduite à conseiller au nôtre. Pour la circonstance, Nour-Eddine Saïl, DG du Centre Cinématographique Marocain (CCM), a d'ailleurs rappelé quelques réalités : "dans n'importe quel pays africain, on ne peut assurer l'existence d'une cinématographie nationale que s'il y a la volonté de l'Etat d'intervenir financièrement, matériellement".
Le Maroc, comme un roc
Cependant, ceci justifie-t-il qu'un festival comme Ecrans Noirs s'ouvre par un film produit en 1993 ? A la recherche du mari de ma femme d'Abderrahmane Tazi est un film sympathique qui n'a tout de même pas réussi à dissiper la soif du public venu regarder des nouveautés. Surtout à l'ouverture. Les conséquences de cette overdose marocaine étaient, dira-t-on, prévisibles : ils rentrent Ecran d'honneur (Nour-Eddine Saïl) et Ecran d'or (Adios Carmen de Mohamed Amin Benamraoui) en poche. On pouvait en même temps pronostiquer sur une salle du palais des Congrès quasi vide à la clôture. Contrairement au premier jour où les cinéphiles étaient non seulement attirés par les flashes et le tapis rouge, mais également par une programmation alléchante dont le film d'ouverture (comique) donnera le ton.
Climat maussade
Ce lancement décalé, couplé de quelques ratés à l'ouverture aura contribué à créer une ambiance morose qui marquera les sept jours du festival. Le public fidèle est habitué au traditionnel discours du ministère des Arts et de la culture (Minac). Cette fois, rien n'est fait. Sans aucune explication, sans respect pour ce public. Reconnaissons que l'explication est la chose qui manque le plus aux organisateurs des Ecrans noirs.
Le Festival ne se sent aucune obligation d'informer le public en lui expliquant pourquoi les projections programmées à la salle Sita Bella (salle réaménagée par le Minac, destinée à des projections) sont subitement supprimées. Ni pourquoi la qualité des projections à la salle de la CNPS (Caisse nationale de prévoyance sociale) et au village du festival est ignoble.
Et dire que ce n'est pas la première fois que sont annoncées des projections dans la désormais mystérieuse salle Sita Bella. La presse et le public finissent par s'habituer à ce type de déclarations qui meublent fortement le festival. On se retrouve sereinement avec un dossier de presse annonçant un marché du film pendant le festival, confirmé à la conférence de presse. Puis, après, rien.
Quelle couleur auront (désormais) les Écrans Noirs ?
Si rien n'a officiellement filtré sur la taille du soutien du gouvernement cette année, le Festival a au moins annoncé qu'Ecrans noirs sera inscrit au budget de l'Etat. Attendons de voir, disent les "Thomas". Mais l'interrogation qui se développe surtout est celle de savoir quel statut aura le festival après cet acte ? Quel rôle va jouer le gouvernement et quelle sera la marge de manœuvre du promoteur des Ecrans noirs ? Autant de questions qui brûlent les lèvres des journalistes désormais sevrés des conférences de clôture où les organisateurs étaient tenus de s'expliquer sur le déroulement de l'évènement. Mais cette tribune a, il y a quelques années déjà, disparue du paysage Ecrans noirs. Difficile donc d'en savoir un peu plus sur la manifestation des jeunes retenus pour le Ciné talent. Au finish, la finale de ce concours de danse n'a pas eu lieu. Revendications de sous et dénonciation d'abus de confiance.
Mais au regard de la ténacité du délégué général, Bassek Ba Kobhio, l'espoir demeure. On évoque déjà le 20ème anniversaire. Espérer n'est pas le plus difficile pour le public des Ecrans noirs. Il a le plus besoin d'éléments susceptibles de maintenir l'espoir. Des éléments qui à défaut de croitre ne se conservent non plus. On vit une sorte de décrépitude. Car il ne faut surtout pas occulter le fait que ce jeune de 18 ans connaît une crise de croissance.
Diagnostic : amateurisme sévère
Pourtant en 18 ans d'expérience, un festival a eu le temps de comprendre qu'il est judicieux de mettre les gens qu'il faut à la place qu'il faut ; qu'il importe de traiter avec un peu plus de considération, ses collaborateurs et le public qui fait la force d'un festival. Il est plus qu'urgent que de remettre notre Festival Ecrans noirs sur les rails. S'il veut conserver sa place de choix dans l'univers cinématographique locale et s'affirmer comme un jeune de son âge compétent et plein de vigueur.
Pélagie Ng'onana