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Bande de filles
Etre fille, noire, fière, en banlieue parisienne
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 23/10/2014
Michel Amarger (Africiné)
Michel Amarger (Africiné)
Céline Sciamma, réalisatrice
Céline Sciamma, réalisatrice

LM Fiction de Céline Sciamma, France, 2014
Sortie France : 22 octobre 2014

Les groupes féminins s'invitent sur les écrans français pour alimenter le créneau du cinéma commercial, du style Sous les jupes des filles de Audrey Dana, 2014, ou en francs-tireurs pour faire l'éloge de l'indiscipline. C'est dans ce sens que Céline Sciamma livre Bande de filles, 2014, suivant l'intégration d'une jeune Noire de banlieue dans un trio de copines noires, bien décidées à défendre leurs couleurs, leurs looks, leurs éclats. En perçant les questions du collectif qui libère, la réalisatrice y agrège les problématiques du genre qui se posent à l'adolescence et prolongent les thèmes de ses films précédents. Connue dès Naissance des pieuvres, 2007, qui raconte comment un trio d'adolescents vivent l'attente de leur sexualité, appréciée pour Tomboy, 2011, où une fille laisse croire qu'elle est un garçon dont sa copine tombe amoureuse, Céline Sciamma pousse l'investigation identitaire avec Bande de filles.



Après un match de foot féminin assez rude, un groupe de filles de banlieue regagne ses foyers. Au fur et à mesure qu'elles se dispersent, les mots se font rares, l'attention retombe. La caméra accompagne Meriem, 16 ans, coiffure africaine et yeux de biche. A la maison, elle s'occupe de ses petites sœurs, essaie de passer sous les coups du grand frère. A l'école, c'est le redoublement ou l'exclusion qui guettent. Meriem fait le dos rond en se défoulant dans le sport, convoitant l'ami de son frère, un Black réservé qui ne veut pas d'histoires. Lorsqu'elle est accrochée par un trio de filles effrontées et stylées, Meriem esquive encore puis décide d'intégrer la bande. Associées pour mieux faire exploser leur féminité, tenir tête aux garçons, les filles balancent les répliques avec rage.

Elles font des virées de shopping au centre de Paris, dansent du hip-hop à la Défense, s'affrontent dans des bastons où Meriem se distingue fort. Leur must est de louer une chambre d'hôtel pour se faire une soirée de filles, où maquillées et sapées comme des divas, elles dansent sur Diamonds de Rihanna qui a cautionné en personne la séquence. Puis le groupe se disloque sans vagues, et Meriem se rapproche de son amoureux. Elle échappe à sa famille et à sa scolarité en impasse, en se mettant sous la coupe d'un protecteur pour qui elle livre la drogue dans des soirées chics. Habillée façon top model, Meriem joue de sa mauvaise conduite pour faire flamber ses revenus. Elle aguiche son conducteur, comme son protecteur qui veut la soumettre et qu'elle défie en public. Reste alors à faire marche arrière, retour à la case départ, à la porte de l'appartement familial auquel elle est capable de tourner le dos.

Céline Sciamma épouse les mouvements juvéniles, les élans d'adultes, sans livrer de considérations attendues sur la condition des filles noires de banlieue. Effleurant le poids du social et de la famille avec ses interdits, elle ne creuse pas la situation des quartiers. Mais sa mise en scène nerveuse, volontaire, accorde une liberté de mouvements et de ton aux personnages qui semble exorciser ce dont la société voudrait les priver. Bande de filles est un film épidermique qui valorise les corps souples, ondulants, des jeunes Noires. Céline Sciamma les saisit âprement au quotidien, attachées à leur look pour s'affirmer à coups de répliques qui claquent. Elle sait aussi les filmer comme elles se projettent, en sexy girls flamboyantes, danseuses irrépressibles dans leurs soirées secrètes d'entre filles. La synergie des jeunes interprètes avec la caméra, éclate comme un défi à l'ambiance morose et tendue des quartiers.

Bande de filles ancre l'ivresse de vivre dans un territoire de banlieue expressif. Les barres d'immeubles de nuit, semblent un décor fantastique où rôde la pression. L'ambiance de jour est électrique. Dès le départ, l'intro du choc des footballeuses happe les sens, survoltés par la musique électro de Para One. Quand le groupe se disperse, la présence des garçons aux pieds des escaliers relance une autre forme de tension. Céline Sciamma suggère alors comment les filles doivent se poser pour s'imposer face aux hommes qui tiennent les murs, les frères démago protecteurs, les amoureux trop transis, les macs aux aguets. Elle éclaire les moyens qu'une femme, jeune et noire, peut utiliser pour intensifier sa capacité d'action dans la société qui l'entoure, et la cerne. En se révélant dans le collectif, l'héroïne touche une part de son identité. Lorsqu'elle s'en démarque, ce sont les codes de la féminité, de la vie d'adulte qui bougent. Bande de filles vibre d'un élan tonique, en féminin pluriel.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France)
pour Africiné

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