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Hope, de Boris Lojkine
Amour de migrants, entre Eden et Géhenne.
critique
rédigé par Sunjata Koly
publié le 26/01/2015
Sunjata (Africiné)
Sunjata (Africiné)
Boris Lojkine, réalisateur français
Boris Lojkine, réalisateur français
Endurance Newton (Hope)
Endurance Newton (Hope)
Justin Wang (Leonard)
Justin Wang (Leonard)
Hope & Leonard
Hope & Leonard
Scène du film Hope
Scène du film Hope
Hope
Hope
Hope
Hope
Hope
Hope

Dans son premier long-métrage de fiction, Boris Lojkine aborde avec réalisme la tragédie des migrants, l'univers des trafics et la violence de la traversée. Ce film présenté à la Semaine de la critique de la 67ème édition du festival de Cannes met en scène les amours errantes d'un Camerounais et d'une Nigériane du nom de Hope.

En route vers l'Europe, Hope et Leonard se rencontrent dans des conditions dramatiques. La jeune fille a été abusée sexuellement par les forces de l'ordre. Elle a besoin d'un protecteur, il ne veut pas l'abandonner dans le désert algérien. Face à la cruauté de cet univers impitoyable où chacun se replie dans sa communauté, Ils vont tenter de survivre ensemble.

Bako l'autre rive de Jacques Champreux (1979) et plus récemment La Pirogue de Moussa Touré (2012) avaient abordé la lente reptation des migrants vers la terre promise. Par le biais de la fiction, le documentariste Boris Lojkine filme de façon inédite cette longue marche parsemée d'embûches où la quête d'un ailleurs meilleur est confrontée à la violence de l'adversité. Dans Hope, la terreur n'est jamais montrée mais elle est omniprésente. Elle suppure de chaque séquence.



La mise en scène coup poing de Boris Lojkine évite le piège du voyeurisme et nous met d'emblée en empathie avec ses personnages. Le désert sert de décor à la caractérisation des principaux protagonistes. Comment reconnaître une coco, entendez par là "une femme" (en pidgin camerounais), parmi les silhouettes improbables des clandestins ? Sous les amoncellements de nippes, le fatras de bonnets, de gants de fortune qui servent de carapaces contre toutes les agressions qui peuvent surgir à tout moment, la vulnérabilité est mise à nu.
Là, dans ce No man's land, État de non droit, être femme, c'est être plus en danger encore que ses compagnons de galère. Hope le sait. Alors pour ne pas être démasquée, elle n'a de cesse que de se dissimuler, de disparaître dans la masse des silhouettes et des ombres parquées dans la benne du taxi-brousse qui mène vers un hypothétique Eldorado. La gente masculine sous toutes ses formes pourrait se servir sur la "bête". Un marché aux esclaves d'Outre-tombe existe dans le ghetto des migrants camerounais, avec une odieuse mise aux enchères de prostituées africaines. Le chairman, le caïd du bidonville bien évidemment, s'attribue tous les droits, puisqu'il est le plus fort, le plus puissant et le plus riche à force de prélever la dîme sur ses congénères. Son secret sera-t-il éventé ? Hope n'a pas intérêt à devenir victime des corps habillés croisés de nuit.

Mais dans la géhenne du bidonville, elle sait qu'elle peut compter sur la compassion de Léonard, quelques grammes de tendresse dans un monde de brut. Il est camerounais, elle est nigériane. Les choses se compliquent pour survivre dans cet enfer, il faut rester avec les siens, ceux de son pays pour être sous protection. Léonard va devoir "cracher au bassinet", subir le courroux des siens dans ces réseaux mafieux où l'inhumanité est de rigueur.

En s'appuyant sur une réalisation épurée avec un casting ciblé sur l'authenticité, Boris Lojkine réalise un formidable travail de direction d'acteurs qui donne à Hope toute sa puissance d'évocation. Ce road-movie protéiforme tourné au Maroc en décor réel flirte avec le film d'action, le drame d'aventure ou le thriller avec ses ellipses et ses ruptures. Le cinéaste utilise judicieusement le hors champ pour maintenir la tension dramaturgique sans la dévoyer. Le décor sonore sobre et précis rythme la trajectoire erratique des personnages comme un gimmick ou l'on va de mal en pis.

A l'instar de Bronx Barbès d'Eliane de Latour (2000), ce long-métrage appréhende les dialogues et la langue de façon originale, en restant au plus près des modes d'expressions de ces milieux interlopes dont les sabirs oscillent entre pidgin du Cameroun et du Nigeria. Ils apportent une plus-value de crédibilité au propos cinématographique, sans surligner les caractéristiques des personnages. La séquence naturaliste de la baignade des deux amoureux dans un décor édénique ou le plan d'ensemble en contre plongée du couple scrutant les lueurs de Mellila aménagent des respirations romantiques pour rappeler que l'amour peut surgir dans les situations les plus cocasses.

Les rires et les larmes de ces damnés de la terre en quête d'épanouissement sont portés à merveille par Justin Wang et la bien-nommée Endurance Newton qui n'est pas sans rappeler Rachel Mwanza l'actrice de Rebelle de Kim N'Guyen (2012). Dans le sillage de Sin nombre de Cary Fukunaga (2009), Hope est une romance de chair et de sang, un Roméo et Juliette des ghettos clandestins dont le tragique dénouement shakespearien sur la mer Méditerranée nous rappelle l'absurdité des politiques d'immigration.

par Sunjata

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