AFRICINE .org
Le leader mondial (cinémas africains & diaspora)
Actuellement recensés
25 000 films, 2 562 textes
Ajoutez vos infos
Décès de Assia Djebar
Une femme de lettres francophone et réalisatrice algérienne pionnière
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 12/02/2015
Assia Djebar
Assia Djebar
Michel Amarger (Africiné)
Michel Amarger (Africiné)

Il fallait une longue épreuve comme la maladie d'Alzheimer, pour éteindre le verbe haut et les chants d'émancipation de Assia Djebar, le 7 février 2015. Romancière reconnue, enseignante prodigue, intellectuelle à la chevelure brune, elle est aussi l'une des premières femmes algériennes à passer à la réalisation en livrant des images profondes sur son pays.

Le parcours de Fatma-Zohra Imalayène, née en 1936, à Cherchell, en Algérie, est pourtant fermement marqué par l'écriture. Soutenue par son père, instituteur bienveillant, elle gagne Paris pour des études en khâgne, puis devient la première Algérienne à intégrer l'Ecole Normale Supérieure de Sèvres, en 1955. Dès l'année suivante, elle écrit sous le nom d'Assia Djebar (Assia signifie "la consolation", Djebar "l'intransigeance"). Elle publie chez Julliard, La Soif, 1957, Les Impatients, 1959, Les enfants du nouveau monde, 1962, Les alouettes naïves, 1967. De 1959 à 1962, elle enseigne l'histoire à la faculté de lettres de Rabat, au Maroc, puis elle revient en Algérie donner des cours à la faculté sur l'histoire, ensuite la littérature francophone et le cinéma, de 1974 à 1980.

C'est là qu'elle s'impose comme novatrice en défrichant la place des femmes dans le 7ème art algérien, orienté vers l'arabe dialectal. Elle réalise La Nouba des femmes du Mont Chenoua, 1978, pour la Radio Télévision Algérienne. Cette fiction de près de deux heures combine plusieurs formes narratives, en explorant le temps et la mémoire collective. Une architecte revient dans la maison familiale pour éclaircir les circonstances de la mort de son frère, durant la guerre de Libération. Sa quête se mêle aux récits de six femmes, engagées dans la lutte à l'époque, aux histoires des affrontements passés dans la région du Mont Chenoua dont le soulèvement nationaliste de 1971. Les chants populaires se mêlent aux notes de Bela Bartok, et le film obtient le Prix de la Critique internationale à la Biennale de Venise 1979.

La réalisatrice se confirme avec La Zerda ou les chants de l'oubli, 1982, toujours produit par la RTA, primé comme meilleur film historique au Festival de Berlin 1983. Assia Djebar questionne la place des femmes dans la société en nouant les fils de la musique comme lien entre leur condition dans le Maghreb. Durant une heure, le souffle intime de la réalisatrice, porté par une image en noir et blanc, impressionne par un langage personnel. Puis Assia Djebar s'éloigne du cinéma pour se consacrer à l'écrit. Elle cosigne pour Merzak Allouache, un documentaire de terrain, Femmes en mouvement, en 1989. Son image apparaît ensuite dans un portrait que lui consacre son compatriote Kamal Dehane, Assia Djebar, entre ombre et soleil, 1992. La romancière y défend son rapport à l'écriture en français, son soutien à l'émancipation des femmes, sa condamnation de la violence qui gagne l'Algérie des années noires.



Entretemps, Assia Djebar est revenue à Paris. A partir de 1980, elle y publie des romans tendus par les questions féministes, les relations entre les cultures : L'amour, la fantasia, 1985, Ombre Sultane, 1987, Loin de Médine, 1991, Vaste est la prison, 1995. Ensuite, elle part enseigner aux États-Unis, dirige le Centre d'études francophones en Louisiane, soutient une thèse sur son propre travail de romancière francophone du Maghreb, en 1999, publie Ces voix qui m'assiègent : En marge de ma francophonie, 2000. Enseignante à New York, elle écrit encore Femme sans sépulture, 2001, tandis que sa renommée s'accroit et que ses livres sont traduits en plusieurs langues.

Elle devient la première femme de plume du Maghreb, élue à l'Académie française, en 2005, puis écrit Nulle part dans la maison de mon père, 2007, son premier livre publié en langue arabe, en 2014. Après son décès, survenu dans un hôpital parisien, le corps d'Assia Djebar est rapatrié en Algérie, pour être enterré dans son village natal. L'empreinte de la romancière, rompue au maniement du français, ne doit pas faire oublier la réalisatrice algérienne, attentive à l'arabe, aux coutumes, aux codes, toujours avide d'explorer la condition des femmes. Ses films ouvrent la voie à l'expression des cinéastes algériennes, avec valeur d'exemple pour toutes celles du Maghreb.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France),
pour Africiné

Films liés
Artistes liés
Structures liées
événements liés