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Timbuktu, un exercice de style
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 13/02/2015

Le festival international de Rotterdam est une manifestation dédiée aux nouvelles découvertes dans le monde du cinéma. Cependant, à côté de la sélection officielle réservée aux premières œuvres, le festival fait de la place aux cinéastes qui auront marqué l'année. C'est dans ce cadre que Timbuktu, le nouveau film d'Abderrahmane Sissako, est programmé. Après une sélection en compétition officielle au festival de Cannes et ensuite la nomination aux Oscars, il était attendu que le film fasse partie du programme destiné au large public.



Timbuktu aura marqué l'année 2014, justement parce que c'est un film qui est en prise avec l'actualité. C'est à ce titre essentiellement que le public vient le voir volontiers. C'est aussi l'idée que l'on peut avoir immédiatement quand on le situe par rapport aux évènements qui ponctuent les chroniques au quotidien, en l'occurrence les débats autour de la montée de Daesh (l'État Islamique) au Moyen Orient et de l'Islam politique de façon encore plus générale et surtout l'attaque de Charlie Hebdo quelques jours seulement avant l'ouverture du festival.

Mais quand on connait le cinéma de Sissako, on doit mettre un peu d'eau dans son vin et ne pas se lasser aller facilement à ce type de pensée par raccourci. Le cinéaste mauritanien n'est pas à son premier corps à corps avec l'actualité. C'est un cinéaste pour qui les questions cruciales qui travaillent sa société sont des thèmes de prédilection. Formé à l'école soviétique de l'époque, il croit profondément en la dialectique fructueuse entre l'art et la réalité sociale. Ce qui rend son cinéma encore plus intéressant c'est que cela ne se fait pas au détriment de la poésie de l'image.



On a pu voir ceci dans ses films précédents: Heremakono et le thème de l'émigration, ou Bamako et la question vertigineuse de la dette internationale, pour ne citer que deux titres. Timbuktu s'inscrit dans la continuité de ce style propre à Abderrahmane Sissoko. Certains lui ont reproché son pragmatism,e dans le sens où il aurait profité des évènements pour improviser une production dans le souci de répondre aux attentes d'un Occident très féru de toute critique de l'Islam radical. Disons-le haut et clair, ceci ne peut en aucun cas être vrai, parce que l'articulation du cinéma de Sissako sur l'actualité n'est pas nouvelle et qu'un tel film s'inscrit de façon naturelle dans continuité de l'œuvre du cinéaste.

De tels préjugés faussent tout débat autour du film. Par contre, à bien regarder, on s'aperçoit qu'il est très difficile de prendre position, à supposer qu'il faudrait en prendre une, pour ou contre le cinéaste. De la même manière qu'il est difficile de tenter d'analyser un discours très sinueux comme celui du radicalisme.



Le pêché de Timbuktu c'est de présenter certaines scènes qui abordent des stéréotypes de pensée attribuée au radicalisme, et qui plus est, de manière versant dans le simplisme. C'est le plus grand reproche que l'on pourrait faire au film.

Toutefois, Sissako n'est pas de cette naïveté. Dans Bamako, il tenait déjà un discours frontale et explicite. La pertinence du discours va avec le propos didactique du film et le tout se tient à force d'échappées poétiques. Il en va de même dans Timbuktu. La simplicité affichée est à considérer comme un discours à plusieurs plis. Sissako déconstruit le discours du radicalisme en imitant son simplisme. Il mime la platitude et la contradiction de leur raisonnement.



En plus de tout ceci, ne voir que ces scènes explicites, c'est passer outre les scènes clefs du film. Il s'agit des `tableaux' qui n'ont apparemment pas de liens directs avec l'intrigue, mais qui donnent au film son équilibre et son harmonie. Telle est la scène d'ouverture: la chasse d'une gazelle par les guerriers. Tout le sens du film résiderait dans cette scène inaugurale : le signe de la gazelle tendre, paisible, inoffensive et belle, se dégrade ensuite à travers les différents tableaux en des gamins empêchés de jouer avec un vrai ballon, des musiciens punis pour avoir chanté, etc... Bref, la vie dans toutes ses dimensions empestée par le vent de l'irrationnel et de l'intolérance.



Ne voir en Timbuktu que ces scènes où l'on profère des phrases connues de tous sur les questions de l'interprétation du texte religieux et de la manipulation de la religion par le politique, c'est passer à côté de l'essentiel. Le film déconstruit un discours en montant un échafaudage fait de plis et de renvois sémiotiques et le tout se tient par la force de la poésie. Dans ce sens, Timbuktu est un exercice de style digne de toutes formes de reconnaissance.

par Hassouna Mansouri
Depuis Le Sud / Vanuit het Zuiden

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