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Congo, un médecin pour sauver les femmes, d'Angèle Diabang
Le sexe des femmes, comme champ de bataille
critique
rédigé par Daniela Ricci
publié le 15/04/2015
Djia Mambu (revue Africiné)
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Daniela Ricci (revue Africiné)
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Angèle Diabang, réalisatrice sénégalaise
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Scène du film
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Africiné Magazine, the World Leader
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Après avoir lu un article dans le quotidien Le Monde (Paris) sur les crimes de viols commis dans le Sud Kivu, province à l'Est de la République Démocratique du Congo, Angèle Diabang se sent interpelée par ces faits lourdement tragiques qui perdurent depuis des décennies, au su et au vu de toute la communauté internationale.
Comme beaucoup d'autres, elle est indignée, comme moins d'entre eux, elle se demande qu'est-ce qu'elle peut faire. C'est vrai, sa consœur la cinéaste camerounaise Osvalde Lewat a consacré un documentaire Un amour pendant la guerre (2005) où elle traitait de la situation des femmes violées pendant la guerre au Congo-Kinshasa. Le réalisateur sénégalais Moussa Touré avait aussi attiré l'attention avec son documentaire marquant Nous sommes nombreuses (Tozali ebele) en 2003 qui donnait la parole aux femmes victimes de viol durant les guerres des années 90 dans le Congo Brazza.

Un Ange descend en enfer

Quand Angèle démarre son projet, le Docteur Denis Mukwege opère depuis des années. Il tient une clinique dans l'hôpital de Panzi qu'il a fondé et où 40.000 femmes sont soignées. Il sera ravi à l'idée que ce soit une femme africaine qui est à l'origine du projet. Il lui propose de venir avec lui, afin de le suivre dans son quotidien. Dans la clinique du docteur, 65% du personnel sont des femmes. Heureusement, Angèle a choisi son équipe de tournage, avec soin : une équipe assez légère, entièrement constituée de femmes.



À peine arrivée sur les lieux, la voilà livrée à elle-même car le Docteur Mukwege est appelé d'urgence ailleurs. Elle voit ces femmes, toutes ces femmes heurtées, mères, filles, grand-mères. Et sa caméra commencera à tourner peu à peu, au jour le jour, elle y découvre chacun des visages, entendra chaque peine: "Je voulais mourir.", lui confie l'une. "Au moins si j'étais morte…", lui répète une autre.

Parmi les victimes, une vieille dame qui durant sa conversation avec une infirmière, va mimer la scène de viol. L'espace de cet instant, l'objectif d'Angèle s'est doucement posé. Immobilisé, il laissera apparaître cette dame qui rassemble tout son courage pour raconter cet épisode épouvantable. Une prise imprévue qu'Angèle filme malgré elle. Mais comment prévoir si la victime va s'exprimer et de quelle façon ? La dame a été agressée, violemment, par plusieurs hommes, à plusieurs reprises. Mais elle tient encore debout, malgré son âge. C'est une bataille remportée que de pouvoir raconter aujourd'hui…

"J'étais moi-même sa patiente"

Depuis deux décennies, les vagins des jeunes filles, mères et grand-mères constituent les véritables territoires de champs de guerre. Les actes les plus ignobles sont perpétrés sur les familles afin de les détruire physiquement et mentalement: viols collectifs, entraînant maladies sexuelles, destruction de l'appareil reproducteur… C'est une arme de guerre, détruire les femmes équivaut à détruire les familles, les sociétés, le monde. Toutes ces abominations que cotôient au jour le jour le Docteur Mukwege. "Il fait un travail extraordinaire", raconte Angèle Diabang, "il lui arrivait même de me réconforter, je devenais moi-même comme une patiente. Il t'appelle pour savoir si ça va, parce qu'il sait…", dit-elle, en voix off.

La femme au centre de l'œuvre

Les femmes sont au centre du cinéma de la Sénégalaise Angèle Diabang. On se rappellera du court-métrage documentaire Mon beau sourire, (2005) sur les souffrances (volontaires) des femmes qui, pour apparaître plus belles, décident de se faire tatouer les gencives; Sénégalaises et l'Islam (2006), où des femmes illustrent diverses manière de vivre l'Islam; Yandé Coudou, la griotte de Senghor (2007). Son prochain projet (un long-métrage de fiction, actuellement en développement) est une adaptation du roman Une si longue lettre de Mariama Bâ, qui raconte les conséquences de la polygamie, encore une fois du point de vue de la femme.
Toutefois, ici, dans Congo, un médecin pour sauver les femmes, il s'agit d'un engagement majeur, d'un côté le besoin des femmes violées de se raconter et d'être écoutées, comme dans une sorte de catharsis du trauma, la possibilité de commencer un processus lent et difficile pour regagner l'estime et la confiance de soi, pour reprend en main leur destin, de l'autre côté le besoin de faire de caisse de résonance à cette tragédie qui persiste, pour essayer de sensibiliser à l'arrêter.

La cinéaste a réussi à entrer en relation avec ces femmes, à gagner leur confiance et à établir une vrai dialogue (malgré le besoin d'interprète, car elles en parlent pas la même langue). Elles peuvent alors se raconter à visage découvert (toutes, sauf une), se libérer, libérer leurs cris de douleurs devant la caméra d'Angèle. Celle-ci est une preuve de grand courage et force, si l'on pense que souvent elles sont méprisées et rejetées par leurs maris, leur familles, reléguées au marge de la société, exactement à cause du viol, ce qui amplifie et rend encore plus insupportable leur douleur.
Angèle Diabang a réussi à trouver la bonne distance (ou plutôt la bonne proximité - souvent en gros plan), elle arrive à transmettre les tensions des corps (même des corps enfantins violentés) et des regards, à travers un dispositif filmique assez simple et épuré, dans lequel la caméra est parfois imperceptible.

Elle a ainsi échappée au risque de faire un film célébrateur du docteur Mukwge (effectivement accueilli comme un messie le jour de son retour après une période d'exil - à cause de menaces de mort qu'il a reçues, parce que son travail dérange profondément). Ce film met le spectateur mal à l'aise, le mettant devant l'horreur, le poussant à question son confort pendant la projection face à l'horreur si distante et proche, car parlant du corps, intime et universel. Congo, un médecin pour sauver les femmes se termine sur une note d'espoir, une porte ouverte vers la réinsertion sociale, vers une transformation possible.
Dommage que la version télé soit doublée, en enlevant la voix à ces femmes et en atténuant la puissance du film.

Djia Mambu,
Daniela Ricci

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