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Capitaine Thomas Sankara
La flamme de la révolution au Burkina
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 24/11/2015
Michel Amarger (magazine Africiné)
Michel Amarger (magazine Africiné)
Christophe Cupelin, réalisateur suisse
Christophe Cupelin, réalisateur suisse

Documentaire de Christophe Cupelin, Suisse, 2012
Sortie France : 25 novembre 2015

La distribution dans les salles françaises de Capitaine Thomas Sankara, réalisé par Christophe Cupelin, met en lumière la détermination de deux hommes engagés. L'un est le fameux président du Burkina Faso, Thomas Sankara, assassiné en 1987, dont le film brosse un portrait fouillé ; l'autre est le réalisateur, Christophe Cupelin, qui a bataillé obstinément pour concrétiser son projet et obtenir le droit de montrer ses images.
Capitaine Thomas Sankara, réalisé en 2012, finalisé pour le grand écran en 2014, est la contribution documentée d'un cinéaste suisse à la valorisation d'une période révolutionnaire en Afrique, qui l'a fait mûrir. Débarqué au Burkina Faso en 1985, en pleine effervescence de l'ère Sankara, Christophe Cupelin, âgé de 19 ans, éprouve un choc qui secoue ses questions de justice sociale et d'engagement citoyen. Il assiste aux réformes audacieuses du régime, reçoit les vibrations de la société du Burkina en marche sur laquelle il engrange des images.



Capitaine Thomas Sankara est la combinaison de plans d'époque, d'archives récupérées en 2007, à l'occasion des 20 ans de la mort de Sankara, quand certaines apparaissent libres de droit sur le Net. Cupelin tente alors de retrouver toutes les images et les témoignages possibles pour faire revivre la figure charismatique et anticonformiste de Thomas Sankara. Le film est nourri des impressions du cinéaste sur le terrain, dès 1985, des documents écrits et audiovisuels disponibles mais aussi de témoignages oraux de protagonistes de l'époque qui ne figurent pas toujours dans le montage, élaboré par Christophe Cupelin lui-même.
Le portait composé par le réalisateur suisse fait ainsi revivre la figure emblématique de Thomas Sankara. Ce militaire décidé, né le 21 décembre 1949, devient à 34 ans, président de la Haute-Volta dont il change le nom pour devenir Burkina Faso, "la Patrie des hommes intègres". La formule annonce l'ambition du politique révolutionnaire qui tente de moraliser la vie du pays en le modernisant et en l'émancipant des influences étrangères. Entre le 4 août 1983 où il accède au pouvoir, et le 15 octobre 1987 où il est tué avec 12 collaborateurs, Thomas Sankara mène le changement au pas de charge.

Ses mesures sociales se font sur tous les fronts. Il prône une campagne de vaccination pour améliorer la santé. Il construit des logements, lance un mouvement de reboisement massif, soutient l'Union des paysans. Tout en défendant la promotion de la femme, il réforme l'éducation en misant sur l'alphabétisation dans toutes les langues nationales. Cette politique est menée tambour battant car Sankara sait que son temps est limité. Il fonce avec intransigeance vers ses objectifs et bouscule son entourage qui veut préserver ses privilèges. Mais la réaction interne n'est pas la seule menace pour le président.
Ses prises de position en faveur d'une plus grande autonomie du Burkina, ses attaques contre les forces occidentales toujours impliquées dans la gestion des territoires africains, sont violentes. Il déclare effrontément, lors de la conférence des pays membres de l'Organisation de l'Unité Africaine, en juillet 1987 : "La dette ne peut pas être remboursée parce que si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourrons pas. Par contre si nous payons, c'est nous qui allons mourir." Le message passe mal avec certains interlocuteurs de l'Occident mais Sankara s'impose comme une référence de la dignité africaine.

Capitaine Thomas Sankara permet de mesurer le charisme du leader burkinabè qui tient ses discours percutants avec une verve alerte, ponctuée d'un humour corrosif. Cette aptitude, illustré par le film de Christophe Cupelin, impose Sankara comme le porte-parole des laissés pour compte dans son pays mais aussi dans le reste du continent. En découvrant Sankara jouer de la guitare, être galant avec les femmes, affable avec ses alliés, se dessine à l'écran le portrait d'un homme contrasté que le réalisateur n'hésite pas à démystifier. Mais il propose aussi de réhabiliter la stature du leader politique assassiné dont l'empreinte a été reléguée par Blaise Compaoré, son successeur.
Ce documentaire qui vise à fixer la mémoire en faisant parler les documents, est l'aboutissement de l'engagement extrême de Christophe Cupelin. Cinéaste indépendant, capable de saisir la vie d'un village du Burkina avec Kononga, 2006, tourné en Super 8, il signe aussi des portraits de Burkinabès à Genève ou Ouagadougou. Cette approche témoigne de l'empathie du réalisateur suisse avec l'évolution du Pays des hommes intègres. Sa fascination pour l'élan de Sankara le motive à repousser les limites des productions normées en créant seul, Capitaine Thomas Sankara. Ce combat, poursuivi pour récupérer les droits des archives, lui permet aujourd'hui de toucher des spectateurs dans les salles suisses, françaises, jusqu'en Afrique. Un hommage indispensable au leader politique qui a, selon sa formule, "osé inventer l'avenir".

Vu par Michel AMARGER (Afrimages / Médias France) pour le magazine Africiné

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