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Much Loved (Zine eli fik), de Nabil Ayouch
Les portes d'un monde que l'on se refuse de voir
critique
rédigé par Baba Diop
publié le 25/12/2015
Baba Diop (Africiné)
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Nabil Ayouch, réalisateur
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Scène du film
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Africiné Magazine, the World Leader (African & Diaspora Films)
Africiné Magazine, the World Leader (African & Diaspora Films)

Il est d'un film comme de l'océan. Une fois franchi le déferlement violent des vagues sur les hauts fonds, on parvient avec plus de justesse à en décoder le sens. La volée de bois vert des internautes sur Much loved du réalisateur marocain Nabil Ayouch a engendré l'interdiction du film sur son territoire d'origine : le Maroc, sans que la commission des visas ne l'ait visionné. Ceux qui l'ont trouvé contraire à la pudeur et à la décence lors de sa projection aux journées Cinématographiques de Carthage (JCC) n'ont pas pour autant quitté le fauteuil, gardant au fond des pupilles quelques scènes torrides d'un corps conquérant. C'est vous dire…

Much loved entraine le spectateur dans les nuits chaudes de Marrakech et le fait entrer dans les lieux interdits où on se joue du corps de la femme et où alcool, argent, drogue griment les inhibitions et boostent les phantasmes. Le film ne projette pas une lumière tamisée sur le monde de la prostitution mais plutôt celle crue d'une lampe à halogène qui laisse percevoir le réel afin que nul n'en perd une miette. Le spectateur se rend bien compte que la bande que forment Noha, Randa et Soukaina et les autres a bien des choses à lui dire. Quelles sont ces choses-là ?
Tout d'abord que le rapport des hommes avec le corps d'une femme se présente sous des variations dissonantes : tendresse qui se mue en violence tel ce faux poète qui laisse tomber le masque ; le corps de la femme comme vulgaire marchandise dans l'entrebâillement d'une porte sur fond de partouze ; le corps de la femme comme putching ball ou déversoir de violence; la femme comme attraction foraine dans cette scène où elles se battent pour attraper des billets de banque jetés à la volée par des mains en mal de divertissement, le corps de la femme comme objet de chantage exercé par un policier.

En second lieu. Ces travailleuses de nuit savent mieux que les hommes que le corps dont elles se vêtissent pour répondre à leur fantasme et à leur soif de domination n'est pas leur vrai corps. Elles le laissent choir dans le vestibule en pénétrant dans leur appartement suivant ainsi le geste de n'importe quel tâcheron. Ce qui permet à Nabil Ayouch de voguer dans des univers tout aussi différents. L'un joyeux, celui de leur appartement où règnent la bonne humeur et l'esprit de famille et où elles retrouvent leur vraie personnalité de femme aimant la vie et se gaussant des hommes. L'autre univers est celui du dehors où leur regard croise celui d'une société hypocrite qui, sous le prisme du "Cachez ce sexe que je ne saurai voir", les méprise.

Much loved est une quête d'amour : amour maternel repoussé par la peur du "qu'en dira-t-on" ; amour paternel quelque peu inaccessible du fait que l'être aimé est en Espagne ; le rêve de vivre un vrai amour et enfin l'amour sincère entre le chausseur et la paysanne en passe de devenir citadine. Chacune d'elle a en ligne de mire, un but qu'elle poursuit et dont elle n'est pas sûre d'arriver au bout. Much loved a aussi sa lecture politique. Au sein de cette bande existe une division de classe que révèle l'arrivée de la paysanne. Le milieu de la prostitution met aussi à nu les antagonismes entre l'Orient et l'Occident par le truchement de deux dialogues. Le Saoudien grivois dit que son pays domine le monde et le Français tout aussi éméché de rétorquer quelques scènes plus loin qu'il est bien chez lui à Marrakech donc en territoire conquis. Much loved n'est pas un film sulfureux - sauf si on se veut voyeur - pour qui sait ouvrir les yeux sur le peu de considération à l'endroit du corps de la femme ; sur le fait aussi qu'il convient mieux d'user du terme "Travailleuse de nuit" que prostituée ou travailleuse du sexe. Après Ali Zaoua, prince de la rue, Nabil Ayouch pousse les portes d'un autre monde que les préjugés et autres anathèmes nous interdisent de franchir.

Baba Diop

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