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Je suis le peuple
La complainte des paysans égyptiens
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 11/01/2016
Michel Amarger (magazine Africiné)
Michel Amarger (magazine Africiné)
Anna Roussillon, réalisatrice
Anna Roussillon, réalisatrice

LM Documentaire de Anna Roussillon, France, 2014
Sortie France : 13 janvier 2016

La révolution égyptienne de 2011 a été très suivie par les opérateurs, et ses images médiatisées ont fait le tour du monde. Sur place, les réalisateurs ont tenté de réorganiser la production tout en témoignant des transformations de la société du Caire. L'idée d'évoquer les suites des changements de régime par l'image, commence à régénérer les discours. Si la distance dans le temps manque pour prendre du recul, la mise à distance des événements de la capitale, est sans doute plus aisée si on les envisage de la campagne.

C'est le propos engagé par Je suis le peuple de Anna Roussillon, qui suit les épisodes de la révolution de 2011, aux côtés de paysans de la région de Louxor. En se concentrant sur un homme ordinaire et sa famille, vivant de l'élevage de moutons et de la fabrication de pâte à pain, la réalisatrice mesure l'écho des changements du régime dans ce milieu, en contact avec le reste du pays par la télévision et ses actualités.
Le personnage principal, Farraj Jallal, s'enthousiasme pour chasser Hosni Moubarak du pouvoir, milite pour la candidature de Mohamed Morsi qu'il soutient en votant, avant de revoir ses choix en faveur des Frères musulmans. Constatant que le nouveau pouvoir tente de se maintenir malgré l'opposition, Farraj Jallal touche aux limites de la démocratie, malmenée en Egypte. Au fil de ses évolutions, ses questionnements, le paysan exprime aussi les convictions de son milieu par rapport à la religion, l'Etat, le rôle du tourisme, la quête d'une meilleure répartition des biens.

Ce portrait rapproché, centré sur Farraj Jallal et son entourage, est filmé à plusieurs périodes lorsqu'Anne Roussillon séjourne autour de Louxor. "J'habite depuis 15 ans à Paris mais je n'ai jamais cessé d'aller en Egypte, où j'ai ma mère, la tombe de mon père, mes paysages d'enfance et d'adolescence, mes questions aussi", confie la réalisatrice, née au Liban. Sa proximité avec ses sujets est favorisée par sa pratique de l'arabe qui lui permet de communiquer malicieusement avec eux. "Il se trouve que j'ai grandi au Caire, que j'y ai appris l'arabe, pas comme langue maternelle mais comme une deuxième langue qui m'accompagne", précise-t-elle.
Le tournage s'est échelonné entre janvier 2011 et l'été 2013, ponctué par les séjours d'Anna Roussillon et les images des événements répercutés par la télévision. "Dans le film, elle tient cette place centrale de fenêtre sur ce qui se passe ailleurs", souligne la cinéaste. "Elle est aussi le lieu à partir duquel se pose la question de la représentation des événements. Farraj Jallal se pose souvent la question de la façon dont les choses lui sont montrées." De son coté, Anna Roussillon répond en décentrant le regard dans "l'immobilité troublée de la campagne".

Le film permet alors de relativiser les changements de pouvoir dans la capitale sans minimiser leur impact sur le monde paysan. "L'histoire se répète et en même temps tout a changé", observe la réalisatrice. "L'Ancien régime est de retour, mais en même temps Farraj, et beaucoup d'autres comme lui, ont effectué un chemin lent et profond qui prépare, je le souhaite ardemment, la révolution à venir." Cet espoir s'exprime par le regard perçant, parfois caustique, échangé entre Anna Roussillon et ses sujets. Elle intervient, provoque des réactions, capte les rires et les complicités entre paysans.
Je suis le peuple rayonne aussi grâce aux images lumineuses de la campagne de Louxor. L'environnement sert de cadre à un spectacle édifiant où des individus mis en avant, reflètent des questions sociales et politiques de premier plan. Appuyée par une production française, Anna Roussillon qui a tourné elle-même et assuré la prise de son, réalise un premier long-métrage captivant. Il pénètre au cœur d'une communauté rurale en témoignant de son quotidien, son rythme, ses vibrations en regard d'une révolution emblématique dans l'Egypte contemporaine.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France),
pour Africiné

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