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Entretien avec Jean Odoutan ou le retour en salles d'un réalisateur du Bénin
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 03/02/2016

Pim-Pim Tché - Toast de Vie !, sort en salles le 17 février 2016, au Lucernaire - 53 rue Notre-Dame des champs, Paris 6.

Connu aujourd'hui comme l'animateur de Quintessence, le Festival International du Film de Ouidah (*), Jean Odoutan est aussi un cinéaste prolifique des années 2000. Son dernier film arrive sur les écrans français comme un rappel tonique.

 

On l'a vu dans ses premiers courts-métrages, filmés avec énergie et autodérision tel Le réalisateur nègre, 1998, Jean Odoutan a de l'ambition et du culot. Après son premier long-métrage, Barbecue Pejo, 1999, tourné au Bénin, il trace des portraits typés d'Africains délurés en région parisienne, dans Djib, 2000, Mama Aloko, et La Valse des Gros Derrières, 2002. (**) Ces productions, filmées en rafales, imposent un style humoristique et rentre-dedans qui bouscule et retourne les préjugés.

Aujourd'hui, le réalisateur béninois revient avec une nouvelle aventure, Pim-Pim Tché - Toast de Vie !, tournée en pellicule, en 2008, pour laquelle il entreprend de lancer un Crowdfunding, susceptible de payer son mixage et sa numérisation en DCP (***). Il s'appuie sur sa structure de production, 45rdlc (****), pour le sortir en salles, le 17 février 2016.  Le cinéaste se fait volontiers distributeur pour compléter sa panoplie de professionnel du cinéma. D'abord acteur, assistant, puis scénariste, il compose parallèlement de la musique et chante aussi pour accompagner la promo du film. (*****)

 

L'histoire évoque la situation d'un organisateur du festival Quintessence que Jean Odoutan incarne avec ostentation, patron bienveillant, militant du préservatif pour enrayer le sida, promoteur des cultures locales. Il croise le chemin d'une beauté de Ouidah, qu'il épingle comme " Ma Croustillante ". Celle-ci est occupée à soutirer de l'argent à son oncle, prof de maths, pour avoir les moyens de payer sa contribution scolaire et obtenir un diplôme. 

Mais leurs rapports tournent mal et Chimène se fait renvoyer de l'école. Après avoir fréquenté DJ Teemour, un jeune magouilleur aisé, elle est convoitée par Courage, l'animateur de Quintessence. Puis ils se fâchent. Quand Chimène se retrouve enceinte, elle demande aux trois hommes de payer la paternité. Courage l'appuie, la soutient, prend en charge l'enfant mais Chimène rumine sa vengeance contre le vrai père qu'elle veut confondre.

 

Le tout brasse les thèmes chers à Jean Odoutan qui se met en scène sans scrupules, sur fonds d'animation des projections de Quintessence. Scénariste et acteur, il semble narguer les problèmes qui plombent la société du Bénin en alignant des dialogues aux formules piquantes et inspirées. Engagé aujourd'hui dans une nouvelle offensive pour porter son film dans les salles françaises (*), il revendique son rôle d'homme orchestre dans la production d'images de couleurs.



 

 


Un distributeur persuasif

 

- Pourquoi tenez-vous à sortir Pim-Pim Tché - Toast de Vie ! maintenant ?

C'est vrai qu'il a été tourné en 2008, à Ouidah, au Bénin, avec une équipe jeune, dynamique. Comme je m'occupais du festival Quintessence, qui est une manifestation qui prend beaucoup d'énergie, à chaque fois je reportais la sortie. Là, on espère avoir les sous pour le sortir correctement en 2016.

 

- Comment voulez-vous le distribuer ?

C'est nous qui le distribuons. Tous mes films, c'est 45rdlc, ma maison de production qui les distribue. On passe par le crowdfunding, le financement participatif, via Touscoprod où les gens deviennent tous coproducteurs du film, moyennant une petite récompense. Ils ont leur nom au générique, des affiches, le DVD du film. Ca commence à 10 euros et ça va jusqu'à 10 000 euros pour les grandes entreprises qui veulent organiser un concert. C'est le remède que j'ai trouvé pour essayer que le film sorte en ce moment.

 

- Pourquoi trouvez-vous important de distribuer aujourd'hui, un film tourné en 2008, dans des salles de cinéma françaises ?

Le film a été tourné à l'époque pour être diffusé au cinéma. Il a été tourné en Super 16mm et on devait le gonfler en 35 mm, comme on l'avait fait pour Djib, mon deuxième long-métrage. Et puis on n'a pas pu le faire comme je l'ai dit, mais un film mérite d'être sorti et que les gens qui ont joué dedans en profitent. Pour les techniciens, c'était le premier long-métrage, pour la comédienne principale, c'était la première participation à un film. J'avais promis qu'on allait le sortir tout de suite pour eux, et qu'on allait faire d'autres films derrière. Donc c'est pour tous ces gens que je veux le sortir. Il y a un travail qui a été fait, qu'il faut montrer. C'est vrai que les choses ont changé depuis et que j'ai beaucoup évolué, la technique aussi. J'ai tourné un autre film au Bénin, en 2015, qui s'appelle L'Argile. Je l'ai fait avec des gens de là, en numérique. Techniquement, ce n'est pas génial, artistiquement encore moins mais j'aimerais quand même le sortir un jour aussi. Si je tourne, il faut que les gens voient mon travail. Avant j'en avais honte,  je trouvais mes travaux un peu approximatifs mais depuis que j'ai organisé Quintessence et que je vois tout ce je vois, je me dis que mes films ne sont pas plus mauvais que d'autres que nous recevons, ou même que ceux qui sortent en salle.

 

- La sortie en salle est-elle la meilleure façon de montrer un film ?

A mon avis oui. Peut être qu'on peut le montrer sur internet mais ce n'est pas comme ça que les techniciens et les comédiens vont se faire connaître. Donc il faut faire le buzz, il faut que la presse en parle, faire un tas de petites choses pour que les gens aillent voir le film. C'est aussi un moyen de faire exister cette œuvre.

 

- Votre société de production est-elle devenue distributeur depuis les premiers films ?

Oui quand j'ai créé la société, au début, elle était aussi déjà distributrice de films. Au CNC à l'époque, il fallait avoir un capital assez conséquent. C'était 500 000 francs, ce qui fait environ 76 225 euros. C‘est le capital de 45rdlc. On est producteur, distributeur. Donc on ne rencontre pas les mêmes soucis que d'autres qui ne peuvent pas sortir leur film parce qu'ils sont obligés de courir après un distributeur. Nous, on a la chance de pouvoir le distribuer tout de suite. On a la chance de travailler avec des exploitants qui sont au courant de ça et qui sont en attente aussi. Ils ont voulu voir le film même quand je leur ai dit qu'il n'était pas encore prêt, qu'il n'était pas étalonné pour avoir de bonnes couleurs. Ils ont voulu voir quand même donc je leur ai donné un lien. Certains l'ont beaucoup aimé et ont déjà organisé des choses. C'est le cas de la Savoie qui a organisé des débats où je dois aller quasiment pendant tout le mois de février, à Saint-Jean-de-Maurienne, Modane, Saint-Michel-de Maurienne, dans toute la région limitrophe de l'Italie. Il y a la salle du Lucernaire à Paris où j'ai déjà montré des choses et puis d'autres salles en banlieue, l'Alcazar à Asnières, L'Ecran à Saint Denis… Donc il y a beaucoup de salles qui sont là et sont demandeuses de ce genre de films. Même si tout n'est pas parfait, dans mes films il y a un peu d'humour, un univers… Il y a des gens qui aiment ça.

 




Un cinéaste décisif

 

- Que mettez-vous en avant quand vous défendez ce film ?

Je dis simplement qu'on a fait un film avec des gens. C'est l'histoire d'une fille qui a 17 ans, qui a repiqué plusieurs fois sa classe, et qui veut passer en classe supérieure. Elle est obligée de coucher avec son oncle, elle séduit les gens dont un gars qui fait du cinéma, interprété par moi-même. Donc elle a trois amants dans ce film, et à la fin, elle a un enfant on ne sait pas de qui. Elle va dire que le père, c'est le gars qui fait du cinéma mais il a tout le temps des rapports protégés avec elle… En même temps, c'est un prétexte pour raconter et promouvoir une ville historique qui est Ouidah, qui a été le plus grand comptoir de la traite des Noirs, qui est le haut lieu du culte vaudou. C'est aussi un prétexte pour promouvoir les artistes et les intellectuels béninois. Dans le film, il y a beaucoup de grands noms, des intellectuels béninois dont mon oncle qui fut l'un des grands sociologues africains et qui a revendiqué le panafricanisme. Aujourd'hui, celui qui risque d'être le futur président du Bénin, Lionel Zinsou, dit qu'il est afro optimiste. Mon oncle l'était bien avant lui et en plus ils se connaissent. Bref, c'est un film qui permet de connaître une culture, un pays, une ville, des traditions. Il permet aussi de découvrir des comédiens, des techniciens et un pan de l'histoire du Bénin et de la vie de Ouidah.

 

- C'est plus important que de vouloir raconter une histoire très solide et charpentée ?

Ah ça ne veut pas dire que l'histoire n'est pas bien charpentée ! Mais vous savez, je connais quelques difficultés depuis le début de mes productions, ce sont les questions de moyens. Quand on a peu de moyens et qu'on veut faire un long-métrage, on fait avec les moyens du bord donc tout n'est pas absolument parfait. Je me rappelle qu'à l'époque, on était parti avec 40 000 euros pour faire ce film. C'était déjà énorme pour nous et après on a bricolé pour avoir des sous à droite et à gauche au Bénin. Du coup, il y a des séquences qui pâtissent de ce manque de moyens. Il y en avait qui étaient hyper découpées et après il a fallu les simplifier. A la fin, les techniciens  étaient très fatigués parce qu'ils avaient perdu beaucoup de poids. Ils ne mangeaient pas à leur faim. Ca a été une grosse aventure. Le matin, les gens mangeaient juste un petit beignet, le midi, un petit morceau de poisson avec un petit bol de riz, le soir, ils attendaient de manger quasiment la même chose, du poisson et du riz. Donc à la fin, c'étaient quasiment les techniciens qui m'imposaient leur loi. Ils me disaient : " Tu as prévu qu'on fasse 12 plans aujourd'hui mais on ne peut pas te les donner, on va te faire 6 plans avec 2 prises par plan, et voilà. Donc c'est à toi de bosser. " Après on a sucré beaucoup de séquences et puis au montage, c'est Michel Klochendler, le monteur de mes films, qui a fait un travail colossal. Avec lui, on a essayé de colmater je ne veux pas dire les brèches, mais ce qu'il y avait à colmater pour que le film existe. Ca a pris beaucoup d'énergie.

 

- Avez-vous profité des tournées du festival Quintessence pour filmer ?

Non. On n'a pas tourné pendant Quintessence parce que le festival avait lieu en janvier, et comme c'était moi qui l'organisais, on ne pouvait pas faire les deux en même temps. On a dû réinstaller, reconstituer des scènes sur les lieux de projection de Quintessence notamment le temple des Pythons qui est notre haut lieu de projection, qui draine un monde impressionnant. Les camions, les véhicules de Quintessence qu'ont voit et qui déambulent, toutes les grosses artères de Ouidah, on les a remis en service pour montrer un peu ce qu'est Quintessence. Quintessence sans Ouidah et Ouidah sans Quintessence, ça n'est rien. Ce sont les deux qui comptent. Quand on parle de Quintessence, pour tout le monde, c'est Ouidah. C'est un peu comme le Festival de Cannes de chez nous. Quand on parle de Cannes, on parle du festival. Donc on a reconstitué tout Quintessence pendant le tournage qui s'est déroulé au mois d'octobre. On devait tourner six semaines et en fin de compte, on en a fait sept ou huit.

 




Un acteur imaginatif

 

- Pourquoi vous montrez vous en animateur de Quintessence ? Est-ce une manière de faire de la publicité pour vous ou ça correspond à autre chose ?

J'ai commencé mon métier comme chanteur et comme comédien avec des réalisateurs célèbres : Bertrand Tavernier, Pierre Schoendoerffer, Michel Blanc, Luigi Comencini, Marco Ferreri aussi. J'étais comédien mais je ne voulais pas tourner dans mon film. C'est par la force des choses que je tourne dans mes films. Jouer cet animateur de Quintessence, c'était le moyen pour moi, de ne pas aller chercher un comédien, le payer et gérer son égo. Je n'aime pas gérer l'égo des gens. Déjà quand on écrit, c'est très dur, trouver de l'argent, c'est très dur, et après venir gérer des gens qui se prennent pour des stars, je ne sais pas le faire. Du coup, je joue et je pense aussi que ça va vite parce que je sais ce que je veux faire. Je mets en place la mise en scène, on répète beaucoup. Comme les dialogues sont très écrits, il faut les apprendre par cœur et bien que ce soit moi qui les écrive, j'éprouve parfois quelques difficultés à les redire. Alors voilà, je fais le comédien non pour me mettre en avant mais parce que ça simplifie financièrement les choses. C'est un moyen d'aller très vite.

 

- Mais le personnage principal vous ressemble beaucoup quand même… Il est animateur, il fait des films. Et vous en profitez pour montrer les vôtres…

Oui. Qui d'autre peut jouer le rôle de Jean Odoutan ? Comme je suis encore en vie, c'est pratique… En même temps, ce n'est pas plus mal que je joue moi même le rôle parce que ce n'est pas donné à tout le monde. Si on avait dit à Ray Charles : " Fais ton rôle toi même pour le film sur toi ", peut être qu'il aurait aimé le faire… Mais je ne sais pas. Moi je le fais, ça peut paraître mégalo mais c'est comme ça. Je suis pratiquement dans tous mes films. Dans le prochain, j'espère que je vais y être encore un peu comme Woody Allen. Il se guérit en se mettant en scène. Mais je ne suis pas Woody Allen, je fais ce que je peux pour que le film puisse exister. Effectivement, comme c'est moi qui ai créé Quintessence, que je suis encore là, que j'aime bien m'amuser aussi et faire le comédien, c'est beaucoup plus simple que je fasse le rôle et qu'on rigole un peu. J'ai revu le film récemment et je me suis trouvé un peu gros là-dedans. Depuis j'ai perdu quelques kilos mais ce fut une belle aventure.



 

Un producteur combatif

 

- Où avez-vous trouvé les moyens de lancer cette aventure ?

Quand on a commencé le tournage, j'ai eu la chance  d'avoir l'aide du Ministère des Affaires Etrangères. Mais ça a mis du temps avant qu'il donne l'argent. J'étais passé en commission, j'avais eu un peu d'argent et on est partis sur la route. Une fois que ça été terminé, on a eu le Fonds Sud. Donc on a eu l'aide à l'écriture du CNC, le Fonds Sud, le Ministère des Affaires Etrangères et plus tard, après mille et une bagarres, on a eu l'Organisation Internationale de la Francophonie. Ils ont toujours rejeté mes films en disant que mes dialogues ne sont pas bons, qu'ils sont grossiers. J'ai toujours eu des refus de l'OIF pour mes quatre longs-métrages, mais en fin de compte, ils ont obtenu de l'argent après coup. Il n'y a que pour mon premier film, Barbecue Pejo, qu'on a eu de l'argent directement car on devait être sélectionné au Festival de Cannes. Et puis pour Pim-Pim Tché - Toast de Vie !, on a eu de l'argent du Ministère de la Culture du Bénin. Tous ces financements ont permis de payer, après coup, les comédiens, les techniciens pour donner de la qualité à ce film. Il faut attendre l'étalonnage pour voir tout ce que ce film a de bien. 

 

- Au Bénin, y a-t-il moyen pour vous, de trouver des fonds pour tourner des films plus qu'avant ?

Non.  Et puis aller quémander, faire des courbettes pour avoir de l'argent, je n'aime pas ça. Au Bénin, j'ai dû faire un peu de lobbying à l'époque, avec le Ministre de la Culture. J'étais allé le voir, j'ai beaucoup parlé et comme il voyait aussi tout ce que je faisais par rapport à Quintessence, il a aidé. Mais je ne reçois pas d'argent de gens du pays, c'est plutôt moi qui en donne. Il faut payer les journalistes, les gens qui viennent participer à Quintessence, les nourrir, les loger… Par contre c'est vrai qu'on a été aidé par l'Office de Radio et Télévision du Bénin qui est rentré en coproduction. Ils nous ont passé du matériel pour les lumières, les travellings… Même si une grosse partie de la lumière est venue de Paris. On doit donner un DVD du film fini à l'ORTB.   



 

Un animateur créatif

 

- Vous dites qu'il n'y a pas beaucoup de fonds pour vous au Bénin pourtant ce que vous faites défend l'image du pays. Quand vous organisez Quintessence, ça fait parler du Bénin non ?

Oui, mais les gens ne l‘entendent pas de cette oreille. Au Bénin, les gens ont faim donc si on vient organiser quelque chose, ça veut dire qu'on est rassasiés comme ils disent. Si on n'a plus faim, on peut venir faire les " pingouins " et organiser un festival ou faire le tournage d'un film. Ils ne comprennent pas qu'on valorise un pays, une culture. On est obligé de faire de la pédagogie. C'est pour ça que pendant Quintessence, on fait beaucoup de master class, des ateliers. On organise des universités d'été. Et puis j'ai créé une école, l'Institut Cinématographique de Ouidah. Là j'ai arrêté parce que ça coûtait excessivement cher. Je croyais qu'on aurait de l'argent à gauche et à droite, et les premières années, j'y investissais beaucoup des sous que je gagnais par ailleurs, sur l'exploitation de mes films en France. A un moment, comme je n'exploitais plus rien et que je ne faisais plus d'argent, j'ai arrêté l'école et j'ai poursuivi le festival. Il va dans les villages, dans les écoles, tous les lieux publics, les orphelinats, les camps de réfugiés politiques Ogonis, qui sont des Nigérians. Mais malheureusement, pour le commun des mortels du Bénin, je passais pour un bailleur de fonds puisque c'est vrai qu'on donnait des sous un peu à tout le monde. C'est cette image qu'ont les gens, qu'on donne de l'argent mais pas que c'est un festival qui leur permet de connaître le cinéma, d'entretenir des relations Nord-Sud. C'est dommage mais je pense qu'il faut quand même faire des choses. Il ne faut pas rester sur ce constat quasiment amer. La culture est très compliquée chez nous. On privilégie le ventre parce que les gens ont faim. Ça a été l'occasion aussi pour moi, d'appréhender des réalités du Bénin que je ne soupçonnais pas. Par exemple, à Ouidah, il n'y a pas d'usine, les gens sont obligés de se débrouiller comme ils peuvent notamment les femmes. Tout ça, c'est dur. Et encore Ouidah est beaucoup mieux lotie par rapport à d'autres villes où la misère est beaucoup plus noire et profonde…

 

- C'est pour ces raisons qu'il n'y a pas d'édition de Quintessence en 2016 ?

Non. C'est vrai que les gens ont arrêté les financements mais en 2015, on n'avait pas de financements et je me suis débrouillé pour qu'on le fasse. Chaque fois, j'arrive à me débrouiller avec mes petits moyens parce j'aimerais que ça continue. Malheureusement il y a beaucoup d'initiatives qui tombent à l'eau rapidement sur le continent et plus particulièrement au Bénin. On a tenu quand même 13 ans ! Là, on ne le fait pas parce qu'il faut que je réfléchisse à un autre concept. Janvier est un mois compliqué pour beaucoup de gens qui viennent d'Europe parce qu'on sort des fêtes. Moi, au départ, je voulais profiter de la fête du vaudou qui est le 10 janvier. Mais pour les bailleurs de fonds ce n'est pas la période propice non plus pour soutenir et participer à cet événement. Donc je réfléchis à d'autres dates.

 

- Ça pourrait changer de forme aussi ?

Je voulais que ce soit un événement grandiose et pendant longtemps, on a démultiplié les lieux de projection. On projetait dans beaucoup de grandes villes : Cotonou, Ouidah, Porto-Novo, dans le nord... Je pensais qu'en faisant ça, les gens dans les communes, les maires, les responsables, allaient prendre le festival à bras le corps, et puis non. Dès l'instant où les gens nous considèrent toujours comme des milliardaires, c'est à nous de venir avec l'argent et de tout organiser, de payer. Alors je crois qu'on va peut être recentrer tout sur Ouidah. Là aussi, on a plein de lieux de projections. Pour cinq ou six lieux de séances simultanées, il faut plein de matériel, de gens. On a beau les former, c'est compliqué. Il faut reformer tous les ans les mêmes qui ne comprennent pas ; alors du coup, on est obligés de faire venir des Européens. C'est difficile pour moi de voir que des Européens vont juste appuyer sur les boutons pour projeter parce que les gens sur place ne savent pas le faire, qu'ils grillent le matériel, les vidéoprojecteurs. Quand on a fini la projection, il faut laisser le projecteur se reposer une demi-heure avant de l'éteindre. Malheureusement, chaque fois on était obligés de revenir à Paris pour acheter des lampes qui coûtaient 500 euros. Maintenant les vidéoprojecteurs se sont démocratisés et on peut en avoir à tous les prix. Donc effectivement, il faut revoir le concept de Quintessence, le faire plus synthétisé, moins long, avec moins de films. Il faut être moins ambitieux et plus efficace. Pour l'instant, j'ai envie de travailler sur mes films, les sortir, en faire d'autres, puis repartir sur la route, et faire des concerts aussi.

 

-  Ce sont vos occupations dans Quintessence qui vous ont donc empêché de vous consacrer à vos réalisations ?

Effectivement, comme je n'étais pas là, l'équipe de ma structure, les gens qui en font partie, sont allés chercher du travail ailleurs. Donc il n'y plus une équipe solide comme il y avait au départ. Je continuais d'organiser le festival car je ne voulais pas connaître d'échec par rapport à Quintessence et donc je ne faisais pas de films. Quand tu reviens, les gens de ta génération qui étaient là n'y sont plus. Les journalistes qui te soutenaient ne sont plus là. On avait fait un énorme travail de développement d'artistes où j'étais visible. La presse française qui s'intéressait au cinéma parlait beaucoup de moi. J'étais persuadé que j'avais toujours cet acquis. Là,  je me frotte à la réalité qui est qu'il faut recommencer… Le prochain film que j'ai envie de faire, traite de la dépigmentation volontaire de la peau qui se déroule à la Goutte d'Or, à Paris. C'est un projet sur lequel je travaille depuis dix ans... Je suis allé au Bénin pour Quintessence et maintenant je retrouve ma place naturelle qui est celle de faire des films, des concerts, de produire. Je suis en train d'écrire un nouveau scénario sur ce que j'ai vécu depuis le 13 novembre. Je distribuais des flyers pour trouver de l'argent pour Pim-Pim Tché - Toast de Vie ! et j'allais souvent devant le Bataclan pour en donner aux gens qui sortaient des concerts. J'étais censé aller là-bas ce jour du 13 novembre où il y a eu la prise d'otage. J'écris un scénario là dessus qui va être aussi une histoire d'amour. On va peut-être beaucoup rigoler au début mais la fin va être un peu violente... Au cinéma comme dans le sport, rien ne vaut l'endurance. J'aime la notion de respect des autres, l'entraide, la solidarité. Ce qu'on n'a pas beaucoup dans notre cinématographie. On ne s'entraide pas. Quand on réussit, je crois qu'il faut garder la porte entrouverte pour les autres. Plus on sera nombreux, plus on sera forts. 

 

 

Propos recueillis et introduits par Michel AMARGER

(Africiné / Paris) pour Images Francophones







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(*) Avant-Première le vendredi 05 février 2016, au Musée Dapper, Paris, à 19h (sur réservation), suivi d'un débat animé par la journaliste Catherine Ruelle, en présence du cinéaste et de l'équipe du film.
Ndlr: Si vous souhaitez assister à l'Avant-première du 05 février 2016, au Musée Dapper (35 bis rue Paul Valéry, 75016 PARIS), la réservation est à faire auprès de Mr Ange Natoudo / Attaché de presse (06 52 72 26 57 ou natoudo@45rdlc.com).
(**) Quintessence, le Festival International du Film de Ouidah, a tenu sa 13ème édition du 9 au 13 janvier 2015.

Jean Odoutan est aussi l'initiateur et le responsable de l'ICO, l'Institut Cinématographique de Ouidah. Il a pour vocation de former des jeunes aux métiers de l'image et du son ainsi qu'à l'animation. Les cours ont débuté en janvier 2006.

(***) Tous ses films ont bénéficié de l'Avance sur recettes du CNC (Paris), et sont soutenus par l'Organisation Internationale de la Francophonie, le Ministère français des Affaires Etrangères.

(****) Pour finaliser son cinquième long-métrage, Jean Odoutan cherche à mobiliser un minimum de 3 000 euros, pour payer la post production, les droits musicaux, le transfert de la pellicule en DCP, éditer des DVD et financer la campagne de presse.  Il lance une participation qui commence à " ce qu'on veut " et peut dépasser 5 000 euros pour profiter d'un ciné concert animé par Jean Odoutan. Le film est coproduit par le CNC / Fonds Sud, le Ministère des Affaires Etrangères, l'Organisation Internationale de la Francophonie, l'Office  de Radio et Télévision du Bénin, le Ministère de la Culture du Bénin. La sortie est prévue le 17 février 2016.

(*****) 45rdlc, structure de production et de distribution, créée en 1997 par Jean Odoutan, est située à l'origine, au 45 rue de la Comète, à Asnières-sur-Seine. Les films de Jean Odoutan sont sortis sous la bannière de 45rdlc, dans les salles de cinéma commerciales en France.

(******) La diffusion de Pim-Pim Tché - Toast de Vie ! est accompagnée de la parution d'un album de 14 chansons, " délibérément revigorant et modestement autobiographique ", écrites et interprétées par Jean Odoutan. La dent du bonheur, titre leader de l'album, est assorti de morceaux comme Reviens au bercail, ma caille.

 



 Image : le réalisateur Jean Odoutan

Crédit : gracieuseté 45rdlc

Michel AMARGER
(Africiné magazine, Paris),
pour Images Francophones

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