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The Endless River
Oliver Hermanus et l'esthétique du hors-champ
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 08/02/2016
Oliver Hermanus, réalisateur sud-africain
Oliver Hermanus, réalisateur sud-africain

Dans The Endless River, en lice pour le prix du public au 45ème festival international de Rotterdam (27 janvier-07 février), Oliver Hermanus semble rompre avec le réalisme sociologique de ces deux films précédents; Shirley Adams (2009) et Beauty (2014). En effet, ce troisième long métrage a tout pour être un drame social, mais Hermanus en a voulu autrement. Le réalisateur sud-africain choisit de s'engager dans une nouvelle exploration où les ingrédients sont les sentiments, le sens de la justice et la renonciation à la vengeance avec une mise en scène toute en subtilité et finesse.



Une femme blanche et ses deux enfants sont exécutés dans une ferme située en dehors d'une petite ville perdue dans la campagne sud-africaine. Les soupçons sont tout de suite orientés vers Percy, un membre d'un gang du coin et qui vient de purger une peine de quatre ans de prison. Ceci pourrait être un cadre parfait pour un drame social sur la violence et le crime organisé en Afrique du Sud. Le schéma du rituel de l'initiation d'un membre du gang est tout de suite évoqué par Percy lui-même puis par le commissaire en charge de l'enquête. La réaction de Gilles - propriétaire de la ferme et père des enfants tués - a risqué d'engager le film sur la voie de la violence raciale.
Hermanus a une autre vision. Il veut aller plus loin dans l'exploration de l'âme humaine. Mais d'abord, il montre que son souci est plus que social. La violence n'est pas montrée, elle est à peine suggérée. Hermanus use du hors-champ avec beaucoup de maîtrise comme force de suggestion. Par contre, il suffit d'un plan où Gilles, dans la lumière des phares de sa voiture, regarde vers le bas-côté de la route, ceci étant associé à la confession du commissaire au sujet de ses soupçons, pour que l'histoire prenne un tournant hitchcockien complètement inattendu.

Une histoire d'amour, parce qu'il en fallait une, nous plonge dans une autre dimension de l'histoire. Gilles a fait la connaissance de Tiny, l'épouse de Percy (sans le savoir) dans le restaurant où celle-ci travaille comme serveuse. Comme si le drame des personnages les poussait l'un vers l'autre. Les moments de silence sont comme des points de fuite dans le film. Le commissaire lance Gilles sur la piste de Percy, puis doit vivre avec le soupçon et le sens de la culpabilité. Gilles voudrait poser une question à Tiny. Il grommelle mais il ne dit mot. Lorsque celle-ci découvre le portrait de son mari dans le porte-monnaie de Gilles, elle n'en dit rien non plus. Le silence vient renforcer l'esthétique du hors-champ ; les paroles tues s'accordent à la perfection avec les images suggérées.

Les deux personnages évoluent ensemble sous le poids de leur peine mais aussi sous le poids du doute et la culpabilité. Est-ce l'amour qui leur permet de surmonter leurs peines et doutes ? Ou bien, est-ce qu'il est un refuge contre le désire de vengeance et contre le désespoir ? La fuite en avant est-elle une chance pour contrecarrer le sentiment de culpabilité dans un mélange de désire d'autopunition et de passion tragique qui ne sont jamais ouvertement affirmées.

Ainsi, Hermanus choisit les zones d'ombre, plutôt que de suivre les sentiers battus du sociologisme. Pourtant, le film ne renonce pas à une vision de la vie dans la société sud-africaine. Venus de deux origines différentes, Tiny et Gilles ont accepté leur sort de vivre ensemble faisant table rase de leurs passés. Ils choisissent de regarder vers le futur. Celui-ci n'est pas défini. Et pouvait-il en être autrement ? La rivière qui n'a pas de fin, c'est aussi ça, la vie ouverte sur l'inconnu. C'est aussi cette société sud-africaine, condamnée à avancer en faisant taire les voix de la haine et de la violence raciales. The Endless river n'est pas un drame social certes, mais il est un thriller qui met au défi l'âme humaine dans ses différentes dimensions dont l'aspect sociétal, qui plus est en toute subtilité et finesse d'esprit.

par Hassouna Mansouri

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