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Pour Aminata Sophie Dièye
"Mais souvent on meurt sans s'être revus"
critique
rédigé par Coumba Sylla
publié le 18/02/2016
Aminata Sophie Dièye (alias Aminata Zaaria)
Aminata Sophie Dièye (alias Aminata Zaaria)
Aminata Sophie Dieye dans La petite vendeuse de soleil, de Djibril Diop Mambety, 1999
Aminata Sophie Dieye dans La petite vendeuse de soleil, de Djibril Diop Mambety, 1999
Romane Boringher et Aminata Sophie Dièye, dans Lili et le baobab, de Chantal Richard, 2004
Romane Boringher et Aminata Sophie Dièye, dans Lili et le baobab, de Chantal Richard, 2004
Lili et le baobab, de Chantal Richard (avec Romane Boringher, Aminata Sophie "Zaaria" Dièye, Saidou Abatcha, François Delaive, Mamadou Ly), 2004
Lili et le baobab, de Chantal Richard (avec Romane Boringher, Aminata Sophie "Zaaria" Dièye, Saidou Abatcha, François Delaive, Mamadou Ly), 2004

J'ai ouvert un journal ce matin et j'ai pleuré.
Parce qu'avec elle, j'en ai vécu, des choses, depuis "nos années Walfadjri". Des choses inattendues, improvisées, surprenantes...
Marcher seules dans Dakar, de nuit, dans une ville aux rues mal (voire pas) éclairées aux heures où elles sont à la merci des alors très craints "agresseurs". Prendre la chaloupe pour Gorée, le temps juste d'aller tremper les pieds dans la mer côté plage et de re-sauter dans le bateau, parce qu'en fait, c'est la dernière rotation. Ou aller s'attabler dans un café chic devant une grande coupe de glace, régler la note, laisser un généreux pourboire pour ensuite faire le trajet jusqu'à la maison à pied, parce que n'ayant plus rien en poche pour prendre le car. C'étaient "La Grande Voilée", née gracieuse, taillée comme un mannequin, et "La Petite en Jeans". C'étaient nous. Il paraît que pour certains, nous n'étions "peut-être pas normales" - il est vrai que nous n'étions dans aucune norme...



J'ai pleuré parce que je ne lui ai jamais vraiment dit combien j'ai apprécié sa sollicitude, de m'avoir fait porter jusqu'à Dakar, par son ami Edouard Baer, un exemplaire de "La nuit est tombée sur Dakar" depuis son exil parisien.

J'ai pleuré parce que j'ai réalisé que je ne lui ai jamais vraiment dit combien j'aime sa plume, combien je l'aime, en tant que personne.
Je ne lui ai jamais dit que là où je passe la plus grande partie de mes journées, les numéros de L'Observateur s'accumulent depuis 2013, attendant le temps de pouvoir compiler les chroniques de Ndèye Takhawalou qui, les samedis, égayent ou donnent à réfléchir à tant d'amoureux de sa plume.

Je ne lui ai jamais dit que ses mots d'hommage à son amie et complice Khady Sylla, cinéaste décédée en 2013, m'ont hantée pendant longtemps.
"On se parlait du regard et un coup d'oeil suffisait pour déclencher l'hilarité devant une scène cocasse. Si j'ai pleuré le jour de sa mort, c'est parce que je ne pourrai plus jamais rire de cette façon-là. Désormais, il me faut apprendre à apprivoiser la solitude", a-t-elle écrit.
Quand j'ai ouvert ce journal ce matin, la nuit m'est tombée dessus.
Il me faut apprendre maintenant à parler au passé de ma "Grande Voilée", de "ma mère" (elle est l'homonyme de ma mère), de "Madame Mad", de "La dame de Lu". D'Aminata Zaaria.
"C'est pourtant comme ça dans la vie : on est les meilleurs amis du monde, les circonstances viennent nous séparer, absolument comme la tempête disperse les épaves. Quelquefois les hasards vous remettent en présence, mais souvent on meurt sans s'être revus. Mais voilà que je me mets à dire des choses tristes et à parler de mort ! Allons, secouons notre mélancolie et tâchons d'être plus joyeux !" - Alphonse Allais, "Chroniques du bon sens" dans "A l'oeil"
Alors, au revoir Aminata Sophie Dièye. Et bonnes retrouvailles avec ceux qui t'ont précédée là-bas et qui, depuis leur départ, te manquaient tant.

Coumba Sylla
Dakar, jeudi 18 février 2016

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