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Parfum de printemps
Survol des terrasses et des révoltes en Tunisie
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 18/04/2016
Michel Amarger (magazine Africiné)
Michel Amarger (magazine Africiné)
Férid Boughédir, réalisateur tunisien
Férid Boughédir, réalisateur tunisien
Parfum de printemps
Parfum de printemps
Un été à la Goulette
Un été à la Goulette
Villa Jasmin, 2008
Villa Jasmin, 2008
Africiné Magazine, the World Leader (African & Diaspora Films)
Africiné Magazine, the World Leader (African & Diaspora Films)

LM Fiction de Férid Boughedir, Tunisie / France, 2016
Sortie France : 20 avril 2016

Après l'hiver et le dégel de la révolution de 2011, les réalisateurs tunisiens reviennent aux affaires. Férid Boughedir signale son retour sur les écrans avec Parfum de printemps, 2016. Un temps écarté des commissions d'aide par un ministre qui le bloquait, le réalisateur s'est fait discret après avoir participé au renouveau du cinéma tunisien des années 80, avec Halfaouine (L'enfant des terrasses), 1990, suivant le regard d'un garçon malicieux, puis Un été à la Goulette, 1996, rappelant la cohabitation des communautés à Tunis. Hormis l'écriture d'un film télé, Villa Jasmin, 2008, Férid Boughedir continuait ses activités de critique tout en s'impliquant dans la réflexion sur la rénovation du cinéma en Tunisie. Après le changement de régime, le réalisateur reprend ses droits avec Parfum de printemps, et paraît clore une trilogie sur l'époque Ben Ali.



Aziz, dit Zizou, est un paysan qui "monte" à Tunis pour assurer un emploi dans le souk. Mais la boutique est en liquidation, et il se trouve coopté par un vendeur de paraboles qui l'épaule. Zizou travaille avec candeur et se trouve embarqué du côté des miliciens de Ben Ali qui le recrutent comme informateur. Mais il se retourne contre eux lors d'une manifestation où ils battent des femmes. Les religieux qui s'emploient à fournir des médicaments pour s'implanter dans le quartier, le récupèrent et l'hébergent avant qu'il ne prenne ses distances. Car Zizou qui a réparé la parabole d'un homme riche de Sidi Bou Saïd, est attiré par Hamma, beauté retenue captive. Il vole de toit en toit pour la regarder, lui parler et tenter de l'extraire de sa prison dorée pendant que les manifestations de rues s'amplifient contre le maintien de Ben Ali au pouvoir.

Cette trame est le prétexte à une comédie de moeurs plutôt dispersée. "Il s'agit d'une fable, guidée par le principe du plaisir", explique Férid Boughedir, "destinée d'abord à dire aux Tunisiens, qui vivent encore des temps difficiles, que les véritables héros ne sont pas toujours ceux qui le prétendent". Il aligne alors des scènes remuantes autour de Zizou, sorte de Candide jeté dans les décors lumineux de Tunis et ses environs, jusqu'aux soulèvements de janvier 2011, où il devient un leader malgré lui. Le réalisateur suit tant bien que mal cette évolution en proposant de "découvrir sans complaisance et à travers l'humour le quotidien d'un peuple qui est bien loin de la vision de violence systématique trop souvent accolée au monde arabo-musulman".

Son inclination à forcer le trait pour évoquer les compromis du régime de Ben Ali, ceux qui s'en accommodent comme ceux qui retournent leur veste, pousse le cinéaste à valoriser la faculté de tirer son épingle du jeu tout en jouant des codes. Les musiques de Kaïs Sellami et Cyril Morin annoncent la gamme des sentiments recherchés. Ainsi Un parfum de printemps n'évite pas les scènes prévisibles, parfois convenues, ni le jeu poussé des acteurs dont l'interprète de Zizou, Zied Ayadi, un fonctionnaire du Ministère des Finances, repéré dans un cours de théâtre amateur. Autour, des pointures de la scène et du cinéma tunisien dont Jamel Sassi, Ramzi Slim, Fatma Ben Saïdane, composent des personnages typés, parfois difficiles à cerner dans l'éparpillement du récit.

Parfum de printemps a pourtant bénéficié de trois scénaristes dont Claude d'Anna et Taoufik Jebali, de trois techniciens du son et de trois monteuses. Il est produit par des fonds français dont le CNC, Canal+, France Télévisions et TV5 Monde, le Fonds Image de la Francophonie et le Fonds du Ministère de la Culture de Tunisie. Ces moyens justifient la qualité technique des images mais pas le foisonnement d'une histoire qui vise plusieurs directions. L'une d'elles est la faculté du héros à surplomber les rues de Sidi Bou Saïd à partir des toits comme le faisait l'enfant de Halfaouine pour mieux observer les habitants de Tunis.

"Le gamin devenu adulte pourrait tout à fait être Zizou", concède le réalisateur, poursuivant ses thèmes et ses scènes favorites : belle femme au balcon, larges vues sur la baie de Tunis, œil voyeur de l'homme, citoyens agités… Le tout, lesté de quelques répliques truculentes, donne l'opportunité à Boughedir de revenir dans le cercle restreint des cinéastes tunisiens après les changements du printemps 2001, pour "saisir cette précieuse liberté nouvellement acquise avant qu'elle ne disparaisse de nouveau et tenter de l'exprimer par le cinéma". Une aspiration à la fois libératrice et un peu flottante, à l'image de Férid Boughedir et ses ambitions de fiction dans l'air du temps.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France),
pour Africiné

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