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En quête d'autres regards, réfléchir les images de la prison
critique
rédigé par Hassouna Mansouri
publié le 28/05/2016
Hassouna Mansouri (Africiné Magazine)
Hassouna Mansouri (Africiné Magazine)
Kamel Regaya, réalisateur et directeur artistique
Kamel Regaya, réalisateur et directeur artistique
Africiné Magazine, the World Leader (African & Diaspora Films)
Africiné Magazine, the World Leader (African & Diaspora Films)

Longtemps exclue des schèmes de la pensée alors qu'elle est une composante incontournable de la société moderne, la prison est réhabilitée comme réalité mais aussi comme perspective d'interrogation sur ce qui fonde l'organisation de la vie en société. Dans le sillage des philosophes des années soixante à l'instar de Foucault et Deleuze, pour ne citer que les plus éminents, des pratiquants des arts visuels continuent de visiter cet espace sujet à des passions très souvent ambigües, entre fascination et attrait mais aussi rejet et répulsion. Il en sort des images surprenantes, intrigantes, voire même déstabilisantes des fois, face auxquelles la pensée se doit de réinventer de nouveaux outils d'analyse. C'est dans cette perspective que le projet Res tient sa raison d'être.

Riche de son expérience dans plusieurs espaces carcéraux français, l'association Les Yeux de l'ouïe s'engage dans une nouvelle expérimentation dans le contexte de la Tunisie de l'après décembre 2010. Ici, c'est une société en plein changement et tiraillée de tous côtés : partis politiques, société civile, forces géopolitiques. Or, dans toutes les discussions sur l'éventuelle Tunisie nouvelle, la prison a peu de place voire pas de place du tout.
Pourtant elle a été, inconsciemment (ou pas autant que ça, en fait), au centre du soulèvement populaire qui a réclamé et stimulé le changement que le pays est en train de vivre. Le désir qui aurait été le moteur de l'agitation c'était de renverser la donne : les détenteurs des rênes de l'ordre sous l'ancien régime devaient être écartés au nom d'une sorte de désir profond de revanche des décennies d'exclusion et de marginalisation d'une grande partie de la société. Plus révélateur encore de l'avènement de la prison comme un subconscient qui subrepticement émerge, c'est le moment de la grande débâcle (en janvier 2011) lorsque les portes des prisons ont été ouvertes, annonçant la disparition de la dernière ligne de démarcation entre l'ordre et le chaos.

Dans le contexte de cette Tunisie qui interroge ses fondements sociétaux à la recherche de nouvelles perspectives d'organisation de la vie dans tous ses sens, la mise en œuvre d'un projet où les frontières de la vie en société sont mises en question prend tout son sens : penser les fondamentaux de l'ordre sociétal en invitant les principaux acteurs de sa défense, en l'occurrence la société civile, à travers le prisme de sa négation qui est aussi, et paradoxalement, sa forme la plus extrême. Res est un film qui se veut d'abord un laboratoire de déconstruction des poncifs [Kamel Regaya en est le Réalisateur et le Directeur artistique. NDLR]. En faisant de la prison, non pas seulement un lieu où un film est fait, mais un locus de réflexion et de réfection. Les fondements de la vie en société en termes de lois, de principes de justice et de pouvoir sont interrogés à la lumière de la République de Platon comme texte fondateur et repère philosophique de la démarche. Les correspondances entre la prison et son extérieur permettent de faire éclater les cadres usuels de représentation et de repenser les évidences.
Il en va de même de la démarche filmique. Dans la perspective du décloisonnement, un concept aussi central comme celui de l'auteur est sujet de doute, voire d'ambiguïté. Il est mis en questionnement en passant la main aux détenus engagés dans un processus de réflexion et de fabrication de leurs propres images. Res n'est pas une histoire qu'on raconte, ni une réalité qu'on montre ou démontre, bien qu'il s'agisse d'un propos qui a trait à la place de la prison dans notre imaginaire. Ainsi à tous les points de vue, et avec son principe de réflexion au sens physique de reflet, Res se veut surtout une invite à repenser des concepts susceptibles de faire voir la réalité autrement et par là même, de prospecter des perspectives nouvelles et inédites d'imagination. Le film se propose donc aussi comme une tentative-défi de penser le cinéma et l'image d'une nouvelle manière.

par Hassouna Mansouri

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