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Sembène!, de Samba Gadjigo et Jason Silverman
Un chuchotement à la mémoire…
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 14/09/2016
Bassirou Niang (Africiné Magazine)
Bassirou Niang (Africiné Magazine)
Samba Gadjigo, coréalisateur sénégalais
Samba Gadjigo, coréalisateur sénégalais
Jason Silverman, coréalisateur américain
Jason Silverman, coréalisateur américain
Feu Ousmane Sembène, réalisateur et écrivain
Feu Ousmane Sembène, réalisateur et écrivain
Danny Glover, acteur et producteur américain
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Gordon Parks, photographe et premier cinéaste noir hollywoodien
Gordon Parks, photographe et premier cinéaste noir hollywoodien
Angela Davis, écrivaine et universitaire américaine
Angela Davis, écrivaine et universitaire américaine
Skipe Lee, cinéaste et producteur américain
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Wole Soyinka, écrivain et universitaire nigérian
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Boubacar Boris Diop, écrivain sénégalais
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Le sociologue et historien américain William E. B. Du Bois et Ousmane Sembène
Le sociologue et historien américain William E. B. Du Bois et Ousmane Sembène
Sembène et Orson Welles, réalisateur et acteur américain
Sembène et Orson Welles, réalisateur et acteur américain


C'est un chuchotement à la mémoire d'Ousmane Sembène que laisse entendre ce film documentaire sur un homme au parcours cinématographique absolument remarquable, à l'engagement conséquent, au courage jamais entamé face aux circonstances. Sembène ! peut être considéré comme un film qui ouvre les pages nouvelles d'une conscience africaine dans un regard en miroir porté par le "Ceddo" (le "rebelle", en langue wolove).


Rebelle jusqu'à la lie ! Ainsi oserions-nous qualifier Sembène après avoir vu le film, portant le même nom, produit par Samba Gadjigo et Jason Silverman. 1000 heures de rush et 50 interviews auront permis aux deux collaborateurs de tirer quelque chose d'instructif pour mettre debout une mémoire cinématographico-littéraire qui revisite le Temps tout en se laissant revisiter par le Temps. Dans ce film tout est Sembène et tout y est Sembène à la fois. Ressemblant à une biographie à la démarche autre, les images du cinéaste sont un puzzle charriant l'enfance, l'exil économique à Marseille, la re-naissance sortie de l'accouplement de la vie de docker aux connaissances glanées dans les livres de la bibliothèque des syndicalistes, une philosophie individuelle, un héritage en lutte contre l'oubli.






La scène d'ouverture informe généreusement sur une enfance heureuse faite naturellement d'insouciance chez un homme qui rêvait à 14 ans d'être Français mais qui trop vite, suite aux récits merveilleux d'un artiste de sa contrée, rencontra trop tôt, à 17 ans, son identité véritable au point de vouloir devenir Africain. Dans un commentaire de Samba Gadjigo, Sembène nous est raconté à travers les images de ses films dans une démarche chronologique informant de l'évolution graduelle de l'homme. De ses premiers pas dans le creuset culturel de la société des indépendances se dessine l'engagement au bout d'une immersion dans l'univers des livres et des mots dont le prolongement se révéla en une posture derrière la caméra et parfois devant elle. L'exil sera pour lui comme "un coup de poing sur le crâne" pour prendre le mot de Kafka ; lequel sonna son "réveil politique", à entendre Samba Gadjigo. "J'ai un travail que j'aime et que personne ne m'a demandé de faire", confie Sembène, conscient de la nécessité de faire des films africains pour les africains. "Si les Africains ne racontent pas leur propre histoire, l'Afrique va bientôt disparaître", s'alarmait-il. Borom Sarett et Le Mandat achèveront de convaincre qu'un nouveau soleil venait de briller sur le cinéma africain. Un temps nouveau portant la cause d'un homme qui a su, selon Gadjigo, "humaniser les Noirs" dans sa façon de filmer. Au contraire, il faut le rappeler, de certains films socio-anthropologiques - comme Moi, un noir de Jean Rouch - qui, dans les postures intentionnelles de caméra, faisaient le l'homme noir un animal dénué de toute once d'humanité.

Le film fonctionnera comme le défilement de tableaux où apparait un Sembène rebelle, un Sembène au franc-parler qui déroute, un Sembène qui n'abandonne jamais, un Sembène capable de tirer un trait, à travers la satire et la moquerie (Ceddo), sur la religion non sans manquer de débusquer l'hypocrisie de ses semblables, surtout quand ils sont appelés "politiciens" (Xala). "Mon franc-parler, c'est ma liberté. Ce n'est pas un défaut", aimait-il à marteler.

La photographie mémorielle aidera aussi à mesurer la dimension de l'homme à travers le témoignage de cet album où l'on retrouve Sembène Ousmane en compagnie de Danny Glover, Gordon Parks, Angela Davis, Spike Lee, Wole Soyinka etc. Tout comme les témoignages de Nafi Ndoye, sa femme de ménage, de Boubacar Boris Diop, écrivain, de Manthia Diawara, Directeur de l'Institut d'Etudes africaines à la New York University, critique de cinéma, de son fils aîné Alain Sembène, fourniront des preuves des facettes multiples du cinéaste.
Perçu comme "un miroir pour l'Afrique", le film reviendra sur les peines de "l'aîné des anciens" (interdiction de Ceddo au Sénégal par Senghor, interdiction de Camp de Thiaroye par la France jusqu'en 1998 quand bien même ce film aura obtenu cinq prix au Festival de Venise lors de la première sortie internationale) et les succès cinématographiques dont l'un des plus retentissants fut obtenu avec son dernier long-métrage Moolaadé.

Seulement, parmi les images peuplées de ce film, un tremblement de la conscience nous prend quant à l'état de délabrement des archives de Sembène, abandonnées aux ravages du temps pendant des années dans sa villa qui fait face à la mer. On risque de frémir de peur à leur vue et de se demander ce qu'il en sera de nos icônes que l'indifférence des autorités risque de voir s'affaisser.
Samba Gadjigo au bout du compte, va devenir certainement le gardien du temple, de cette mémoire que bien des nations étrangères vénèrent en l'élevant à la dignité de héros.
Peut-être qu'à la fin, il faut mettre des pointillés puisqu'on ne peut finir de parler de Sembène décrit par Boubacar Boris Diop comme "quelqu'un infiniment plus fort que son propre destin".
Rappelons que ce documentaire de 84 mn, réalisé en 2015, a reçu plusieurs distinctions : Prix de la critique au festival de Luxor, Egypte ; Prix du meilleur documentaire au Festival de Maine, USA ; Prix Paul Robeson (Mention Honorable) à Newark Black Film festival, New Jersey, USA.

Bassirou NIANG
Dakar - SENEGAL

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