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Hissein Habré, une tragédie tchadienne
Une caméra dans "l'enclos" d'un dictateur
critique
rédigé par Bassirou Niang
publié le 18/10/2016
Bassirou Niang (Africiné Magazine)
Bassirou Niang (Africiné Magazine)
Mahamat-Saleh Haroun, réalisateur tchadien
Mahamat-Saleh Haroun, réalisateur tchadien
Scène du film
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Africiné Magazine, the World Leader (African & Diaspora Films)
Africiné Magazine, the World Leader (African & Diaspora Films)


Pourquoi tant de mal, de sécheresse humaniste, d'âmes qui traînent dans notre sommeil ? C'est la question que devront se poser beaucoup de Tchadiens lorsqu'ils choisiront avec courage de considérer leur passé. Projeté au Festival Ciné Droit Libre dont l'ouverture s'est faite à l'Institut Français de Dakar le mercredi 21 septembre 2016, Hissen Habré, une tragédie tchadienne, film documentaire de 82 minutes, réalisé par le cinéaste Mahamat-Saleh Haroun, réveillera, on s'en doute, les consciences sur la sacralité des libertés et l'exigence de tolérance, sans oublier le devoir de punition sur la route du pardon et/ou de la réconciliation.






C'est comme si le cinéaste avait emmené les victimes du régime d'Hissein Habré (de 1982 à 1989) devant un mur de lamentations pour leur demander de mettre à nu leur coeur. L'exutoire devient le premier mot du spectateur qui suit laconiquement ce flot de mots sortis de cœurs meurtris, d'âmes piétinées, de corps pulvérisés. C'est aussi comme si ce ne sont plus des êtres qui parlent, mais l'âme fêlée de ceux-ci après des années de torture derrière des portes tristes, enclos humains pour barbarie que les mesures de la conscience ignorent. Mais il fallait parler ! Et la position de la caméra le suggère bien à travers ses gros plans qui, semblables à une archéologie, fait ressortir les chemins insolents empruntés par les armes sur les corps - territoire charnels - de chaque victime à qui l'on ingurgitait de l'eau pimentée.






Dans le labyrinthe des blessures, apparaissent des mots : "ils m'ont arraché les vingt ongles", raconte un homme accusé d'être un espion de la Libye, qui a passé plus de trois ans dans les prisons de la DDS, la police secrète, et qui pria, dit-il, pour le repos mortel des 2 053 détenus qui ont eu peut-être plus de chance que les vivants en se séparant de leur souffrance. En des lieux où même l'espoir est une aubaine, la vie était intercalée entre la mort et les sévices corporels. Le film montre, à travers la charge émotionnelle de chaque témoignage, la tragédie de tout un peuple qui racontera un jour dans ses annales d'histoire qu'il fut un temps de dictature où les prisonniers, le soir, faisaient de leurs voisins morts des "oreillers" et aussi des "régulateurs de chaleur" pour "se confier à Dieu" quand on ne sollicitait pas la mort. Un médecin jeté en prison, dira qu' "il fallait se débrouiller pour résister à la mort", lui qui était chargé de la sale besogne en prison : enterrer ceux qui avaient trépassé. Il ne s'en trouvera pas sauvé, puisqu'il pense, en citant Baudelaire, qu'il lui faudra désormais "rassembler" sa vie "avec un râteau".

Des vies intercalées entre mort et souffrance

Les charniers découverts, dit-on, ont caché 40 mille morts. Parmi les rescapés, les stigmates dominent la vie ; béquilles, oreilles qui n'entendent plus, cerveau atteint, yeux à jamais plongés dans le noir, cicatrices chaque jour parlantes, et des cœurs enflés de colère et de haine. Au point que certains se sont demandés, une fois la porte de sortie franchie, "comment se venger ?". Mais dans la profondeur de la douleur, surgit pour le spectateur un petit filet mince de sourire quand un témoin de l'horreur, explique avec un brin d'ironie comment les geôliers provoquaient le délire de certains détenus : ils leur plaçaient "une aiguille sur la tête" pour les voir, au final, parler "une langue incompréhensible", avant d'en mourir. L'Association des victimes du régime d'Hissein Habré eut certainement chanté l'ode aux disparus quand fut déclaré officiel le procès de l'ancien dictateur à Dakar [renversé en 1990 par Idriss Déby, il a été condamné à perpétuité à Dakar par un tribunal extraordinaire africain qui l'a reconnu coupable le lundi 30 mai 2016 de crimes de guerre et crimes contre l'humanité, NDRL].






Le réalisateur n'a pas manqué de se promener sur des lieux de torture, en compagnie de ceux-là épargnés par la mort dans une sorte de pèlerinage où il faut crever l'abcès quand on n'a pas l'occasion d'échanger avec son bourreau comme à ce gendarme - appelé Mahamat "Camerounais" - s'assimilant à un "chien dressé à l'attaque" par ses supérieurs, en face d'une de ses victimes à qui il se résolut à présenter ses excuses… à genoux, visiblement indifférent.
Par ce film documentaire, Mahamat Saleh Haroun aura rassemblé des pans de mémoire brûlante de l'histoire d'un pays perdu dans ses déserts, ses vents de sable, ses désespoirs et momentanément dans… "l'enclos" de son dictateur.


par Bassirou NIANG

article paru dans le magazine Dynamique (Dakar) n°5, Octobre 2016. www.dynamiquemag.com

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