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Hommage à Joseph Traoré, comédien burkinabé, décédé ce 13 novembre 2016, à Ouaga
Entretien avec l'homme de cinéma
critique
rédigé par Emmanuel Sama
publié le 14/11/2016
Le regretté Joseph TRAORÉ dit "Gros Jo"
Le regretté Joseph TRAORÉ dit "Gros Jo"


Entretien avec Joseph TRAORÉ dit "Gros Jo", comédien de cinéma
Il est mort ce 13 novembre 2016, à Ouagadougou, Burkina Faso.
C'est avec beaucoup de tristesse que nous avons appris la disparition brutale ce jour 13 novembre à son domicile du comédien joseph TRAORE dit le Gros Jo, un des pionniers du cinéma burkinabè.il vivait reclus depuis quelques années loin des plateaux suite à l'amputation de sa jambe. Les critiques de cinéma lui avait rendu hommage à l'occasion de la Deuxième Semaine de la critique cinématographique SECRICO en 2011 et lui ont décerné l'étalon de reconnaissance de Yenenga pour sa carrière. ENTRETIEN AVEC JOSEPH TRAORÉ.


Emmanuel SAMA : Joseph TRAORÉ, vous êtes l'un des anciens de la cellule cinéma mise en place au moment de l'indépendance en 1960. Comment êtes vous venu au cinéma ?
Joseph TRAORÉ : J'ai débuté comme chauffeur au ministère de l'information en 1959. En 1961, j'ai été affecté à la cellule cinéma et devant conduire Serge RICCI qui avait la charge de cette activité. C'est lui qui a commencé à m'initier un peu au rôle de comédien sur les films de sensibilisation.

Qui étaient vos collègues à l'époque ?
Ceux qui me coiffaient étaient Issaka THOMBIANO et Sékou OUÉDRAOGO (tous deux devenus cameramen). Il y avait aussi Jean-Pierre OUÉDRAOGO qui s'occupait de la cinémathèque. Je suis devenu chauffeur-projectionniste quand ils ont su que j'avais été projectionniste du "Cinéma-Rex"de Bouaké en Côte-d'Ivoire dans les années 1954. A la projection, mon patron était monsieur TIENDRÉBÉOGO Boureima, le chef des salles de la Société Nationale Voltaïque de Cinéma en abrégé SONAVOCI (défunte Société Nationale de Cinéma Burkinabè en abrégé SONACIB), créée avec la nationalisation des salles de cinéma en 1970.

Ainsi, vous avez débuté la comédie avec Serge RICCI sur les films de sensibilisation, dites-vous ?

Oui, c'est Serge RICCI qui me disait comment je devais jouer tel ou tel rôle. C'étaient de petits rôles. Je le faisais avec plaisir. Il faut surtout dire que c'étaient des rôles non rémunérés. Ainsi la volonté de faire du cinéma m'est venue.

Vous avez grandi dans le quartier Dapoya, près de la famille Kouyaté. Racontez-nous votre rencontre avec Sotigui.
En effet, je n'ai pas rencontré Sotigui par le cinéma. Nous étions voisins immédiats, et sa génération constituait nos aînés de quartier. Ensuite, nous nous entrainions avec eux au football donc on se côtoyait tous les jours. Voilà comment Sotigui et moi nous nous sommes connus.

Sotigui était déjà dans le théâtre. Ne vous a-t-il pas fait appel ?
Si, Sotigui nous a demandé de venir dans le théâtre. Je lui ai répondu que je ne suis pas suffisamment doué pour apprendre les choses par cœur et de m'épargner de ce travail trop difficile. Il ne voulait rien entendre mais moi, je suis resté sur mes positions.

Vous avez fini par vous rencontrer sur des plateaux de tournage tout de même ?
C'est sur le film de Christian RICHARD, Le courage des autres (1982) que nos chemins se sont croisés au cinéma, je faisais de la régie. Après, ce fut sur Wendemi de Pierre YAMÉOGO. Quand je suis arrivé pour le casting, Sotigui m'a dit : "Jo, ton rôle est déjà prévu". J'ai joué le rôle de policier et ça s'est très bien passé. Ensuite, ce fut sur Sia, le rêve du python de son fils Dani.

Y a-t-il des rôles qui vous ont réuni dans un film ?
Sur Jours de tourmente de Paul ZOUMBARA, nos rôles étaient liés. Sotigui était le petit commerçant détaillant du village dans le film, et moi le commerçant de la ville qui le ravitaillait à crédit. Mais comme il était mauvais payeur et je suis rendu au village réclamer mon dû. Il tente de se justifier et ne me convainc pas alors, je le menace en ces termes : "Tu me connais, la prochaine fois que je vais venir ici, tu verras ce que je vais te faire"et je démarre ma moto et je m'en vais. A la fin de cette séquence, Sotigui me dit : "Jo, tu es méchant", ma réplique est : "Je ne suis pas méchant, tu me dois et tu ne veux pas payer". Il répond : "Je vais te payer", je persiste dans ma réclamation : "Si tu ne payes pas tout de suite, je ne bouge pas". L'ambiance sur ce plateau était bonne.

Pour revenir à votre carrière, parlez-nous de vos débuts au service cinéma du ministère de l'information.
Comme je le disais tantôt, lorsque j'ai été affecté à la cellule cinéma sous la houlette de Serge RICCI, il y avait déjà Issaka THOMBIANO et Sékou OUÉDRAOGO et aussi Jean-Pierre OUÉDRAOGO qui s'occupait de la cinémathèque. Puis sont venus DJIM Kola, Gaston J.M. KABORÉ, Paul ZOUMBARA pour ne citer que ceux-là. J'ai été chauffeur, puis chauffeur-projectionniste (à l'époque on disait opérateur pour désigner le projectionniste). Je me suis initié au son par la suite, ce qui m'a valu de suivre Gaston KABORÉ au Mali pour un reportage sur le film Yeelen de Souleymane CISSÉ. Quand Gaston KABORÉ a été nommé Directeur du Centre de Cinématographie, il m'a fait confiance en m'affectant à la régie malgré que je n'aie jamais suivi une formation spécifique pour ce faire. Pour lui, l'amour du travail et mon sens élevé de l'organisation étaient des atouts dans l'exercice de la fonction de régisseur, laquelle fonction que j'ai exercé d'ailleurs jusqu'à ma retraite sous plusieurs directeurs : il n'a pas eu tort.

Dans votre carrière, quels peuvent bien être votre coup de cœur et votre coup de gueule ?
Mon coup de cœur c'est d'avoir travaillé pratiquement avec tous les cinéastes tels que Gaston KABORÉ, Paul ZOUMBARA, Idrissa OUÉDRAOGO, Kollo SANOU, Pierre YAMÉOGO, Missa HÉBIÉ… Mon coup de gueule ? Non ! C'est plutôt une certaine amertume. En effet, depuis ma fameuse maladie (ndlr : le diabète) qui m'a valu l'amputation d'une jambe, seuls Missa HÉBIÉ et Adama ROUAMBA ont pensé à me faire jouer dans leur films. Missa HÉBIÉ, est venu me traduire sa compassion pour ces moments douloureux que je traversais et m'a proposé un petit rôle dans sa série TV Commissariat de Tampy. Quand à Adama ROUAMBA, il est venu me chercher pour que je joue dans son film Humanitaire qui a été tourné dans Bobo et ses environs. Hormis ceux-là, le monde du cinéma m'a complètement mis aux oubliettes. Mes va-et-vient entre le Centre Hospitalier National Yalgado OUÉDRAOGO et mon domicile pour le renouvellement de mes pansements me coûtaient une vraie fortune en frais de transport et l'hôpital a dû m'autoriser à me soigner dans un centre de santé du quartier.
Un jour, pendant que j'y étais pour mes soins, un enfant est venu me dire que j'avais de la visite à domicile. A mon retour, m'attendaient : Raso (Rasmané OUÉDRAOGO), Madame YAMÉOGO, Kadie jolie (Aminata DIALLO-GLEZ), Kouka Honoré OUÉDRAOGO, Pagnagdé (SAWADOGO Alidou), ils étaient au nombre de sept (7) personnes et je m'excuse auprès de ceux dont je ne me souviens plus. Je crois qu'ils s'attendaient à me voir le moral aux talons m'apitoyant sur mon sort, alors pour décrisper l'atmosphère j'ai taquiné Raso puis les autres, tous se sont mis à rire. Leur visite s'est terminée par un geste salvateur en mon égard et je leur dis encore merci.
Depuis ce jour, quand il y a un évènement majeur, Raso vient me chercher chez moi pour m'y conduire et jusque-là il n'a jamais dérogé à cette tâche qu'il s'est lui-même imposé ; la dernière en date est l'inhumation de Sotigui KOUYATÉ car il connaissait la nature de nos relations. Grâce à Raso, j'ai pu rendre un dernier hommage à cet ami cher en allant à son enterrement car vous n'ignorez pas que ma mobilité est très réduite.

Parmi tous les rôles que vous avez joués, quels sont ceux que vous estimez avoir réussi pleinement ?
C'est difficile à choisir mais je dirai tout de même qu'il ya d'abord eu le personnage que j'ai incarné dans la série TV Sita de Missa HÉBIÉ aux côtés des regrettés Balla Moussa KEITA et GNILASSE Lacina. Ensuite il y a le rôle que j'ai joué dans "Jours de tourmente", où j'étais un commerçant et dans Siraba de Issa TRAORÉ de Brahima où je joue "le Général". A ce propos, dans le quartier où j'habite, les gens pour me taquiner me lance cette phrase "Jo, tu vas bombarder"en référence à mon rôle de "Général". Enfin, il ya le rôle que j'ai incarné aux côtés de Hippolyte OUANGRAWA dans le film La mariée était barbue de Valérie KABORÉ. Quand je rentre dans un débit de boisson, il ya toujours quelqu'un qui me reconnait et m'offre une bière en disant inévitablement que je dois voir clair en allant retrouver ma mariée barbue.

Quelles analyses globales faites-vous de l'évolution du cinéma burkinabè ?
Depuis la grande époque du cinéma burkinabè à nos jours, je trouve que le niveau du cinéma a baissé. A ma souvenance, il y a même eu un FESPACO le cinéma burkinabè a peiné pour pouvoir avoir un long métrage dans la sélection officielle. Même au niveau des courts métrages, c'était même difficile et pour relevé le défi, Adama ROUAMBA a mis les bouchées doubles avec son court métrage Humanitaire afin que le Burkina Faso soit représenté à cette biennale du cinéma africain. Au temps où faire du cinéma coûtait cher, la production cinématographique était abondante par rapport à aujourd'hui avec le progrès technologique, on n'emploie plus ni le matériel lourd ni la cinquantaine de personnes dans l'équipe technique. Les contraintes comme bien protéger les boites de pellicule, les expédier dans les laboratoires en Occident et attendre indéfiniment leur retour : malgré tous ces progrès, nous avons toujours des problèmes.

Pensez-vous que c'est un manque de créativité ?
Non ! Ce n'est pas essentiellement un manque de créativité. Les cinéastes ont toujours quelque chose dans la tête. Lorsqu'on créé et qu'on n'a pas les moyens de réaliser, qu'est-ce qu'il faut faire ? Mettre son scénario dans un tiroir et taper aux portes comme c'est de coutumes actuellement ? Pour un budget dérisoire, des réalisateurs sont obligés de cavaler deux à trois ans. On ne peut pas reprocher aux cinéastes burkinabè de ne pas créer, ce sont les moyens qui font défaut.

Certes cela s'adresse aux cinéastes d'une certaine génération : les anciens. Pourtant aujourd'hui ça tourne avec cette nouvelle génération de cinéastes qui ont le vent en poupe avec les séries TV notamment ?
De nos jours les conditions de travail ont changé. Beaucoup sont venus au cinéma non pas par vocation mais par dépit après avoir passé en vain de nombreux concours ou postulé en vain à plusieurs emplois et le souci alimentaire aidant… Prenons le cas d'une personne qui finit par devenir infirmier après de telles péripéties, pensez-vous qu'il puisse s'occuper correctement d'un malade ? D'autres sont venus au cinéma parce qu'ils ont ouïe dire qu'il y a de l'argent dedans. Tout de suite, lorsqu'ils arrivent à rassembler un petit budget pour leur projet de film, c'est à une voiture personnelle qu'ils songent. La moitié de leur budget va dans leurs affaires personnelles d'abord, les techniciens et les comédiens en second plan sont mal payés. Même au niveau des comédiens, il y en a qui nuisent aux autres.
A titre d'exemple, quand j'ai joué dans le film La mariée était barbue, le montant de mon cachet était de cent mille (100 000) francs CFA [150 euros], beaucoup m'ont poussé à la révolte car pour eux mon jeu valait plus. Le refus catégorique que je leur ai opposé en me justifiant, car pour moi, Valérie est plus qu'une réalisatrice mais une sœur, m'a fait du bien plus tard : après l'amputation de ma jambe, par l'intermédiaire de sa grande sœur qui se trouve être ma voisine de quartier Valérie s'est investie pour moi en prenant en charge la moitie du coût de ma prothèse. Je conseille aux jeunes surtout de placer l'homme avant l'argent et tisser des liens solides entre eux car dans le cinéma, on doit vivre comme dans une famille unie.

Propos recueillis par Emmanuel SAMA, le jeudi 22 avril 2010
Critique de cinéma - ASCRIC-B

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