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Entre les frontières
Un camp peut en cacher un autre
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 08/01/2017
Michel Amarger (magazine Africiné)
Michel Amarger (magazine Africiné)
Avi Mograbi, réalisateur israëlien
Avi Mograbi, réalisateur israëlien
Scène du film
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Scène du film
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Chen Alon, metteur en scène israëlien
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Scène de Août
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Scène de Happy Birthday Mr Mograbi!
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Scène du film
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Africiné Magazine, the World Leader (African & Diaspora Films)
Africiné Magazine, the World Leader (African & Diaspora Films)

LM Documentaire de Avi Mograbi, Israël / France, 2016
Sortie France : 11 janvier 2017


Les migrants africains s'infiltrent dans le cinéma israélien. En fuyant la violence qui dévaste l'Éthiopie, le Soudan, les exilés noirs passent par l'Égypte pour tenter une sortie par Israël. Cet État ne peut les renvoyer dans leurs pays, en fonction des conventions internationales. Les réfugiés ne sont pas expulsables mais Israël n'accorde ce statut qu'à un petit nombre, rejetant les Africains sans visa dans des camps de détention à partir de 2012. L'année d'après, le camp de Holot est ouvert, dans le désert du Néguev, au sud d'Israël, où 3 360 personnes sont fixées. Libres de leurs mouvements, elles doivent quand même répondre à l'appel trois fois par jour. Devant l'affluence croissante des Africains, en 2015, la Cour Suprême réduit la détention à 12 mois et 1 200 demandeurs d'asile sont relâchés pour être remplacés par d'autres.






L'endroit, propice à la rencontre avec les migrants, attire le cinéaste Avi Mograbi, réputé pour ses documentaires frontaux, remettant en cause les mythes fondateurs d'Israël, tels Août (avant l'explosion), 2002, ou Dans un jardin je suis entré, 2012. Profitant d'un atelier de théâtre qu'il anime avec Chen Alon, l'auteur de Pour un seul de mes deux yeux, 2005, évalue la création artistique comme un geste politique, en questionnant la manière dont Israël exprime sa capacité d'accueil envers les migrants africains. L'atelier de théâtre proposé aboutit à l'élaboration d'une pièce de théâtre pendant que Avi Mograbi réalise Entre les frontières, 2016.
La pratique théâtrale est l'occasion d'approcher pendant plusieurs mois les exilés africains. "En créant une situation de travail en commun avec des demandeurs d'asile autour d'ateliers de théâtre, nous ne venions pas "aider" ces migrants, mais faire quelque chose avec eux, et cela transforme toute la manière dont on les regarde", prévient le cinéaste. Il s'adjoint la collaboration de Chen Alon, emprisonné pour avoir participé à la fondation du mouvement "Courage to Refuse", réunissant des militaires refusant de servir dans les territoires palestiniens occupés. Activiste fondateur de "Combatants for Peace", contre l'occupation, soutenant la solution d'un Etat pacifiste pour les deux peuples, l'artiste militant connaît la question des camps.






Son apport oriente le projet de Avi Mograbi vers l'intervention participative comme il le précise : "Il m'a suggéré de travailler à partir des principes du Théâtre de l'Opprimé, fondé par Augusto Boal, une méthode qui permet à des non-acteurs, le plus souvent issus de communautés marginales, d'écrire et de monter sur scène leurs propres personnages ou des histoires fondées sur leurs propres expériences." Les réfugiés soudanais, érythréens, font alors ressurgir leur vécu, rejouant des scènes de dictature, de renversement de pouvoir, de fuite par l'exil, de refoulement aux frontières. Un engagement conçu comme une thérapie que Avi Mograbi suit en équipe réduite, avec deux caméras, en assurant lui-même la prise de son comme pour ses autres films.
Des incursions dans le camp laissent entendre des témoignages bruts, portés par la voix brisée des réfugiés, sur leur sort en Erythrée ou au Soudan. Leur rejet par Israël qui ne traite pas la plupart des demandes, pèse sur la vie du camp "On espère ainsi les convaincre qu'il est préférable pour eux de partir", estime Avi Mograbi. "Israël est un pays très accueillant pour les Juifs, mais pas pour les non-Juifs." L'observation déborde la condition des migrants pour pointer les paradoxes de l'Histoire. L'Etat d'Israël, engagé dans la rédaction de la Convention de Genève, en 1951, se révèle plus dur que ceux qui ont ostracisé les Juifs, comme le souligne Avi Mograbi : "Le fait qu'Israël rejette des réfugiés comme la Suisse a rejeté des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale pose question sur ce qu'est devenu ce pays."






Entre les frontières aborde alors la position d'Israël par rapport aux étrangers. Dans les derniers mois de l'atelier, des Israéliens participent et jouent à renverser les rôles pour mieux éprouver le sort des rejetés, faisant basculer leur perception. On pense alors à la condition de Palestiniens, bloqués sur leurs territoires, eux aussi réprimés même si les situations différent. "Les problèmes auxquels les demandeurs d'asile sont confrontés ne sont en effet pas "leurs" problèmes, ni le "nôtre". Ce sont des questions pour chacun, que nous devons tous partager", insiste Mograbi.
Il tente alors de rendre leur place à l'image aux réfugiés dont il saisit les blessures, les sursauts, en valorisant leur dignité. Le réalisateur mêle ces angles de vues dans un film un peu rude, caméra portée ou posée, fait de moments intenses, de captations étirées, d'émotions directes. Sa conclusion chantée ouvre à la capacité de l'art de dépasser la violence et les traumatismes pour susciter des interrogations salutaires. La musique de Noam Enbar qui travaille avec le cinéaste depuis Z32, 2008, la voix des Africains qui surgit, remplissent le cadre, en résonance avec le propos de Avi Mograbi : "Dans ce film, nous sommes moins des artistes que des activistes avec des tendances artistiques".

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / RFI / Médias France), pour Africiné Magazine

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