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La voix enchanteresse de Félicité
Quatrième long métrage d'Alain Gomis
critique
rédigé par Baba Diop
publié le 17/02/2017
Baba Diop (Africiné Magazine)
Baba Diop (Africiné Magazine)
Alain Gomis, réalisateur de Félicité
Alain Gomis, réalisateur de Félicité
Félicité
Félicité
Félicité
Félicité
Félicité
Félicité
Félicité
Félicité
Félicité
Félicité
Félicité
Félicité
Félicité
Félicité
Félicité
Félicité
Le réalisateur Alain Gomis et son trophée de l'Ours d'Argent (Grand Prix du Jury), à la Berlinale 2016
Le réalisateur Alain Gomis et son trophée de l'Ours d'Argent (Grand Prix du Jury), à la Berlinale 2016


C'est quand on pense que tout est fini que ressurgit la vie, cet adage résume à lui tout seul, le film Félicité, quatrième long métrage de Alain Gomis. Félicité est un film puissant. Il anoblit les personnages ordinaires en faisant d'eux de vrais personnages de légende en chair et en os et qui, face à la dure réalité de la vie ne se départissent pas de leur dignité. Des gens ordinaires qui n'attendent pas pour se prendre en charge, dans un pays au sous-sol scandaleusement riche mais démuni de services sociaux de base pour les assister.



L'histoire du trio (Félicité, Tabu et Somosa), que raconte le film Félicité se mue rapidement en quatuor avec la ville de Kinshasa, ville miroir et personnage de film. Alain Gomis entraine le spectateur dans une promenade pleine d'inattendus mâtinée de sonorités musicales, entrelacs de symphonie et de musique rituelle du fond des âges. Le lingala, langue chantante devient aussi musique. L'écriture du film est toute particulière en ce qu'elle rend invisibles les codes et conventions formelles, offrant au film une tonalité mythologique dans laquelle, rêve et réalité ne font qu'un ; le visible et l'invisible deux faces d'une même médaille, la vie et la mort un couple inséparable, joie et peine de même. La rue, comme le quartier, est une scène de théâtre à ciel ouvert. Le film plonge le spectateur au cœur d'une vie ; de la vie. On n'est plus au cinéma, on est dans le réel et c'est Félicité qui nous entraine dans un monde-refuge dans lequel cohabitent le monde des esprits, le visible et l'invisible. Plusieurs mondes qui sont en chacun de nous, tantôt inquiétants, tantôt joyeux sinon cocasses.

Félicité est une chanteuse dans un cabaret qui ouvre ses portes aux gens de nuit venus tenir compagnie à la Tembo, la déesse kinoise de la bière et prendre leur revanche sur la pesanteur de la vie diurne. Félicité se voit entrainer malgré elle dans une course contre la montre pour sauver la jambe de son fils Somosa victime d'un accident de moto. Un parcours difficile, jonché de mesquinerie, d'ingratitude, d'arnaques en tout genre et qui met à nu l'indigence des gens qui habitent cette ville où, par manque d'assistance, l'on est obligé d'organiser seul sa survie. Bien qu'ayant subi les meurtrissures de la vie, Félicité tire sa force de son silence, de son regard déterminé et débordant de tendresse. Femme entière, orgueilleuse, elle avance sans concession à contre-courant, affichant à la commissure de ses lèvres un sourire mi moqueur mi blasé sur sa propre existence et celle des autres. Un sourire séduisant qui fait qu'on ne peut que l'aimer. Félicité a pour refuge la musique, espace qui la revigore. Dans cet abreuvoir où elle chante tous les soirs, elle assiste aux frasques de Tabu, le coq des lieux, pour qui alcool rime avec sexe. A chaque nuit sa nouvelle conquête parait bien être sa devise. Mais sous la couche du pochard Tabu, homme fort en gueule et d'une puissance musculaire impressionnante, Félicité devine la noblesse de cœur de cet homme pour qui la fréquentation de ce cabaret est plus une thérapie qu'une débauche. Elle peut lui accorder confiance. Né alors un discret amour avec pour "facilitateur" le réfrigérateur en panne de Félicité que Tabu vient réparer. Le fils Somaso victime d'un accident de moto à la fleur de l'âge n'attend plus grand-chose de la vie. Mieux vaut se laisser mourir de faim. Somaso et sa mère partagent le fait d'être tous des rescapés de la mort.

Le film d'Alain Gomis parle de la vie au quotidien, de l'ordinaire des gens et de leur quartier non pas de leur pauvreté mais leur capacité à vivre dignement dans des situations difficiles.
L'orchestration musicale joue le rôle de guide comme dans le théâtre antique. Elle prépare l'histoire et presque la raconte. Elle introduit certaine partie du film. C'est une musique d'anticipation. La musique traditionnelle est transcendantale. Une musique des profondeurs de la forêt.

Le cinéma de Alain Gomis demande une totale disponibilité de l'esprit et une attention soutenue pour - par-delà de ce qui est visible à l'écran - percevoir le sens caché de ce qui est montré. La prétention du réalisateur n'est pas de philosopher mais de révéler la complexité de la vie et des êtres qui l'animent, se battent à mains nues pour sortir de l'embourbement dans une ville où chacun est laissé à lui-même et où la survie devient la règle. La démarche d'Alain Gomis n'exclue pas la légèreté. Son propos est d'une grande délicatesse et doublé d'un respect des personnages qui éloignent tout misérabilisme pour les placer au rang de personnages héroïques.

Baba Diop

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