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Félicité
Les chants du cœur d'une Congolaise
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 27/03/2017
Michel Amarger (magazine Africiné)
Michel Amarger (magazine Africiné)
Alain Gomis, réalisateur de Félicité
Alain Gomis, réalisateur de Félicité
Scène du film
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LM Fiction de Alain Gomis, France / Sénégal, 2017
Sortie France : 29 mars 2017


La sortie française du nouveau film d'Alain Gomis est précédée de participations remarquées à la 67ème Berlinale où il obtient le grand Prix du jury, et au 25ème FESPACO où il déconcerte mais décroche l'Etalon d'Or de Yennenga. Le réalisateur franco-sénégalais confirme sa maîtrise en se plongeant dans Kinshasa pour pénétrer le quotidien et les rêves d'une femme forte. Le champ visuel d'Alain Gomis semble ainsi s'élargir de film en film, en se concentrant sur l'essentiel : le mouvement vital qui élève ses personnages pour s'ancrer dans l'ordinaire des choses.
Ses premiers longs-métrages, L'Afrance, 2001, et Andalucia, 2007, balisent un territoire occidental dont les héros s'échappent en s'élançant vers la lumière du sud. Puis Aujourd'hui (Tey), 2012, planté au Sénégal, déjà lauréat du FESPACO 2013, célèbre le passage de la mort à la vie, l'éveil des sens et la reconnaissance du passé. Avec Félicité, 2016, Alain Gomis se projette à Kinshasa pour toucher les émotions, les corps enivrés, les chants et les exubérances des Congolais de la rue.





Félicité est une chanteuse qui donne de la voix comme un exorcisme à la dureté des temps. L'endroit où elle se produit est perturbé par les apparitions de Tabu, un homme massif, familier des lieux, jouisseur désabusé qui trouve dans la bière une thérapie pour défier les lois de l'équilibre. Lorsqu'il titube, il dévaste les tablées mais lorsqu'il est dessoulé, il regarde avec bienveillance Félicité pour qui il tente de réparer un frigo d'occasion fatigué.
Quand Samo, le fils de Félicité, a un accident de moto, elle court dans Kinshasa pour trouver l'argent nécessaire à son opération. Mais la solidarité a ses limites, la médecine aussi. Une fois revenu au foyer, amputé, le garçon mutique semble écarté de l'avenir. La présence de Tabu qui touche Félicité, insuffle dans la maison de nouveaux regards, des paroles bien senties et le bruissement inattendu du frigo si précieux.

En développant cet argument linéaire, Alain Gomis valorise les émotions d'une Congolaise déstabilisée, tentée par le renoncement ou le sursaut. "J'avais l'intime conviction qu'au fond du gouffre se trouvaient les germes d'une nouvelle possibilité", indique le cinéaste en serrant de près ses acteurs autour de Véro Tshanda Beya, environnés par la fièvre de la survie à Kinshasa. "Il me semblait que ces personnages, sans structures pour les soutenir, avaient la puissance de personnages presque mythologiques. Face à eux-mêmes et rien autour pour amortir", avance Gomis. "Kinshasa, ça n'est rien d'autre que notre monde." Il situe et aère l'action avec quelques plans plus larges de la ville, tournés par Dieudo Hamadi, l'auteur de Examen d'Etat, 2014.
Les rythmes du Kasai All Stars accentuent les brassages et l'énergie de Kinshasa. "C'est à la fois une musique traditionnelle et une musique qui s'est urbanisée, qui sent le cambouis et la forêt", relève Gomis. Son impact dans la première partie semble un exutoire pour la chanteuse qui l'interprète, la nuit, et cherche l'argent pour soigner son fils, le jour. "J'avais la volonté de pouvoir m'adresser au plus grand nombre, et faire en sorte que les gens dont je parle puissent entrer facilement dans le film.", explique le réalisateur. "Donc de leur donner les codes qu'ils connaissent." Puis l'intrigue se dissout au profit des rapports qui se tissent entre la chanteuse, son fils et son soupirant, buveur tapageur, attentionné.

Il s'agit alors pour Alain Gomis de "se réapproprier des héros dont le but n'est pas la fuite. Ce ne sont pas des vies au rabais, elles sont belles et dignes. Félicité a besoin de tout perdre pour s'autoriser à être aimée." Et le cinéaste se permet des incursions dans les rêves, les nuits peuplées d'esprits qui transcendent les cercles du quotidien. Des sas évidents entre les mondes. "Je suis pour donner une sensation du temps et des émotions en accord avec celle que l'on vit", confie Gomis. "Je préfère tenter de m'engouffrer entre les différents plots de reconnaissances dramatiques habituellement usités. C'est là qu'adviennent les choses dans les silences, dans une certaine inefficacité."
Hantée par le chaos et l'énergie de Kinshasa, amplifiée par la musique de Arvo Pärt, jouée par l'Orchestre symphonique local, Félicité est une fiction d'auteur, ouverte. Elle est ponctuée in fine, par un poème de l'écrivain allemand du 18ème siècle, Novalis, une ode à la nuit et à la réalité de l'invisible, traduite en lingala. L'ensemble est produit en France avec le concours du Sénégal, du Gabon, de la Belgique. Un montage ambitieux pour désenclaver l'imaginaire au-delà des frontières comme le défend le réalisateur métis. Car pour Alain Gomis, l'identité d'un film, c'est d'abord un mode de cinéma.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France),
pour Africiné Magazine

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