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Les Sauteurs
Les migrants africains vus de près
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 03/04/2017
Michel Amarger (magazine Africiné)
Michel Amarger (magazine Africiné)
Siebert Moritz, réalisateur allemand.
Siebert Moritz, réalisateur allemand.
Estephan Wagner, réalisateur danois
Estephan Wagner, réalisateur danois
Abou Bakar Sidibé, réalisateur malien.
Abou Bakar Sidibé, réalisateur malien.
Scène du film Les Sauteurs
Scène du film Les Sauteurs
Scène du film Les Sauteurs
Scène du film Les Sauteurs
Final Cut for Real
Final Cut for Real
Danish Film Institute (DFI)
Danish Film Institute (DFI)
Africiné Magazine, the World Leader (Africa & Diaspora Films)
Africiné Magazine, the World Leader (Africa & Diaspora Films)

LM documentaire de Moritz Siebert, Estephan Wagner
et Abou Bakar Sidibé, Danemark, 2016
Sortie France : 5 avril 2017


Les migrations accentuées préoccupent les Occidentaux et s'impriment sur les écrans, relayées par le regard de plus en plus vif des cinéastes africains. Ce phénomène est à l'oeuvre dans Les sauteurs, 2016, une production danoise qui croise les destins pour évoquer la question sur le terrain. Moritz Sieberg, un réalisateur allemand, familier des questions d'immigration traitées par ses documentaires tel Long distance, 2009, s'est associé avec Estephan Wagner, né au Chili et longtemps monteur en Allemagne, pour s'intéresser aux clôtures de Melilla que les migrants cherchent à franchir pour gagner la terre espagnole.
"Nous avons été impressionnés par la ténacité et le courage de ces hommes, principalement sub-sahariens", expliquent-ils. "Ils essuient la poussière, se relèvent et recommencent, ne pensant qu'à leur objectif : passer de l'autre côté de la clôture afin de rejoindre l'Europe." Ils rencontrent des réfugiés grâce à un photographe de Melilla, dont Abou Bakar Sidibé. C'est un universitaire malien qui a enseigné au pays, et fait des petits métiers en résidant plus d'un an sur le mont Gurugu, au Maroc, dominant la ville espagnole. En lui confiant pendant trois mois, une caméra, Sieberg et Wagner recueillent de précieuses images sur l'aventure du passage tenté par les migrants, qui alimentent Les sauteurs.





Melilla est cette ville espagnole qui constitue une enclave convoitée en territoire marocain. Lieu clé entre le Maroc et l'Espagne, l'Afrique et l'Europe, elle est surplombée par le mont Gurugu où convergent un millier de migrants africains, prêts à forcer le passage. Les surveillances policières des deux côtés, sont musclées à coups de bombes, lacrymogènes, d'armes, de chiens féroces. Les barbelés sont acérés, de grande hauteur, aptes à déchirer ceux qui s'y risquent. Abou Bakar Sidibé fait partie de ceux là. Avec la petite caméra qu'on lui a fournie, il enregistre les tentatives successives, les replis sur le mont, en livrant un regard de l'intérieur sur la communauté des migrants.
"J'ai donc filmé seulement les gens dont j'étais proche et qui me faisaient confiance", précise t'il. "J'ai découvert de plus en plus de détails qui m'avaient échappé jusqu'ici. Soudain, j'ai perçu différents moments, y compris de beaux moments ; par exemple, comment la lune scintille la nuit sur la mer calme." Entre ces respirations épisodiques, Abou filme l'obsession de la nourriture, l'organisation qui régit la vie du camp avec ses petits commerces, les descentes de police dévastatrices. Dans la diversité des communautés, s'inscrivent des clivages marqués. Chacun peaufine sa méthode pour attaquer les barbelés à coups de rage, d'endurance, de chaussures crantées, d'habits rembourrés.

La trajectoire d'Abou qui construit le film, repose ainsi sur une expérience de cinéma singulier. En l'initiant à la caméra pour obtenir des images plus authentiques des migrants, Sieberg et Wagner font naître chez le Malien une véritable vocation. "Il voulait avant tout dévoiler au monde la grande injustice que ses amis et lui-même enduraient à la clôture de Melilla", rapportent-ils. "Peu à peu, la caméra est devenue son outil d'expression, lui permettant de passer du statut de "protagoniste" à celui de "coréalisateur". Les sauteurs devient alors un film sur cette appropriation d'image que Abou Bakar Sidibé revendique à l'écran par sa voix-off, balisant son journal de bord jusqu'à Melilla.
"Au début, le fait de recevoir de l'argent était l'aspect le plus important. Cela signifiait que je pouvais acheter de la nourriture pour mes amis et moi-même", déclare l'opérateur improvisé, encadré par les cinéastes et leurs visites régulières. En le payant pour éviter qu'il ne revende la caméra comme l'admet Abou, les réalisateurs venus d'Europe semblent offrir au migrant une raison d'être et un véritable passeport au monde du cinéma. "C'était très important pour moi que la montagne et tout se qui s'y passait soient documentés, afin que notre histoire, mon histoire, ne soit pas oubliée un jour", commente Abou Bakar Sidibé.

Le montage se fait alors dans un maillage original. Pendant que Estephan Wagner monte à Copenhague, Moritz Sieberg complète le travail sur son ordinateur à Berlin. Lorsque Abou gagne l'Allemagne, au gré de ses hébergements, il rédige son histoire et collabore à la création et l'enregistrement de sa voix-off. Ils échangent les versions que Abou enregistre sur son portable et envoie vers Sieberg, à Berlin. Puis Wagner les intègre dans le montage à Copenhague. Car Les sauteurs est une production supportée par le Danish Film Institute.
Au Danemark, en passant par l'Allemagne après le tournage au Maroc et en Espagne, le film semble se jouer des frontières pour mieux documenter leur existence. Des images de sécurité, prises de loin, en négatif, complètent la perspective, révélant l'ampleur des groupes de migrants qui font bloc pour les assauts. En cadrant de près ses compagnons, Abou Bakar Sidibé contribue à les individualiser et les humaniser. "Je voulais exprimer des sentiments et montrer que nous étions en vie", assure l'opérateur, gagné à la cause du cinéma. "Ces images qui existent maintenant préservent ces moments pour l'avenir."

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France),
pour Africiné Magazine

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