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Soleil Ô, l'indispensable œuvre de Med Hondo
critique
rédigé par Falila Gbadamassi
publié le 23/05/2017
Falila Gbadamassi (Africiné Magazine)
Falila Gbadamassi (Africiné Magazine)
Med Hondo, réalisateur mauritanien-français.
Med Hondo, réalisateur mauritanien-français.
Scène du film Soleil Ô
Scène du film Soleil Ô


En 1970, Soleil Ô (1969) du réalisateur mauritanien Med Hondo débarquait sur la Croisette. Quarante-sept ans plus tard, sa copie restaurée a été présentée à Cannes Classics le 22 mai 2017. C'est la première restauration initiée dans le cadre du programme African Film Heritage Project né d'un partenariat entre la Fédération pan-africaine des cinéastes (Fepaci), la Film Foundation de Martin Scorsese et l'Unesco.


Film coup de poing sur la vie d'ex-esclave, d'ex-colonisé et d'immigré des Africains en France, son propos n'a pas pris une ride. Avant-gardiste, il s'avère même parfois prémonitoire. Notamment au détour d'un plan qui montre des hommes noirs dans une étendue d'eau. Les images des corps sans vie d'Africains aux abords des côtes italiennes ne sont malheureusement pas, elles, des images de fiction.

Les premiers plans de Soleil Ô montrent un groupe d'Africains et d'Afrodescendants, rassemblés devant un prêtre, qui demandent pardon pour leurs origines. Absous par le baptême, ils prennent alors des noms occidentaux. Les croix de Jésus que brandissent les esclaves deviennent bientôt les armes des "tirailleurs sénégalais" qui participent à l'effort de guerre du colonisateur. Puis viennent les querelles intestines entre Africains sous l'œil ravi de la puissance coloniale. En quelques images, le cinéaste Med Hondo vient de résumer le passé et le passif du travailleur noir qui arrive dans l'Hexagone, qu'il croit être un autre chez lui. Espoir chimérique.

Toujours d'actualité

Son héros multicarte, incarné par Robert Liensol, expérimente bientôt le rejet dans un pays où, à chaque seconde, on lui rappelle qu'il n'est décidément pas le bienvenu alors que l'Etat français a fait explicitement appel à sa force de travail. "Invasion noire", "Halte au péril négro-arabe"… des mots et des expressions qui sont plus que jamais d'une actualité brûlante. C'est ce vieux discours que les partis d'extrême droite ont remis au goût du jour partout en Europe.

En quatre-vingt-dix-huit minutes, Med Hondo dresse un tableau de la condition noire dans tous ses états, à travers un dispositif narratif original. Il s'appuie, entre autres, sur des sketches et une somptueuse bande originale qui participe activement au récit. Le cinéaste use sans jamais abuser de sa liberté de metteur en scène. La forme est riche mais elle ne nuit jamais au fond. Bien au contraire.

"Soleil Ô découle de la tradition orale africaine. Il dépeint une réalité unique. (…) Je voulais décrire plusieurs individus à travers une seule personne au lieu d'utiliser un groupe de personnes. Dans mon pays, quand on parle d'un sujet précis, on peut faire des digressions puis revenir au sujet initial", explique Med Hondo dans le dossier de presse du film. Les digressions auxquelles le cinéaste fait allusion traduisent dans Soleil Ô la complexité de la problématique abordée : la perception de l'Africain, plus largement de l'homme noir dans la société française est une construction historique et sociale. Il faut par conséquent en rappeler les origines, évoquer les conséquences et éventuellement les moyens de se sortir de ce cercle vicieux.

Document d'intérêt général pour les Africains

Tout y passe donc : la façon dont les responsables français ou européens envisagent le processus migratoire et tentent de le contrôler ; les préjugés racistes dont les Africains font l'objet, le rejet permanent dont ils sont l'objet dans la société française ; l'indifférence des dirigeants africains installés par la puissance coloniale face au sort de leurs ressortissants que l'on parque dans des logements insalubres; la question du retour au pays… Puis il y a la résistance, la résilience qui va néanmoins de pair avec une irrépressible rage. "Je vivais en France et j'appartenais à une minorité, confie Med Hondo. Je devais hurler pour me libérer". L'exercice est salvateur, voire cathartique. "Car un homme qui crie n'est pas un ours qui danse", disait Aimé Césaire.

La puissance du film de Med Hondo - dont il est le scénariste, le producteur et le réalisateur - réside à la fois dans son exhaustivité et sa capacité à laisser entendre que la réflexion doit se poursuivre. C'est le cas mais les constats d'hier restent malheureusement encore ceux d'aujourd'hui. Néanmoins, comme le héros de Soleil Ô, renoncer au combat n'est jamais à l'ordre du jour. Quitte à appeler à la rescousse des figures tutélaires et révolutionnaires - toutes ayant payé de leur vie la défense de leurs idéaux - comme le Congolais Patrice Lumumba, l'Américain Malcom X ou encore l'Algérien Ben Barka. Le fait que l'Argentin Che Guevara figure dans la liste montre la volonté du cinéaste de ne pas s'enfermer dans une lecture racialiste du monde en mutation.

La restauration de Soleil Ô et sa projection sur la Croisette est une salutaire piqûre de rappel, de celles que le septième art sait si bien faire. En partageant son expérience intime "d'homme né esclave dans un pays colonisé", note Osange Silou-Kieffer, la journaliste, critique de cinéma et membre du conseil consultatif de la Fepaci, Med Hondo a produit une œuvre majeure que tout cinéphile (et pas seulement africain ou afro-descendant) doit voir au moins une fois dans sa vie.

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