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Kaouther Ben Hania : "La Tunisie est un pays en pleine effervescence dont la réalité est sous-racontée"
critique
rédigé par Falila Gbadamassi
publié le 27/05/2017
Kaouther Ben Hania, réalisatrice tunisienne
Kaouther Ben Hania, réalisatrice tunisienne
Falila Gbadamassi (Africiné Magazine)
Falila Gbadamassi (Africiné Magazine)
Scène du film, avec Mariam Al Ferjani ("Mariam")
Scène du film, avec Mariam Al Ferjani ("Mariam")


La cinéaste tunisienne Kaouther Ben Hania s'est de nouveau inspirée d'un fait divers qui a secoué la Tunisie pour son dernier film présenté à Un Certain Regard. La Belle et la meute est l'adaptation du livre Coupable d'avoir été violée de Mariem Ben Mohamed et Ava Djamshidi. Entretien.


La Belle et la meute semble typiquement être un film post-révolution. A l'instar de tous les Tunisiens désormais, Mariam est une héroïne qui ne veut plus jamais renoncer à ses droits…

C'est un film dont les évènements se situent juste après la révolution. Mais c'est une histoire universelle, indépendamment du contexte tunisien. C'est l'histoire d'un héros qui réclame justice : c'est un mythe fondateur. Dans le contexte tunisien que je connais bien, c'est un film sur la transition, sur le fait de revendiquer ses droits… Les policiers essaient tout le temps de l'infantiliser mais elle leur tient tête. Finalement, ils négocient avec elle parce que Mariam (incarnée par Mariam Al Ferjani, NDLR) leur fait peur. C'est un signe des temps qui changent. Sous l'ancien régime, le problème aurait été réglé en un quart d'heure. Et justement, le nœud du problème réside dans le fait qu'elle ait décidé de porter plainte. C'est ce qui les gêne.

Tous les personnages féminins sont d'une antipathie notoire. Il n'y a aucune solidarité féminine avec cette femme violée. Une policière, qu'elle bouscule un peu, la traitera même de "pute". Pourquoi ce choix ?


Cela permet de montrer des personnages qui ne sont pas manichéens. Hommes ou femmes, les individus ont des contraintes qui sont liées à leur profession, à leur société et à leurs peurs. Le fait d'être une femme n'est pas une fin en soi. J'aimais bien cette idée de créer une attente et de la déjouer ensuite. C'est un ressort cinématographique que j'aime bien.







Pourquoi avez-vous décidé de chapitrer le récit ?

La forme s'est imposée très vite. Je savais dès le départ que j'allais tourner en plans séquence parce que j'avais besoin de l'intensité du temps réel. Par ailleurs, j'avais des décors qui n'étaient pas extraordinaires : un poste de police, des bureaux et des couloirs... Comment filmer l'oppression dans un tel environnement ? Le plan séquence était la meilleure réponse parce que ça donne la possibilité d'accéder au personnage, d'être dans son rythme, d'être presque lui. Je savais qu'entre chaque plan séquence, il y aurait du noir. J'ai donc préféré chapitrer au lieu d'avoir du noir. On obtient ainsi des grands tableaux chapitrés comme dans la littérature.

Vous aimez l'atmosphère des films d'horreur. Comment avez-vous travaillé à recréer cette ambiance dans La Belle et la meute même si bien évidemment Mariam vit déjà la soirée la plus horrible de sa vie ?


C'est un cinéma que j'aime et la réalité rime parfois avec horreur. Ici, les références relèvent plutôt du clin d'œil. C'est un outil qui permet justement de rendre compte de l'horreur de la situation. Ce n'est pas un film de genre mais il y a parfois un souffle d'horreur.

Il y a chez vous comme une obsession de vous raccrocher au réel. Quand vous ne faites pas de documentaire, vous vous inspirez de faits réels. Comment expliquez-vous ce besoin d'être ancrée dans le réel ?

Je trouve le réel fascinant. Mais ce qui m'intéresse vraiment, c'est le sens qu'il dégage ou que je lui donne. Comme on dit, la réalité dépasse parfois la fiction. Il se trouve que je viens d'un pays en pleine effervescence, où des choses incroyables sont en train de se produire. C'est une réalité très riche qui est sous-racontée. Je ressens comme un sentiment d'urgence de rendre compte de cette richesse d'histoires pas racontées.

Quels sont vos projets ?
J'ai un projet de long métrage de fiction qui n'est pas inspiré d'un fait divers (elle sourit). L'homme qui avait vendu sa peau, c'est son titre, est l'histoire d'un réfugié syrien qui rencontre un artiste contemporain et qui conclut un marché avec lui. Une décision qui va à jamais transformer sa vie. Nous sommes actuellement en recherche de financement. Et c'est long !

Qu'est-ce que cela représente pour vous d'être à Un Certain Regard à Cannes ?

C'est à la fois une récompense magnifique pour le travail qu'on a fait, une forme de reconnaissance et une énorme fenêtre de visibilité pour le film.

propos recueillis par Falila Gbadamassi,
correspondance spéciale

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