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Cannes 2017 : quand le cinéma interroge notre rapport aux autres
critique
rédigé par Falila Gbadamassi
publié le 09/06/2017
Falila Gbadamassi (Africiné Magazine)
Falila Gbadamassi (Africiné Magazine)
Thierry Frémaux, Délégué Général du festival de Cannes 2017
Thierry Frémaux, Délégué Général du festival de Cannes 2017
Le réalisateur suédois Ruben Östlund exulte pour sa Palme d'Or
Le réalisateur suédois Ruben Östlund exulte pour sa Palme d'Or

La palme d'Or de la 70e édition du Festival de Cannes a été attribuée à The Square, le film du Suédois Ruben Östlund. Le palmarès consacre ainsi une thématique prégnante dans beaucoup de films projetés sur la Croisette, la question de l'altérité.

Christian, incarné avec panache par le comédien danois Claes Bang, dirige un musée d'art contemporain. Après avoir indirectement porté secours à une jeune femme en détresse, il se rend compte qu'il s'est fait, entre autres, dérobé son portable. Il décide alors de distribuer une lettre de menaces aux habitants d'un immeuble de banlieue où le mobile a été localisé. Il va recevoir une réponse inattendue de l'un des habitants de la résidence qui va le perturber, alors même que l'institution dont il est en charge prépare une exposition baptisée "The Square", sur le thème de l'altruisme.

Le film est un prétexte pour mettre en perspective les réflexes bien-pensants d'une certaine élite intellectuelle et artistique, portés par des principes d'entraide qui ne résistent cependant pas à l'épreuve de la réalité. C'est cette fiction signée Ruben Östlund qui a décroché la palme d'Or de la 70e édition du Festival de Cannes.

Principe de solidarité

La distinction cannoise consacre une œuvre sur notre rapport aux autres qui a divisé les cinéphiles sur la Croisette. Certains y voient une insupportable leçon de morale. Et c'est peut-être là que réside la pertinence de la réflexion du cinéaste suédois car elle vient nous titiller. Les situations dépeintes rappellent des sociétés occidentales où l'empathie est de mise. Mais, où sa concrétisation, à travers de vrais gestes de solidarité, semble plus ardue, voire impossible.

La trame de Jupiter's Moon (La lune de Jupiter) du réalisateur hongrois Kornél Mundruczó en est la parfaite illustration (l'acteur américain et membre du jury 2017, Will Smith, dit d'ailleurs avoir beaucoup aimé ce film). Le cinéaste traite de façon christique (clin d'œil à l'attachement des Hongrois au fait religieux) de l'accueil musclé que les autorités hongroises livrent aux réfugiés syriens qui arrivent sur leur territoire. Aryan (György Cserhalmi), l'un d'eux, se découvre des pouvoirs surnaturels après avoir reçu une balle. Un médecin (Merab Ninidze), rongé par la culpabilité à la suite d'une faute professionnelle, le prend sous son aile.

Cette problématique des réfugiés a traversé toute la sélection. Outre le documentaire Sea Sorrow de Vanessa Redgrave, présenté en séance spéciale, la question est évoquée par petites touches, aussi bien par exemple dans Happy End de Michael Haneke, en compétition, que dans le Fortunata de Sergio Castellito (le vibrant portrait de cette mère courage dans une banlieue italienne a d'ailleurs valu à Jasmine Trinca un prix d'interprétation féminine) projeté à Un Certain Regard. Comme si, nulle part sur le Vieux Continent, personne ne pouvait prétendre ignorer la situation. Encore moins en Italie ou à Calais (France).

Notre rapport aux autres, c'est aussi les conséquences de nos actes. The Killing of the Sacred Deer (Mise à mort du cerf sacré) de Yorgos Lanthimos, qui a aussi beaucoup clivé la critique, est une réflexion brillante et originale sur la question. Le cinéaste grec, qui dit s'être inspiré d'Euripide, met en scène l'implacable et surnaturelle quête de vengeance d'un jeune homme (effroyablement interprété par Barry Keoghan) dont le père est mort sur la table du chirurgien (Colin Farrell qui retrouve le cinéaste grec après The Lobster) avec lequel il se lie d'amitié. Mais l'adolescent devient bientôt une menace pour le médecin et les siens. Le sujet rejoint aussi celui de The Square. Christian, le fringant conservateur de musée, est finalement confronté aux répercussions d'une missive qu'il a cru être dans son bon droit de distribuer à des dizaines de personnes. La riposte est inattendue et va remettre en question son mode de vie, grâce notamment à ses filles qui le rappellent à l'ordre.

A la vie, à la mort

La question de l'altérité est aussi traitée sous l'angle du handicap qui oblige certains à se reposer sur d'autres. Dans Hikari (Vers la lumière, prix du jury œcuménique du Festival de Cannes) de Naomi Kawase, l'héroïne permet aux malvoyants d'aller au cinéma en leur rendant les films accessibles grâce à l'audio-description. Les séances relatives à son dernier projet, où elle se soumet à la critique d'un panel, sont l'occasion de réaliser qu'elle impose, en dépit de ses bonnes intentions, sa vision du monde à ceux qu'elle est censée seulement accompagner.

L'anti-héros du survitaminé Good Time des frères Safdie pousse le propos à l'extrême. Connie (merveilleusement incarné par Robert Pattison qui s'est fait ravir le prix d'interprétation masculine par un tout aussi habité Joaquin Phoenix dans You Were Never Really There de Lynne Ramsay, prix du scénario ex-aequo) entraîne son frère Nick, déficient mental, dans un braquage sous prétexte de le libérer du carcan imposé par les institutions spécialisées.



A contrario de Good Time et de son héros malfaisant, le film du Français Robin Campillo, 120 battements par minute distingué par le Grand Prix du Jury, nous réconcilie avec notre humanité. Et c'est peut-être le président du jury de l'édition 2017 qui parle le mieux d'un film qui revient sur le combat mené par les militants d'Act Up-Paris, au début des années 90, pour obliger l'Etat et les acteurs de l'industrie pharmaceutique à réagir face aux ravages du sida dans la communauté homosexuelle. "C'est un film qui mérite d'être reconnu, a déclaré le cinéaste espagnol Pedro Almodovar, ému aux larmes, à la conférence de presse du jury le 28 mai 2017. Il raconte l'histoire de héros qui ont sauvé de nombreuses vies. Nous avons pris conscience de cela". Quelques minutes plus tôt, il précisait : "J'ai adoré ce film. Je ne pourrais pas aimer un film plus que cela". Un avis partagé par la majorité des jurés.

D'un côté, des activistes qui ne reculent devant rien pour préserver la vie, et de l'autre, des terroristes racistes prêts à tuer ceux qu'ils considèrent comme des êtres inférieurs. Aus dem Nichts (In the Fade) de Fatih Akin réinterprète un fait divers qui a endeuillé la communauté turque et kurde en Allemagne : les attentats terroristes perpétrés contre elle par des nazis. Diane Kruger, qui a décroché le prix d'interprétation pour son émouvante performance, va perdre du jour au lendemain son époux d'origine turque et leur enfant. Elle est persuadée qu'il s'agit d'un crime raciste mais peine à en convaincre des policiers qui finiront par sortir de leurs préjugés.

Les autres, ce sont aussi les êtres vivants qui nous entourent. Okja du Sud-Coréen Bong Joon Ho s'intéresse à nos relations avec nos supposées amies les bêtes. Mija, qui a été élevée auprès d'un porc génétiquement modifié baptisé Okja, va essayer d'empêcher par tous les moyens la multinationale américaine qui veut le mener à l'abattoir.

A Cannes, encore un fois, le cinéma nous a permis de nous interroger sur notre humanité commune. Une autre étape dans le vivre-ensemble que Thierry Frémaux, le délégué général du Festival de Cannes, prônait lors de l'annonce de la sélection officielle en avril 2017. Pari réussi donc pour un Festival de Cannes qui a célébré, en grande pompe, ses 70 printemps.

Falila Gbadamassi, correspondance spéciale

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