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Une exceptionnelle Rétrospective Ababacar SAMB Makharam
Le samedi 07 Octobre 2017, à l'île de Gorée et à Saint-Louis
critique
rédigé par Thierno Ibrahima Dia
publié le 07/10/2017

Le samedi 7 octobre, Gorée cinéma - l'évènement cinématographique mensuel créé par le cinéaste Joseph Gaï Ramaka - prend à nouveau ses quartiers sur l'île mythique avec la Rétrospective "Ababacar Samb Cinéma". Il s'installe simultanément dans l'ancienne capitale sénégalaise, Saint-Louis.
En juillet dernier déjà, Gorée cinéma nous avait gratifiés d'une magistrale rétrospective Sembène Ousmane où les œuvres du cinéaste-écrivain étaient en résonance avec les films de Ciné Banlieue, creuset de la nouvelle génération de réalisateurs sénégalais animé par le Professeur Abdel Aziz Boye.

L'hommage des 30 ans, par Gorée cinéma

À la fois sur la plage de l'île de Gorée et le quai Bou El Mogdad de la ville de Saint-Louis, la rétrospective consacrée au cinéaste Ababacar Samb Makharam (arraché à l'affection de ceux qui l'aimaient un 7 octobre) montre ses trois films majeurs. Les festivaliers auront un plus à Gorée : un atelier de discussion et à 19h30 un concert gratuit de la star El Hadj Ndiaye (acteur pour Guelwaar de Sembène, dans le rôle du Préfet, et Karmen, comme Massigui, le chanteur amoureux).
Le chanteur et acteur se distingue dans ses chansons par des textes d'une grande profondeur qui sont autant d'autopsies de sa société, ce qui rend encore plus cohérent son apport à cet évènement si exceptionnel.

"Au delà de la date anniversaire (les 30 ans de sa disparition), le cinéma de d'Ababacar Samb-Makharam illustre parfaitement ce qui fait la singularité des cinéastes sénégalais et est encore à ce jour d'une actualité frappante. […] Par le prisme et le drame de sa caméra, il dévoile la psychologie de tout son peuple. Pas son esprit ou sa mémoire collective, mais les affects qui construisent les identités qui le composent. Cet hommage, c'est l'occasion pour le spectateur, face à nos toiles blanches d'aller à la rencontre de lui-même, de se confronter à un cinéma qui n'est pas un simple divertissement" explique Yanis Gaye, le Directeur éditorial du Festival Gorée Cinéma, à propos du choix porté sur cette étoile filante qui continue de marquer les cinéphiles.

Surprenant sort que celui des étoiles filantes. Fulgurance dans l'espace, leur passage pourtant creuse parfois un sillon très profond dans le temps. Il n'est dès lors pas étonnant que les créateurs soient surnommés du nom de ces objets célestes et pour ceux trop tôt disparus nommés d'après ces poussières cosmiques véloces. Décédé à l'âge de 53 ans (comme son compatriote Djibril Diop Mambéty onze ans plus tard), le Sénégalais Ababacar SAMB Makharam est un grand créateur. Il n'est certes pas très connu du grand public d'aujourd'hui, pourtant sa trace est profonde, pas que dans le cinéma ni dans son pays uniquement. Il débutera par le théâtre, comme Sembène Ousmane par la littérature, pour ensuite embrasser le cinéma.

Né le 21 octobre 1934 à Dakar (capitale du Sénégal à partir de 1957), Ababacar Samb Makharam entre au Conservatoire d'art dramatique de Paris, à vingt-et-un ans, en 1955. Dans la capitale française, il fonde en 1956 une troupe de théâtre, Les Griots, avec la Guadeloupéenne Sarah Maldoror, l'Haïtienne Toto Bissainthe, l'Ivoirien Timité Bassori et le Guadeloupéen Robert Liensol. C'est la première troupe qui, en France, fut entièrement composée d'acteurs africains et antillais. Le premier objectif de la Compagnie africaine d'art dramatique "Les Griots" fut de se présenter au Concours théâtral universitaire où elle obtint le deuxième prix pour l'interprétation de Huis-clos de Jean-Paul Sartre. Certains des acteurs de la troupe suivaient comme lui les cours d'art dramatique de la rue Blanche, à Paris. Il interprète quelques rôles, puis, en 1958, il se rend en Italie, au Centro sperimentale di cinematografia, la grande école de cinéma romaine. Un an après, la compagnie Les Griots joue au Théâtre de Lutèce, à Paris, le 28 octobre 1959, la pièce Les Nègres de Jean Genet qui entrera dans les annales.

Après sa formation au Centro sperimentale di cinematografia (Rome), il retourne au Sénégal en 1964 et travaille dans les milieux de la radio et de la télévision. Dès l'année d'après, il réalise son premier film Et la neige n'était plus (1965), une fiction autour d'un jeune boursier sénégalais revenant de France et reprenant contact avec les nouvelles réalités africaines. Si la dimension autobiographique est manifeste (le Sénégal est devenu indépendant en 1960, durant son expatriation en Europe), Ababacar Makharam Samb fait de sa fiction de 22 minutes (avec Thomas Coulibaly et la voix de Toto Bissainthe) une réflexion plus large sur les problèmes qui se posent à la jeunesse africaine. Après Paulin Vieyra, Ousmane Sembène, il représente une nouvelle voix du cinéma sénégalais. Djbril Diop Mambéty sort en 1965 la première version de son premier film. Sembène est porteur de message, Mambéty lui esthétise sa vision du monde (ce qui rend son message plus aigu) ; quant à Samb Makharam, formé directement à l'école italienne du néo-réalisme, William Mbaye analyse bien son apport : "C'était une voie mi-esthétisante mi-discours. […] C'étaient des démarches totalement différentes même sur le plan de la production". Le cinéaste permet de souligner que le cinéma sénégalais - encore moins les cinémas africains - ne s'est jamais résumé à deux courants (même s'il convient de reconnaître que Sembène et Mambéty ont dominé la prospérité et ont eu des disciples se réclamant d'eux).

Makharam s'empare d'une nouvelle de la romancière Annette Mbaye d'Erneville pour son premier long métrage, Kodou (1971). Suite à une séance de tatouage qui a mal tourné, dans un petit hameau, la jeune Kodou sombre dans la folie.
Dans son brillant article, Kodou, malade de son désir…, le grand critique de cinéma Baba Diop soulève les non dits du film en dévoilant "le voile qui masque le désir sexuel et l'appel au secours de Kodou (Fatou Fall) personnage principal de ce film en noir et blanc". Le cinéaste pose la question du retour vers la culture africaine, comme moyen de résilience (s'appuyer dessus pour la dépasser et s'ouvrir), tout en récusant la tendance de la prétendue authenticité africaine qu'il accuse d'être réactionnaire.
L'histoire donnera raison à ce créateur visionnaire : les différents mouvements dits "d'authenticité" vireront à la caricature et serviront uniquement le dessein de despotes sanguinaires. L'exemple le plus patent est celui lancé par Joseph Désiré Mobutu, en 1971, l'année même de la sortie de Kodou. Le Congo belge devient Zaïre. Le dictateur congolais proclame la zaïrianisation et commence par se rebaptiser Mobutu Sese Seko ("Mobutu le guerrier" ; le nom entier et ridicule est Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Za Banga, signifiant "Mobutu le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l'arrêter").

Après ce film, il devient secrétaire général de la Fédération Panafricaine des Cinéastes (Fepaci) de 1972 à 1976. Durant son mandat, les cinéastes africains adopteront la Charte d'Alger, en 1975, un tournant dans l'histoire : elle définit pour le continent un cinéma didactique et engagé, à l'instar du néoréalisme. Il se consacre à son second long métrage, Jom (1981). C'est l'histoire de Khaly le griot, incarnation de la mémoire africaine, traversant les époques pour témoigner de la résistance à l'oppression : celle qui oppose le colonisateur au peuple asservi, le maître au domestique, le patron d'usine aux ouvriers.
"Le Jom c'est la dignité, le courage, le respect, c'est l'origine de toutes les vertus. Une certaine beauté du geste, la fidélité à l'engagement, le respect d'autrui et de soi-même. Le Jom nous protège de l'absurdité de la vie. Il nous interdit de mentir, d'avoir peur. Il nous éloigne des humiliations", selon la définition du réalisateur à propos du titre de son film.



"Quand on prend à l'autre bout son dernier film Jom, qui veut dire l'honneur, c'était encore cette valeur extrêmement importante pour un homme d'être debout, d'être digne, qu'il a mis en pratique jusqu'à la fin de sa vie", estimait en 2001 dans la revue Africultures, le cinéaste Joseph Gaï Ramaka. Le réalisateur-scénariste et producteur Ababacar SAMB Makharam est mort le 7 octobre 1987. Trente après, jour pour jour, Gorée Cinéma reprend ses apparats de festival afin de lui rendre un hommage d'exception.

"Nous cherchons à trouver un équilibre dans notre programmation entre cette richesse du patrimoine cinématographique africain qu'il nous importe de mettre en valeur, et notre envie de faire rencontrer aux spectateurs du festival les voix et les artistes de la nouvelle génération. De ce point de vue, la rétrospective est un dispositif à la fois ludique et performant, mais il ne suffit pas. C'est la raison pour laquelle nous l'avons combiné cette année, à travers notre collaboration avec Ciné-Banlieue [en juillet 2017], avec une carte blanche donnée à de jeunes cinéastes pour que leur cinéma soit vu et partagé", nous confie le Directeur éditorial du Festival Gorée Cinéma, Yanis Gaye.

Si Gorée Cinéma s'inscrit ainsi dans le patrimoine et le contemporain, ses animateurs regardent avec sérénité vers le futur. Yanis a accepté de nous dévoiler ses perspectives : le projet "Casamance Cinéma" qui a été lancé en juillet donnera naissance à un complexe cinématographique dans la ville de Ziguinchor (une école de formation aux métiers du cinéma ainsi qu'une salle de projection, Le Sitoë). Il y a également le développement des projets de productions (fictions et documentaires), à partir de l'année 2018.

Thierno I. Dia

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