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La Belle et la meute
Changer l'axe du cinéma tunisien
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 16/10/2017

LM Fiction de Kaouther Ben Hania, Tunisie / France / Suède / Norvège, 2017
Sortie France : 18 octobre 2017 (distribution : Jour2Fête).


Depuis la révolution de 2011, les citoyens tunisiens doivent affirmer leur condition dans la mouvance des changements qui scandent l'évolution du pays. Le défi est prégnant, manifesté avec intensité dans les films tunisiens récents. Parmi ceux-ci, Le Challat de Tunis de Kaouther Ben Hania, 2014, accentue les questions par une bascule du regard, entre documentaire et fiction, qui secoue les idées et les styles en vigueur. En relevant les mensonges, constitutifs du cinéma documentaire ou de fiction, la réalisatrice tente de faire émerger une certaine authenticité. Un désir exacerbé par son nouveau long-métrage, La Belle et la meute, 2017. En partant d'un fait divers authentique, le viol d'une jeune femme par des policiers, elle explore les forces du renouveau en Tunisie.




Bande-annonce LA BELLE ET LA MEUTE de Kaouther Ben Hania from jour2fete on Vimeo.




Le récit éclaire les émotions de Mariam, une Tunisienne fraîche et naïve, qui rencontre dans une fête d'étudiants, Youssef, un garçon plus sérieux et militant. En sortant pour prendre l'air, se connaître mieux, ils tombent sur une ronde de policiers en voiture. Leur croisement se solde par un viol que Mariam, blessée et désorientée, va tenter de faire reconnaître. Youssef l'accompagne pour l'épauler, à l'hôpital qui les renvoie au poste de police pour lancer une enquête. Là où justement, opèrent les policiers qui ont abusé de Mariam. Celle-ci doit alors, sans Youssef, tenter d'obtenir la reconnaissance de son état.

"Je souhaitais, plus qu'adapter fidèlement un fait divers, parler du courage de nombreuses femmes qui luttent pour faire respecter leur droit", affirme la réalisatrice qui prend des libertés pour construire une fiction efficace, ponctuée d'ellipses, perméable au cinéma de genre comme l'indique Youssef qui considère sa vie comme un film de zombies. Le récit oppose la situation cruelle que subit Mariam avec le point de vue de l'institution établie, les policiers, les employés de l'hôpital, pour qui les blessures font partie du quotidien et sont banalisées. "Le décalage entre ces deux attitudes, la tragédie personnelle et la froideur des institutions, dessine le ton du film", déclare la cinéaste.




EXTRAIT "CLUB" de LA BELLE ET LA MEUTE from jour2fete on Vimeo.




La lutte de Mariam prend alors des accents d'émancipation en se révélant face à des situations intenses. "Elle manifeste alors un instinct de survie dont elle ignorait l'existence", selon Kaouther Ben Hania. Aux côtés du garçon plus politisé, qui parle de la révolution de 2011, Mariam évolue. "Elle souhaite seulement justice et réparation pour ce qu'elle a subi, en réclamant un procès-verbal. Elle devient militante à partir du moment où elle s'aperçoit que cela est impossible", observe la cinéaste. "En face d'elle, la "meute" devient plus violente, non pas à cause de ce que Mariam représente, mais parce qu‘elle ose porter plainte."

Le film dénonce ainsi l'omnipotence des institutions, leur pression comme l'analyse Kaouther Ben Hania : "La tension du film est construite sur un compte à rebours à l'envers qui n'aboutit pas à une explosion, celle du personnage principal, mais plutôt à sa construction". Pour renforcer cet effet, elle privilégie de longs plans où éclate souvent la violence. "L'usage du plan-séquence permettait de générer une tension et de plonger le spectateur dans la sensation du temps réel", ajoute la réalisatrice. Elle concentre le regard sur Mariam, jouée par Mariam Al Ferjani "qui porte sur son visage à la fois la tragédie et l'innocence, qui mélange un côté enfantin et une affirmation de femme adulte", explique la cinéaste. Ses partenaires sont pour la plupart, des acteurs de théâtre, capables de soutenir la longueur des scènes, préparées durant trois périodes dans les décors oppressants, sélectionnés par Kaouther Ben Hania.




EXTRAIT "TAXI" de LA BELLE ET LA MEUTE from jour2fete on Vimeo.




L'affirmation de soi de Mariam s'épanouit malgré les espaces restreints comme une figure emblématique de la reconstruction possible en Tunisie. "Toutes les personnes qui se construisent ainsi peuvent peu à peu constituer le puzzle d'une société très forte", estime la cinéaste. Sa coproduction internationale, fondée par des moyens venus de France, Suède, Norvège, Liban, Qatar, Suisse, est aussi financée par le Ministère de la Culture de Tunisie. "C'est pour moi un symbole de soutient fort à une époque où règne en Tunisie un pessimisme général", se réjouit Kaouther Ben Hania. "C'est le signe que les choses sont en train de changer dans le pays. Comme le personnage principal du film, désormais rien ne peut plus être comme avant."

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France)
pour Africiné Magazine

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