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Carré 35
De l'intime à l'Histoire coloniale
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 02/11/2017
Michel Amarger est critique de cinéma à Africiné Magazine depuis sa création en 2004.
Michel Amarger est critique de cinéma à Africiné Magazine depuis sa création en 2004.
Éric Caravaca, réalisateur français.
Éric Caravaca, réalisateur français.
Scène du film
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Éric Caravaca, réalisateur et acteur français.
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Niko Film
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Doha Film Institute (DFI)
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Africiné Magazine, the World Leader (Africa & Diaspora Films)
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LM Documentaire de Eric Caravaca, France, 2017
Sortie France : 1er novembre 2017


A priori, c'est une histoire personnelle. L'acteur français Eric Caravaca, prend conscience, un peu par hasard, qu'il a eu une sœur, Christine, morte à l'âge de trois ans, dont sa famille a occulté l'existence. Un jour qu'il tourne en Suisse, il traverse le carré d'enfants dans un cimetière, et se sent particulièrement touché en constatant : "Je porte une tristesse qui n'est pas la mienne". L'investigation familiale qu'il tente alors auprès de ses parents, pour éclairer l'existence de la sœur disparue dont on ne parle pas, laisse augurer un secret à éclaircir. " Quand j'ai commencé à les interroger sur cette histoire, les portes se sont vite fermées ", confie l'acteur qui se décide alors à donner corps à son enquête documentaire, aboutie avec Carré 35, 2017.
C'est la deuxième réalisation de Eric Caravaca après une fiction, Le Passager, 2006, où il met déjà en scène, de manière inconsciente, un problème de paternité. Mais le réalisateur, né à Rennes, est plus connu comme un comédien ténébreux, en demi-teinte, remarqué depuis C'est quoi la vie ?, 1999, pour lequel il obtient un César du Meilleur espoir masculin, et La Chambre des officiers, 2001, de François Dupeyron. On le voit, entre autres, dans Son frère de Patrice Chéreau, 2003, La raison du plus faible de Lucas Belvaux, 2006, Cliente de Josiane Balasko, 2008, Poulet aux prunes de Marjane Satrapi, 2011, et dernièrement L'Amant d'un jour de Philippe Garrel, 2017. Des rôles qui prennent une autre dimension lorsque Eric Caravaca réalise Carré 35, en observant : "Avec ce film, je me suis aperçu que si je faisais le métier d'acteur, c'est que je passais ma vie avec des fantômes et que je ressuscitais des morts".






L'objectif du documentaire est ici de cerner le mystère qui entoure l'existence de Christine, la sœur aîné de Eric Caravaca, née à Casablanca et morte trois ans après. A cette époque, les parents, originaires d'Espagne, vivent au Maroc, puis ils partent en Algérie avant que l'indépendance les pousse à s'installer en France. Une nouvelle vie commence pour la famille. La mère change de prénom, enfouissant le souvenir de Christine et les événements vécus au Maghreb, pour afficher sa détermination à élever ses deux garçons. Le bonheur familial qui se répand sur les photos et les films Super 8, tournés par le père en France, devient la face visible d'une tragédie occultée et mal vécue. En interrogeant ses parents, Eric Caravaca se heurte au blocage de sa mère. Pour elle, Christine est une petite fille normale, morte par accident, dont il convient de porter le deuil en silence.
Le père, fragilisé par le traitement d'un cancer du cerveau, laisse entrevoir une autre vérité. Christine n'était pas tout à fait normale et inadaptée à la vie sociale. Le cousin qui l'a trouvée morte, confirme qu'on l'avait été confiée à sa mère, à Casablanca, pendant que les parents de Eric Caravaca, étaient partis vivre en France. L'absence de photos de Christine aiguise la curiosité du réalisateur qui aligne les clichés de famille, les scènes filmées par le père, mais aussi des actualités d'époque coloniale pour tenter de restituer le contexte de la fin des années cinquante. Le grain des pellicules participe au charme du documentaire. Des recherches poussées à Casablanca permettent de retrouver la tombe de Christine, entretenue par une voisine désormais en exil, puis un ultime cliché qui ponctue Carré 35, marquant le retour de la mère sur les lieux de son mariage au Maroc.






Le film pose ainsi en parallèle, avec une subtilité édifiante, la question du déni qui affecte une famille, reniant l'existence d'une fille différente pour laquelle circule à demi-mots l'adjectif trisomique, et celle du déni de l'Histoire concernant l'époque coloniale avec les violences des soldats français au Maroc et en Algérie.  Les mécanismes d'oubli, de censure et d'autocensure sont les mêmes", analyse Eric Caravaca, en ajoutant : "Mes parents n'avaient pas le comportement de colons, mais ils s'étaient habitués à ne pas voir des exactions souvent bien visibles." Carré 35 paraît donc comme un double révélateur, permettent d'exhumer la figure d'une fillette reniée comme celle d'une époque coloniale, recouverte par le silence.
"Ce film là sert aussi à dé-humilier une mémoire, la honte de l'immigration des Espagnols en Afrique du Nord, la honte de mettre au monde un enfant anormal", commente Eric Caravaca. "Mon fils avait trois ans quand j'ai découvert que j'avais une sœur morte à l'âge de trois ans." La réévaluation de l'être disparu semble alors une forme de transmission pour expurger et solidifier la mémoire familiale. "Mon fils n'a plus à porter cette histoire", conclue Eric Caravaca qui au terme de cette introspection, a pu ramener sa mère sur la terre marocaine malgré la blessure et la honte engendrées par l'enfance de Christine. Carré 35 se lit ainsi comme une tentative d'apaisement et de partage, ouvert à la mixité des cultures, des Histoires, à la tolérance, à la faculté d'assumer les zones d'ombres du passé pour mieux exister.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France)
pour Africiné Magazine

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