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Sofia
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critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 04/09/2018
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine depuis sa création en 2004
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine depuis sa création en 2004
Meryem Benm'Barek, réalisatrice et scénariste française-marocaine
Meryem Benm'Barek, réalisatrice et scénariste française-marocaine
Scène du film
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LM Fiction de Meryem Benm'Barek, Maroc/ France / Qatar, 2018
Sortie France : 5 septembre 2018 (Memento Films Distribution)

La condition de la femme au Maroc continue d'interpeller les réalisatrices. Meryem Benm'Barek a fait impression au Festival de Cannes où elle a dévoilé Sofia dans la section Un Certain Regard, lauréat du prix du scénario, avant d'assurer le débat au Festival des Cinémas Arabes de l'IMA, en juin 2018 et de remporter le Valois du Scénario à Angoulême en août 2018. Une consécration pour cette réalisatrice marocaine, formée au cinéma à l'INSAS de Bruxelles où elle a signé ses premiers films courts. Elle s'est fait remarquer avec Jennah, 2014, sur les émotions d'une adolescente qui cherche sa place entre la féminité représentée par sa mère et l'absence du père, en lice aux Oscars 2015 pour le Maroc. Cette fois, c'est grâce à une production française et l'appui d'un producteur exécutif au Maroc [Saïd Hamich, Mont Fleuri Production], que Meryem Benm'Barek met en scène Sofia à Casablanca.



Sofia, 20 ans, habite un quartier aisé où ses parents cultivent un projet d'investissement en s'alliant avec le mari français de sa tante. Au cours du repas qui scelle cette entente, Sofia réalise qu'elle est enceinte en perdant les eaux. Sa cousine Lena qui étudie la médecine, seul témoin de son état, l'accompagne aux urgences. Mais les papiers du père sont nécessaires pour un accouchement. Lena s'arrange pour une intervention clandestine mais après la naissance d'une fille, elle exige que Sofia lui montre le père. Celui-ci habite un quartier populaire et ne semble pas prêt à endosser le rôle du géniteur.
La famille de Sofia, en apprenant la situation, intervient pour que le père désigné par Sofia assume ses responsabilités sinon il peut être accusé de viol. Après confrontation au commissariat, la famille de Sofia négocie un accord pour que le père présumé reconnaisse leur relation comme Sofia, ce qui les rend coupable pour la loi mais permet d'envisager un mariage réparateur. Et Sofia qui s'est débarrassée de l'enfant, peut se préparer pour de grandes noces, organisées par sa famille, tandis que son fiancé rentre dans le rang en travaillant dans une usine. La construction d'un couple respectable est en marche sans que la vérité ni l'amour n'y trouvent leur compte.

En débutant par un carton qui rappelle que la loi marocaine rend criminel le fait d'avoir un enfant hors mariage, Sofia indique la base réaliste de son récit. Mais le regard de la réalisatrice est braqué sur son héroïne, d'abord fermée et peu ouverte aux autres. En affirmant ses options, elle se révèle calculatrice et décidée à tirer parti de la société telle qu'elle fonctionne. Se définissant non comme une victime mais une femme de pouvoir, Sofia sait mettre à profit l'argent de son milieu pour atteindre ses objectifs de vie avec un mari docile.
Meryem Benm'Barek s'écarte ainsi du discours convenu pour souligner le rôle moteur des femmes au sein de la famille, grâce à leur capacité de composition, ce qui leur donne le pouvoir mais aussi les opprime puisqu'elles ne l'assument pas pour avoir une place reconnue par les institutions. Du coup, la véritable victime de Sofia semble être le père qu'elle indexe, choisit, puis enferme dans un pacte où il refuse de laisser entrer les sentiments. Cette relation met en exergue le sujet premier de Sofia, en soulignant la fracture sociale de la société marocaine. Ainsi les jeunes peuvent souffrir d'être pauvres mais aussi coincés dans une position sociale figée, en aiguisant le désespoir de ceux des quartiers populaires.

Meryem Benm'Barek fait surgir ces considérations dans un film intimiste, concentré dans deux quartiers de Casablanca aux décors et aux ambitions opposées. Elle valorise ses actrices, surtout Maha Alemi qui est Sofia, et Sarah Perles, révélée par Burn Out de Noureddine Lakhmari, qui joue sa cousine. "On n'a pas fait beaucoup de répétitions", commente cette dernière. "Cela aide beaucoup quand le réalisateur est aussi un très bon scénariste parce que les scènes sont fluides." Cela justifie le prix reçu à Cannes et la mise en scène qui en découle avec le concours de Said Bey, de l'actrice belge Lubna Azabal, la tante de Sofia, et de Faouzi Bensaïdi, réalisateur et acteur reconnu, qui joue son père.
Sofia impose alors Meryem Benm'Barek comme une cinéaste résolue à apporter sa touche aux images marocaines. "J'ai fait ce film parce qu'il me manquait quelque chose dans la représentation des femmes du monde arabe", déclare-t-elle volontiers, en déplorant qu'elles soient vues comme des victimes du patriarcat et du machisme. "Penser cette condition ne peut se faire non plus en dehors d'une réflexion sur le contexte économique et social de ces femmes." Au-delà, le film de Meryem Benm'Barek est aussi une exploration de la représentation de soi dans l'espace social et les sacrifices à consentir pour s'y conformer.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France)
pour Africiné Magazine

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