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Yomeddine
Réintégrer les exclus dans le cinéma égyptien
critique
rédigé par Michel Amarger
publié le 22/11/2018
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine depuis sa création en 2004
Michel Amarger est rédacteur à Africiné Magazine depuis sa création en 2004
Abu Bakr Shawky, réalisateur égyptien
Abu Bakr Shawky, réalisateur égyptien
Scène du film
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Desert Highway Pictures
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Film Clinic
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Wild Bunch Distribution
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Le Pacte
Le Pacte

LM Fiction de A. B. Shawky, Egypte / Etats Unis / Autriche, 2018
Sortie France : 21 novembre 2018


Depuis la révolution, les auteurs égyptiens s'attachent à éclairer des aspects insolites de la société, en cultivant une certaine légèreté. De La Vierge, les Coptes et moi de Namir Abdel Messeh, 2011, à Ali, la chèvre et Ibrahim de Sherif El Bendary, 2016, les caméras sont baladeuses. A. B. Shawky va dans ce sens avec Yomeddine, tourné loin du Caire. C'est pourtant là qu'Abu Bakr Shawky est né puis a étudié les sciences politiques et le cinéma, avant de poursuivre à la NYU Tisch school de New York. Entretemps il signe trois courts métrages.
C'est après The Colony, 2008, son premier documentaire sur la léproserie d'Abu Zaabal, au nord du Caire, que A. B. Shawky décide d'en tirer une fiction, Yomeddine, retenue en Compétition officielle au Festival de Cannes 2018 [où il a eu le Prix François Chalais 2018, ndlr]. Une surprise pour un projet singulier dans le cinéma égyptien comme l'affirme le réalisateur : "L'idée est de ne pas détourner le regard des exclus que l'on croise dans le film et de voir au-delà de leur apparence pour se concentrer sur leur personnage."






Yomeddine est l'histoire d'un lépreux, Beshay, guéri mais marqué physiquement par la maladie, qui quitte la léproserie où il a vécu, après la mort de sa femme. Il part vers Quena, retrouver son père qui l'a abandonné, en compagnie d'un âne qui tire sa charrette. Un jeune orphelin nubien qui l'affectionne, Obama, se joint à lui. Ils traversent l'Egypte rurale qui s'ouvre à eux comme un monde vaste et inconnu, dont ils partagent les instants de grâce, les épreuves, en quête d'un foyer.
"J'ai toujours voulu filmer les opprimés, les exclus, le parcours de quelqu'un qui s'en sort contre toute attente", indique A.B.Shawky, écrivant une fiction inspirée par la léproserie de Abu Zaabal. Cet endroit où vivent 1500 lépreux dont la plupart sont guéris, constitue une société avec son hôpital psychiatrique, son orphelinat, sa décharge qui est une source de revenus pour nombre de résidents. La figure de Beshay qui en est issu, signale un des derniers malades avec une déformation physique puisque la lèpre est en voie d'éradication.

A. B. Shawky tourne dans une léproserie plus modeste et bâtit son film autour de Beshay, joué par un vrai malade, Rady Gamal, repéré à Abu Zabaal où il tient une sorte de cafétéria. Le cinéaste l'a conduit vers le rôle pendant quatre mois, en l'initiant au jeu d'acteur. Une approche renouvelée moins de temps avec Ahmed Abdelhafiz qui est le jeune Obama, remarqué au Caire. Ce fils de gardien d'immeuble, qui rodait sur un tournage dans le quartier, a séduit A. B. Shawky.
En réunissant ces générations pour un voyage initiatique, le cinéaste suscite "une vraie relation père-fils" qui alimente le récit. Il valorise des seconds rôles de parias accueillants tel un petit homme, joué par un acteur de doublage, ou un cul-de-jatte, incarné par un handicapé. "Je ne voulais pas d'un film qui s'apitoie", souligne A. B. Shawky. "Il sonnerait faux parce que les lépreux ne sont pas comme ça : ils savent que Dieu leur a infligé une épreuve et qu'ils doivent vivre avec."

Ainsi se justifie le titre du film, qui signifie en arabe, "le jour du jugement dernier". "Chacun sera jugé uniquement en fonction de ses actes et non de son apparence", commente le cinéaste. "Cette croyance résonne particulièrement chez ceux qui se sentent méprisés par la société, qui attendent ce jour avec impatience car il n'y a aucun autre espoir, pour eux, de se sentir égaux dans le monde réel." Il fait de Beshay un chrétien, justifié par le fait que les léproseries sont souvent dirigées par des nonnes catholiques.
Et le cinéaste défend l'existence de cette religion en déclarant : "Il n'y a pas eu beaucoup de films venant de ce coin du monde qui parlent des minorités chrétiennes, et celle d'Egypte mérite d'être représentée." Et il choisit de cadrer pour Obama, un garçon d'origine nubienne [noire], ce qui est rare en tête d'affiche d'un film égyptien. "Cela participe de mon envie de montrer un autre visage de l'Egypte", relève A.B. Shawky.

"Ce film tout entier veut donner une représentation symbolique de la société égyptienne", insiste son auteur. "Je voulais montrer le peuple égyptien, ni bon ni mauvais, tout entier engagé dans un combat quotidien : survivre." Cette idée motive un tournage de cinq mois, en 2015, avec une équipe cosmopolite, composée de plusieurs techniciens rencontrés à la NYU dont le chef opérateur argentin, Federico Cesca. La musique composée par Omar Fadel, un Egyptien qui vit à Los Angeles, apporte des notes allègres en amplifiant le ton du film.
Yomeddine s'affirme comme une production indépendante, orchestrée par la femme du réalisateur, Dina Emam, avec le concours de Mohamed Hefzy et Daniel Ziskind. Le cinéaste évite le pathos pour cultiver un côté "feel-good movie" qu'il revendique. "Je voulais raconter l'histoire du mauvais cheval", assure-t-il. "Le moins que rien qui grandit pour comprendre les rouages d'un monde qui refuse de l'accepter." Autant dire que Yomeddine est plein d'un humanisme édifiant sur les exclus.

Vu par Michel AMARGER
(Afrimages / Médias France)
pour Africiné Magazine

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