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Regarde-moi, un film de Nejib Belkadhi, 98 min
Un amour cathartique
critique
rédigé par Jean-Marie Mollo Olinga
publié le 20/03/2019
Jean-Marie Mollo Olinga est rédacteur à Africiné Magazine depuis 2004.
Jean-Marie Mollo Olinga est rédacteur à Africiné Magazine depuis 2004.
Néjib Belkadhi, réalisateur tunisien
Néjib Belkadhi, réalisateur tunisien
Scène du film
Scène du film
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Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film
Scène du film

Projeté en compétition officielle aux Journées cinématographiques de Carthage (JCC) qui se sont déroulées du 3 au 10 novembre 2018 à Tunis, Regarde-moi, le film du Tunisien Nejib Belkadhi, met en scène un homme, Lofti, qui tente le tout pour le tout pour socialiser sa fille atteinte d'autisme.


D'après le magazine Autisme France, dans son numéro du 2 avril 2016, il y a 60 millions de personnes sont atteintes d'autisme dans le monde. Toujours selon la même source, qui se base sur l'évaluation, en 2012, de la Ministre déléguée chargée des personnes handicapées Marie-Arlette Carlotti, environ 600 000 personnes souffraient d'autisme en France, dont 160 000 enfants. Pour les spécialistes, c'est une maladie neurologique qui détruit la vie, parce qu'elle affecte le fonctionnement du cerveau, le système immunitaire et biologique, altérant ainsi les capacités de reconnaissance, d'expression, des codes sociaux et affectifs, et générant hypersensibilité émotionnelle et troubles du comportement. Toujours d'après eux, pris en charge précocement, un enfant autiste peut se développer et avoir toutes les chances de s'intégrer à la société. Cela commande, en amont, une mise en place des traitements éducatifs. N'étant pas une fatalité, l'autisme n'est plus considéré ni comme une affection psychologique ni comme une maladie psychiatrique.

Le regard chez Nejib Belkadhi

C'est de la thématique relative à cette affection que se saisit Néjib Belkadhi. Lofti est le père d'une fillette autiste. Belkadhi le campe comme un personnage alcoolique et bagarreur, duquel émane a priori une bonne dose d'inhumanité. Dès qu'il apprend la maladie de sa fille, il saute dans le premier avion, quitte la France où il mène une vie à l'abri du besoin, pour se rapprocher de sa fille, que son ex-épouse avait déjà internée dans un centre hospitalier spécialisé. Lofti l'en extirpe, au grand dam de la mère de la fillette. Dès lors, le réalisateur va immerger le spectateur dans des situations dramatiques où, tour à tour ou en même temps, il est question, pour un père, de sortir sa fille de la maladie qui la rend si différente des autres enfants, tout en sacrifiant sa femme, enceinte, restée en France. Mais, pour Lofti, comme pour Nejib Belkadhi, d'ailleurs, cette situation n'est en rien cornélienne : il a tranché : pour l'idéal supérieur qui consiste à faire de son enfant un enfant comme les autres, rien n'est plus important. De plus, il est également question pour lui de rattraper tout ce temps passé loin de sa fille, qu'il avait de ce fait abandonnée à sa mère.
A ce niveau, peut s'expliquer l'énigme du titre : "Regarde-moi". Il est à noter que ce n'est pas une injonction (il n'y a pas de point d'exclamation à la fin), mais la supplication d'un père aimant à l'endroit de sa fille handicapée. Le regard, ici, revêt alors un double aspect : celui imploré de sa fille et celui de la société, représentée par la mère. Cette question du regard est révélatrice, s'il en est besoin, d'un moment de cinéma, en tant que celui-ci constitue un moyen scrutateur du monde aussi puissant que l'œil.

Il ne s'agit pas, faut-il rapidement l'évacuer, du regard sartrien qui chosifie son alter ego, mais du regard de Molière exprimé par "D'amour mourir me font, belle Marquise, vos beaux yeux", tel qu'il le faisait dire à Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois gentilhomme ; un regard chrétien, valorisant, qui est sublimé et qui sublime l'amour, en somme, un regard façon Néjib Belkadhi. Et si celui-ci choisit de filmer la fillette - et parfois le papa - en gros plans, n'est-ce pas pour mettre en évidence son visage, lieu par excellence du regard, où se joue, sinon le drame, du moins l'expression du conflit intérieur qui peut être le sien, confronté au conflit extérieur que peut percevoir le reste de la société, dont son père ?

En nous montrant un père déterminé, à travers la caméra, c'est-à-dire la capture et la mise en boîte de l'image, à offrir une vie (quasi) normale à sa fille, le réalisateur fait évoluer le personnage de Lofti, au point de le rendre sympathique, ne serait-ce que de par l'empathie que le spectateur établit vis-à-vis de lui. N'en vient-il pas alors à oublier son côté mauvais garçon de France, pour ne retenir de lui qu'un être auquel tous les êtres confrontés à un dilemme semblable peuvent s'identifier ? Ce faisant, le réalisateur met en exergue le rôle de l'image, en particulier, et du cinéma, en général, qui, en nous montrant tel que nous sommes, nous suggère en creux une autre image, celle de ce que nous devrions être ; une sorte de personne à inventer : c'est son aspect cathartique. Pour ce faire, nous devons être portés par une motivation, par exemple, soigner un enfant. Néjib Belkadhi le rend-il opportunément de manière technique ?

Améliorer le travail de la photographie

Le film de Néjib Belkadhi est constitué en grande partie de séquences d'intérieur. L'on s'attend donc que le réalisateur alterne les lumières chaudes, vives, gaies, lorsque, par exemple, chaque petite victoire fait sourire le père dans sa lutte ô combien âpre pour le bonheur de son enfant défavorisée par le sort, et les lumières froides, quand il semble gagné par le découragement ou le manque de réussite. Pour lui, chaque jour s'apparente à la corvée de Sisyphe, avec qui il partage d'ailleurs le côté ingénieux (utiliser la caméra comme instrument thérapeutique), mais à la différence avec le roi légendaire de Corinthe que le travail de Lofti n'est pas vain ; il n'est pas non plus une punition. A force de ténacité, ne finit-il pas par être payé ? Les lumières ne le rendent qu'approximativement.

L'on peut conséquemment regretter que ces moments de satisfaction ne soient pas toujours accompagnés avec bonheur par la qualité de l'image (surtout dans les séquences d'intérieur, insistons-nous). Le rapport père-fille se jouant sous son aspect psychologique, il ne nous a pas paru évident que ce sont (surtout) les regards - encore une fois ! - et les attitudes des deux acteurs qui ont guidé Belkadhi dans la construction des plans et des lumières qui les ont escortés dans leur jeu. A ce niveau, l'on peut déduire qu'une certaine intuition a fait défaut au directeur de la photographie, si bien que nous nous interrogeons sur sa stratégie à rendre compte des contrastes dans les moments alternés de joie et de peine dans Regarde-moi.
Qu'à cela ne tienne, tout le monde étant concerné par les questions de handicap, en général, le film de Néjib Belkadhi, sans verser dans le mélodrame ni dans un quelconque misérabilisme, est édifiant à plus d'un titre : il ne faut jamais démissionner devant la difficulté, surtout pas quand il s'agit d'inventer un rayon de lumière pour sa progéniture. Cohérent dans son récit, il est également émouvant, ce d'autant qu'il est servi avec poésie.

Jean-Marie MOLLO OLINGA, Cameroun

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