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Maryam Touzani : "Je ne crois pas en un cinéma féminin ou masculin, mais en un cinéma de l'humain"
critique
rédigé par Falila Gbadamassi
publié le 22/05/2019
Maryam Touzani, réalisatrice et scénariste marocaine
Maryam Touzani, réalisatrice et scénariste marocaine
Falila Gbadamassi est rédactrice à Africiné Magazine
Falila Gbadamassi est rédactrice à Africiné Magazine
Scène du film
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Scène du film, avec Lubna Azabal (Abla)
Scène du film, avec Lubna Azabal (Abla)
Scène du film, avec Lubna Azabal (en noir) et Nisrin Erradi (en beige)
Scène du film, avec Lubna Azabal (en noir) et Nisrin Erradi (en beige)
L'actrice belge Lubna Azabal, scène du film
L'actrice belge Lubna Azabal, scène du film
Scène du film, avec Douae Belkhaouda (Warda)
Scène du film, avec Douae Belkhaouda (Warda)
Scène du film
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Scène du film, avec Lubna Azabal (Abla) & Aziz Hattab (Slimani)
Scène du film, avec Lubna Azabal (Abla) & Aziz Hattab (Slimani)
Scène du film
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Scène du film, avec Douae Belkhaouda (Warda)
Scène du film, avec Douae Belkhaouda (Warda)
Scène du film
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Nabil Ayouch, réalisateur de Razzia et coscénariste de Adam, 2019
Nabil Ayouch, réalisateur de Razzia et coscénariste de Adam, 2019

Adam, film marocain projeté à Un Certain Regard, raconte l'histoire de deux femmes, Samia et Abla, que le destin va réunir dans la médina de Casablanca autour de la compromettante maternité de la première. Maryam Touzani s'est inspirée d'une histoire vraie. Entretien.


Êtes-vous la petite Warda (la fille d'Abla qui héberge Samia) puisque vous avez vu votre mère accueillir une femme dans la situation de Samia ?
Suis-je la petite Warda ? J'étais plutôt une jeune femme, j'avais 22-23 ans, quand nous l'avons accueillie. Du coup j'ai pu prendre conscience d'une manière plus dure et plus crue de ce qui se jouait dans la vie de cette jeune femme.

Qu'est-ce qui a provoqué l'envie de raconter cette histoire et de faire ce film ?
Ma grossesse. Du moins, à partir du moment et je m'en rappelle très bien, où j'ai commencé à sentir mon enfant bouger. Je me suis alors rappelée de cette femme qui prétendait ne pas avoir d'enfant dans son ventre. Quand j'ai senti mon enfant, je me suis dit que c'était impossible de faire semblant. On peut essayer d'étouffer ses sentiments mais cela doit être tellement dur de se conditionner pour ne pas aimer ce petit être qui bouge en nous. Cette jeune femme faisait des efforts pour ne pas l'aimer parce qu'elle savait à quel point ce serait dur derrière. J'ai ressenti dans ma chair cette violence. J'ai écrit parce qu'il fallait que ça sorte.

Votre récit repose sur deux femmes qui se tiennent souvent tête. Pourquoi un tel choix dramatique ?
Sans réfléchir ! Quand on avance dans la vie, on avance avec les belles choses mais aussi les blessures accumulées et j'ai eu ma part de blessures, de pertes, de décès et de deuils qui ne sont pas faits... Tout cela avait besoin de sortir et a trouvé sa place dans le personnage d'Abla. La rencontre de Samia et d'Abla s'était déjà faite à l'intérieur de moi.

L'alchimie qui règne entre Lubna Azabal et Nisrin Erradi est frappante. Comment l'avez-vous travaillée ? Qu'avez-vous dit à vos actrices sur leur personnage, notamment dans les scènes où elles s'affrontent ?
Quand j'ai rencontré Nisrin et Lubna, j'ai compris très vite que c'était respectivement Samia et Abla. Mais il fallait qu'il y ait cette alchimie entre elles. Est-ce que cela se travaille ? Jusque dans une certaine mesure parce qu'il y a des choses qui doivent être là naturellement. Avec Nisrin et Lubna, je sentais que l'alchimie était là. Toutes les deux sont des comédiennes qui ont une sensibilité à fleur de peau. Elles avaient une profonde compréhension de leur personnage. Nous avons beaucoup parlé de l'intériorité de ces femmes. Ce n'est pas évident de raconter l'intime, surtout quand on choisit de ne pas mettre beaucoup de mots dessus. Nous avons travaillé les plus petits gestes et tous les détails qui constituent cette part de vérité pour chacune d'elles et qu'elles puissent raconter ensemble cette histoire.

Vous avez travaillé avec des enfants, dont un nourrisson. Vous n'avez pas choisi le plus simple pour le tournage de votre première fiction...
C'est sûr ! J'adore Douae (Belkhaouda qui joue Warda). On m'avait présenté beaucoup de fillettes qui étaient comédiennes mais je n'avais pas eu de coup de cœur. J'ai donc continué à chercher et, un jour en faisant des repérages dans la médina de Casablanca, j'ai vu trois petites filles qui couraient dans une ruelle. Elle était l'une d'elles. Au début, elle était très timide : elle arrivait à peine à dire bonjour. Tout le monde me disait que j'étais complètement folle de la choisir parce qu'elle n'allait jamais tenir. Cependant, j'y croyais. Nous nous sommes revues plusieurs fois et elle s'est révélée être d'une sensibilité et d'une maturité exceptionnelles. Seulement, elle le cachait… Ce n'était pas facile non plus avec le nourrisson. J'ai un bébé, même s'il a presque deux ans maintenant, c'est encore mon petit bébé. Quand le nourrisson pleurait, je le prenais dans mes bras parce que je ne voulais pas qu'il soit mal, qu'il attrape froid, qu'il pleure…

Vous êtes une femme qui raconte une histoire de femmes. La place des femmes dans le cinéma est aujourd'hui une thématique très actuelle. Que pensez-vous du combat de toutes ces femmes qui veulent qu'on les laisse vivre leur art comme les hommes ?
Il est évident qu'on doit nous laisser vivre notre art comme les autres hommes. C'est vrai que c'est un film de femme. C'est vrai que les personnages sont des femmes. Mais c'est un film surtout sur l'humain. J'ai choisi de raconter cette histoire-là parce que je suis une femme et que je n'aurai pas pu la raconter d'une autre manière. Si je n'avais pas vécu ma grossesse, je n'aurai pas fait ce film. Je raconte forcément cette histoire-là parce que je suis une femme. Je la raconte avec mon regard et ma sensibilité de femme. Cependant, je ne crois pas en un cinéma féminin ou masculin. Je crois en un cinéma de l'humain.

Vous êtes d'abord scénariste. Ecrire un texte puis le mettre en images est une démarche évidente pour vous ?
Cela a été naturel pour moi. J'aime écrire et j'adore la littérature. J'ai commencé à écrire une histoire et je la voyais en images, je voyais les décors… Quand on écrit un personnage dans un roman, on a la liberté de raconter tout ce qu'il ressent. Quand on le raconte avec des images et peu de mots, c'est autre chose…

Ce n'était donc pas un scénario que vous pouviez remettre à quelqu'un d'autre ?
Non et je ne l'ai jamais fait. Avec Nabil (Ayouch, son compagnon à la ville), nous avons écrit Razzia ensemble. Et mes autres courts, je les ai écrits pour moi. Je pense que ne pourrai jamais écrire un scénario pour quelqu'un d'autre. C'est trop personnel. Je trouve que c'est magnifique de pouvoir écrire pour les autres mais j'en serai incapable parce que trop attachée à ce que j'écris.

Que ressent-on quand son premier film est sélectionné à Cannes ?
Je n'ai pas de mots pour décrire cette sensation incroyable. Me retrouver à Cannes avec ce film est très déstabilisant…

Vous étiez très émue lors la présentation de ce film que vous dédiez à votre mère…
J'ai toujours été très proche d'elle. J'ai compris l'amour qu'on porte à son enfant. J'ai désormais un autre regard sur ma mère. C'est pour cela que je ne pouvais que lui dédier ce film. C'est mon fils qui en est à l'origine mais cela me ramène à ma place de mère et à sa place de mère.

Falila Gbadamassi

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