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Cinéma d'Afrique, 20 ans de cinéma africain : quand les films peinent à toucher leur public
Le célèbre film de Férid Boughédir sélectionné à Cannes Classics 2019
critique
rédigé par Falila Gbadamassi
publié le 26/05/2019
Falila Gbadamassi est rédactrice à Africiné Magazine
Falila Gbadamassi est rédactrice à Africiné Magazine
Férid Boughédir, cinéaste et critique tunisien
Férid Boughédir, cinéaste et critique tunisien
Scène du film
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La copie restaurée de Cinéma d'Afrique, 20 ans de cinéma africain, le film du cinéaste et critique tunisien Férid Boughédir a été présenté le 22 mai 2019 à Cannes Classics lors de la 72e édition du Festival de Cannes. Ce document, qui s'appuie sur des entretiens avec des pionniers du cinéma africain et les extraits de leurs films, raconte en filigrane le mal originel du cinéma subsaharien : ses problèmes de distribution.


Comment faire du cinéma sans jamais réussir à trouver son public ? C'est ce que raconte le documentaire Cinéma d'Afrique, 20 ans de cinéma africain, sorti en 1983 et initialement présenté à Un Certain Regard.
La copie restaurée par le Centre national du cinéma et de l'image animée (France) permet de (re)découvrir un film que Férid Boughedir a mis, rappelait-il le 22 mai 2019, jour de la présentation du documentaire à Cannes Classics, "dix ans a tourner sans aucun producteur, dans les mêmes conditions précaires que les cinéastes africains que je filmais".

La distribution, une carence structurelle

Ponctués de larges extraits des films produits jusqu'au début des années 80, le documentaire est un édifiant éclairage sur les problèmes de distribution des œuvres cinématographiques en Afrique subsaharienne. Un problème qui n'a toujours pas été réglé. Après les indépendances, les circuits de distribution sur le continent sont aux mains des étrangers, notamment français. Les pionniers du cinéma africain n'auront donc de cesse de trouver une solution. Ils y parviendront en 1979 avec la création du Consortium interafricain de distribution cinématographique (CIDC). La structure leur permet de gérer la programmation des salles et de surtout d'y inclure des œuvres locales.

"Grâce à la pression des cinéastes africains, les circuits (français) d'UGC sont rachetés et un marché commun voit le jour réunissant 14 pays", explique le cinéaste tunisien. Montrer leurs œuvres engagées est un impératif pour les cinéastes pionniers et, bien évidemment pour leurs successeurs.

"On rêvait de faire des films pas seulement pour les festivals, on rêvait d'un cinéma africain qui se construise aussi pour le grand public africain. C'est malheureusement un pari perdu parce qu'on a pas réussi, comme on (le voit) dans le film, à faire un marché commun, une économie, un circuit de distribution. Chaque fois qu'on a mettre en place quelque chose, les politiques l'ont malheureusement détruit", poursuit Férid Boughedir.

Des "films de festivals"

L'auteur dresse lors de sa projection à Cannes Classics un triste tableau : "En 2019, le cinéma africain est encore malheureusement un cinéma de festivals (...)" qui ne réussit toujours pas atteindre son public.

"Les industries nationales peuvent se faire quand il y a assez de spectateurs pour regarder les films", analyse-t-il. Dans le documentaire restauré, le cinéaste nigérian Ola Balogun, réalisateur du succès populaire Ajani Ogun, souligne que même les distributeurs étrangers, en situation de monopole, avaient compris que le cinéma nigérian attirait un public local, et par conséquent remplissait les salles. Dans ce pays anglophone, l'industrie du cinéma qui est désormais surtout celle de la vidéo va se construire sur ce constat. Mais Nollywood, note Férid Boughedir, "est le contraire de ce que voulait faire les cinéastes africains pionniers". "Ils ne voulaient pas faire un cinéma africain commercial. Comme ils le disent, ils veulent des films d'auteurs qui expriment les réalités de l'Afrique, qui expriment tout ce qui a manqué et qu'il fallait montrer."




Szene aus AJANI-OGUN (1975) from Gary Vanisian on Vimeo.




Le Camerounais Dikongue Pipa, auquel le Fespaco a récemment rendu hommage lors de sa 26e édition en février 2019, le réaffirmait dans Cinéma d'Afrique. Il faut "imposer" un cinéma qui traduit "nos préoccupations", estimait-il.

D'autant que pour le Sénégalais Sembène Ousmane, "le cinéma allait créer des nations en Afrique", rapporte Férid Boughedir. "Il y a une foi extraordinaire, juste après les indépendances africaines, que le cinéma peut transformer le monde et surtout que le cinéma peut créer un homme africain nouveau, libéré de ses chaînes. Et qui va, avec son art, créer à la fois des œuvres enracinées dans la culture africaine et puis autre chose."

"Le cinéma, une nécessité vitale"

Les films vont continuer à se faire. Avec les États qui réussissent à maîtriser leur distribution, une nouvelle génération, dont le Burkinabé Gaston Kaboré, prend la relève. L'un de ses films sera ainsi financé par une partie des recettes générées grâce à la nouvelle organisation des circuits de distribution.

L'utopie du CIDC, dont Cinéma d'Afrique montre la naissance et les insuffisances, durera cinq ans, de sa création en 1979 à 1984. "Les films d'auteurs sont donc redevenus des films de festival faute de ce marché commun qui a explosé." C'est aussi une source de financement qui disparaît : "L'idée étant de financer les films d'auteurs grâce au succès des westerns spaghettis" en salles.

De nombreuses clés de l'avenir du cinéma en Afrique subsaharienne se trouvent dans l'œuvre de Férid Boughedir. C'est pour cela que son documentaire mérite une large diffusion. Tous ceux qui travaillent sur le développement des cinématographies africaines devraient le voir.

Avec le développement du numérique et des possibilités ainsi offertes à la jeune génération, "je me suis dit quelle chance, confiait Férid Boughedir, si ce film est diffusé, pour que cette foi et cette croyance que le cinéma d'auteur peut exprimer toutes les réalités de l'Afrique dans sa diversité, qu'elle soit culturelle, politique, poétique et que cette foi, j'espère, sera contagieuse."

"Grâce à Cannes Classics, poursuit le cinéaste, ce film va rappeler que le cinéma est une nécessité vitale parce que c'est tout un pan des cultures de l'humanité qui n'accède pas vraiment au septième art." Des propos qui font écho à d'autres entendus dans son documentaire : "Si l'Africain n'est pas à l'image, il est dominé, aliéné."

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