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Kaïs Zaïed, la réussite d'un distributeur tunisien de films
Il est aussi exploitant (CinéMadart et Amilcar)
critique
rédigé par Kawther Mansouri
publié le 31/10/2019
Kaïs Zaied, exploitant et distributeur tunisien
Kaïs Zaied, exploitant et distributeur tunisien

MAD'ART ou CINEMADART est une salle de cinéma située à Carthage. Elle offre un programme très riche, liant culture, plaisir et désir de films.
La salle dispose de moyens de projection modernes attirant visiteurs et spectateurs. Ces derniers trouvent dans cette salle les meilleures conditions pour profiter des films, dans une l'ambiance très confortable. Ce temple de culture a été fondé par la regrettée Raja Ben Ammar et Moncef Sayem, célèbre duo tunisien du théâtre.
Pour mieux appréhender cette salle proposant du cinéma alternatif et aussi HAKKA Distribution, on a rencontré Mohamed Kaïs ZAÏËD (communément appelé Kaïs Zaied), un jeune distributeur de films, dans son bureau à la Salle Mad'art à Carthage, dans la banlieue Nord de Tunis.


Kaïs Zaied nous a accordé une interview exclusive pour Africiné Magazine. Il aborde ici ses débuts dans le cinéma, sa réussite, ses projets et les difficultés qu'il a rencontrées. À la tête de Hakka Distribution, il s'est imposé comme un sérieux et solide distributeur de films.






"MAD'ART" propose autant la production nationale que les cinémas du monde, à Carthage. Kais Zaied participe également à la gestio de la salle de cinéma "Amilcar", à El Manar (Tunis). Les deux cinémas s'appuient sur Hakka Distribution, une société qui permet d'apporter aux Tunisiens des films de tous horizons.
En 2018, la jeune société de distribution a programmé UNE SAISON EN France de Mahamat-Saleh Haroun (France / Tchad, avec Eriq Ebouaney et Sandrine Bonnaire), LES BIENHEUREUX de Sofia Djama (Algérie / France / Belgique, avec Sami Bouajila, Nadia Kaci, Amine Lansari, Lyna Khoudri, Adam Bessa, Faouzi Bensaïdi), WAJIB d'Annemarie Jacir (Palestine, avec Mohammad Bakri & Saleh Bakri), WRITING ON SNOW de Rashid Masharawi (Palestine / Tunisie, avec Amr Waked, Ghassen Massaoud, Yomna Marouwa, Areen Omrani), film d'ouverture des Journées Cinématographiques de Carthage 2017, COLD WAR de Pawel Pawlikowski (Pologne, avec Joanna Kulig et Tomasz Kot), en autres. N'oublions pas TUNISIA FACTORY (فاكتوري تونس) dont Hakka Distribution a assuré la sortie nationale en Tunisie des 4 courts-métrages dans 9 salles de cinéma le 9 Mai, jour de la première mondiale au Festival de Cannes 2018 (sous la forme d'un long métrage qui a fait l'ouverture de la 50è Quinzaine des Réalisateurs). Plus récemment, Hakka Distribution a sorti en Tunisie le magnifique documentaire égyptien AMAL de Mohamed Siam et FATARIA du Tunisien Walid Tayaa.
"Amilcar", à El Manar.






Explosion du box-office

En 2019, la salle aligne une série de films diversifiés. A titre d'exemples, citons THE HOUSE THAT JACK BUILT de Lars von Trier (Danemark, avec Matt Dillon, Bruno Ganz, Uma Thurman), REGARDE-MOI de Néjib Belkadhi, DACHRA d'Abdelhamid Bouchnak, BIDOUN 3 de Jilani Saadi, LA VOIE NORMALE d'Erige Sehiri, LES ETERNELS de Jia Zhang-Ke (Chine, avec ZHAO Tao, LIAO Fan et XU Zheng), SUBUTEX de Nasreddine Shili (Tunisie, documentaire), LE PARDON de Najwa Salma (Tunisie, avec Dali Ben Jemâa et Abed Fahed), MINUSCULE 2 de Thomas Szabo et Hélène Giraud (France, animation), PAPA HEDI de Claire Belhassine, LES BALISEURS DU DESERT du Tunisien Nacer Khémir en version restaurée et numérisée.
La sortie en Tunisie de SIBYL de Justine Triet (France / Belgique, avec Virginie Efira, Edèle exarchopoulos et Gaspard Ulliel) et MONSIEUR de Rohena Gera (Inde /France, avec Tillotama Shome, Vivek Gomber), en juin puis NOS BATAILLES de Guillaume Senez (France / Belgique, avec Romain Duris) le 21 août dernier ont préfiguré la nouvelle saison de programmations qui a débuté en septembre.
Les résultats sont prégnants : sorti le 23 Janvier 2019, DACHRA de Abdelhamid Bouchnak a battu le record d'entrées au cinéma des 20 dernières années en Tunisie, selon HAKKA Distribution. Ce premier long métrage de fiction du jeune réalisateur a réalisé 100.000 entrées, en seulement 17 jours, d'après les chiffres officiels du distributeur. Le film est parvenu à couvrir ses frais de production avec ses recettes en salles, précise le communiqué de presse parvenu à notre rédaction panafricaine.

Itinéraire d'une génération


Comment vous vous présentez pour le grand public ?
Je suis Kais Zayed, j'ai commencé par faire de la réalisation de films et la distribution. J'ai fait entre 2005 et 2011 cinq courts métrages dans différentes formes : films d'écoles, de fiction, avec traduction, amateur, etc.

Êtes-vous également producteur ?
Non, à la base je suis assistant-réalisateur et réalisateur. Actuellement, je suis exploitant, distributeur, spécialisé dans le cinéma d'art et essai, le cinéma indépendant. Comment je suis arrivé à devenir un exploitant ? Quand j'ai commencé à faire la réalisation, on était toute une génération. Autour de moi, il y avait plein de cinéastes amateurs qui ont commencé à faire des films. Et à ce moment-là, il y avait les ciné-clubs. Nous, avec quatre autres amis, on était encore étudiants et on a créé Ciné Fice qui était un Ciné-club indépendant.
Les quatre amis sont Ismaïl qui est devenu maintenant cinéaste, Bilel el Mekki qui était à un moment donné gérant à la Salle Afric'art, Amel Saadallah qui est maintenant associée actuellement dans mon projet Hakka Distribution et Ameni Dhifaoui qui travaille actuellement à France 24. On a travaillé ensemble presque pendant trois ans : avec notre ciné-club indépendant, à la Salle El Hamra, à Tunis. Ensuite, on a terminé nos études et il fallait qu'on devienne des professionnels. On s'est séparé et chacun a pris un chemin différent.

D'où vient l'idée de faire une salle d'art et essai ?
Comme je viens de le dire, on a commencé par faire des courts métrages, et on était sûr que dans trois ou quatre ans on allait faire des longs métrages, alors qu'il n'y a plus trop de salles. Dans les années 2000, les salles fermaient et même les cinéastes qui étaient déjà établis à l'époque - comme Nouri Bouzid, Ridha Béhi et bien d'autres - ont fait des longs métrages et les films ne sortaient pas ou étaient très mal distribués. Bref, si les grands n'arrivent pas à distribuer leurs travaux, que dire des jeunes et des petits ? Donc, on s'est lancé dans un projet de cinéma d'art et essai. On sortait tous de formations universitaires. Moi, j'ai fait un master en management culturel et d'ailleurs mon projet de fin d'études pour ce master était l'ouverture d'une salle d'art et essai. Finalement, je le fais dans la réalité. Bref, pour répondre plus précisément à votre question, on est arrivé à se décider. On s'est lancé dans ce projet, afin de contribuer à développer l'exploitation en Tunisie. Pour que les jeunes et même tout le monde, pour que les cinéastes fassent leur films, on a lancé le projet en 2012.

Les débuts d'un jeune distributeur


Vous restez le meilleur exemple d'un jeune créateur, motivé, qui a réussi à inventer un grand projet. Comment pouvez-vous qualifier votre commencement ?
Il y a plusieurs choses qui se sont succédées, on va dire des circonstances. D'abord les conditions dans lesquelles se trouvait le pays au niveau de secteur du cinéma : les salles fermaient, pas trop de distributeurs, les films qu'on veut voir ne sortent pas, les films qui méritent d'être vus par le public ne viennent pas. On dirait que le public tunisien n'était pas un public comme tous les autres dans le monde, pour mériter d'avoir, chez lui, des films, dans son pays et dans ses salles de cinéma. Alors que, on sait très bien que les Tunisiens, chaque année, pendant les JCC [Journées Cinématographiques de Carthage, créées en 1966, ndlr], arrivent par dizaines de milliers, pour une semaine de cinéma.
En plus, le cinéma est un domaine artistique et la passion y joue un rôle principal. Si on n'est pas passionné, on ne peut pas travailler efficacement. Quand tu travailles dans un métier qui te passionne, tu auras plus de chance pour réussir. La passion m'aide beaucoup, lorsqu'on a des difficultés et des obstacles. L'idée de projet était là depuis 2009-2010 et on était dans l'attente de l'amélioration du pays. On a commencé en 2012 ; c'était une période propice. Les choses pouvaient d'ailleurs se faire après 2011 [année de la révolution qui a chassé du pouvoir le controversé président Ben Ali]. Avant, on pouvait entreprendre aussi, mais après 2011, il y avait une certaine facilité pour ce genre de projet. Donc, on a pu le faire. Et après, le travail de tous les jours, la passion, l'investissement de corps et âme. Même si tu perds de l'argent, tu gagnes plein d'autres choses."

Vous avez rencontré beaucoup de défis. Est-ce que vous pouvez nous citer quelques-uns ?
Les défis et les obstacles existent tous les jours. On arrête, on réussit, c'est une continuation. La réussite peut se transformer en échec si on ne l'entretient pas, il faut travailler dur et en plus si on veut réussir, on place la barre un plus haut. Les gens avec qui on travaille deviennent plus exigeants : les partenaires, les collaborateurs.
Au début, les difficultés étaient financières parce que l'idée était là, le projet était écrit, l'investissement humain, l'énergie la motivation étaient là et il nous manquait que l'argent. Quand je dis nous, c'est que j'insiste qu'il y a pas que moi dans ce projet, il y a aussi Amel Saadallah et Mohammed Frini, à la base.
Ouvrir un projet artistique, culturel, en Tunisie, du cinéma d'art et essai que ce soit en 2009, 2010 et même aujourd'hui, cela reste très difficile pour convaincre les banques. On n'a pas pu les convaincre, même le ministère, on n'a pas pu le convaincre.

Un projet comme le vôtre demande combien d'argent, à peu près ?
On a demandé comme crédit, la somme de 500 mille dinars tunisiens [environ 150 000 euros / environ 100 millions CFA], parce qu'on voulait que les choses soient bien faites. On ne cherchait pas à construire une salle, on voulait exploiter les salles qui existaient ; c'est pour cela que CinéMadart était une bonne idée. On voulait une salle qui était déjà prête mais où nous arrivions avec l'équipement qu'il faut et la communication qu'il faut. Et même lorsqu'on a baissé le montant de notre demande, en sacrifiant des choses, rien n'a changé : on était perçus trop jeunes et sans expérience. Les banques ont pensé qu'un projet du cinéma n'est pas rentable et garanti. Heureusement, pour Ciné Mad'art, on a eu les encouragements de gens qui ont été là comme Raja Ben Ammar [elle a fondé, avec Moncef Sayem en 1993, à Carthage, l'espace Mad'art, un théâtre et centre culturel qui a formé plusieurs artistes. Elle a joué dans Halfaouine de Férid Boughédir, 1990, et le court métrage Avril, de Raja Amari, 1998. Cette grande actrice et femme de théâtre tunisienne est morte le 04 avril 2017, NDLR].
Ensuite, les difficultés étaient le secteur lui-même, il faut programmer des films indépendants, d'art et essai qu'on ne trouve pas dans les boutiques DVD ou sur internet, autour desquels on voulait faire des débats. Mais ces films n'étaient pas disponibles en Tunisie. Dans notre pays, on ne trouve pas de distributeurs spécialisés, peut-être un ou deux, pas vraiment actifs et même quelques-uns ont arrêté la distribution. Nous, on a rencontré le manque des films, de communication.

Ce projet est-il, au début, le noyau d'une idée théâtrale conçue par Moncef Sayem et Mme Raja Ben Ammar ?
Lorsqu'on a commencé à chercher des lieux presque prêts pour accueillir le cinéma, on est venu voir Mad'art et son équipe. En même temps, on les connaissait un peu parce que j'ai travaillé en tant qu'assistant et j'ai même travaillé sur une pièce de théâtre intitulée Hob Story qui était conçue ici à Mad'art. Donc, on savait dans quel état d'esprit ils étaient. En venant voir la salle, on était convaincu et on pouvait convaincre. On savait qu'il y a de l'espace pour les activités à Mad'art, et la salle n'était pas occupée tout le temps. Le spectacle de théâtre n'était pas toutes les semaines, tous les jours, toute l'année, etc. Donc il y a un espace pour notre projet.
On a expliqué notre projet à l'équipe de Mad'art et on était sur la longueur d'onde, le choix des films, la manière de voir les choses. Ils ont été absolument séduits par le projet et ils nous ont complètement encouragés. Ils nous aident toujours. La veille de sa mort [le 04 avril 2017, ndlr], Raja nous a encouragés. Quant à Moncef, il est aussi à notre côté, jusqu'à maintenant. Heureusement, c'est grâce à leur soutien que le travail et le projet ont été développés.

L'organisation du travail au ciné Mad'art


Quel est le nombre des films projetés par semaine dans votre salle de cinéma ?
Le nombre dépend des saisons. Généralement, la saison commence de septembre à juin. On fait plein des séances : de trois à quatre séances par jour. Il y a différentes sortes de programmation. On a une programmation "commerciale" c'est-à-dire les sorties des films. Tous les jours, un film sort. On fait entre vingt et vingt-cinq films par an.
On a le Ciné-Club : Ciné-Fice était le noyau et on l'a repris ici, tous les mardis à 19h 30, de septembre à mai, avec Ikbal Zalila, professeur de cinéma. C'est lui qui anime les débats et organise la programmation.
De plus, on a tout ce qui est événements qu'on organise nous-mêmes ou qu'on accueille. Par exemple, on accueille les JCC, parfois on accueille les Journées du cinéma européen. On a une programmation riche.

Comment effectuez- vous la distribution, au niveau des villes de la Tunisie ?
En parlant du volet distribution, lorsqu'on prend un film, on le prend pour tout le territoire tunisien, que ce soit un film tunisien ou un film étranger. Hakka distribution est notre société de distribution. Cette société est spécialisée dans le cinéma d'art et essai, le cinéma indépendant et tunisien surtout. On travaille sur la décentralisation ; dès le premier film qu'on a sorti : Bastardo de Néjib Belkadhi. Nous diffusons chaque film dans tout le pays : Djerba, Bizerte, Sousse et même dans les petites villes. La tâche s'améliore lentement et on arrive aux maisons de la culture, les théâtres municipaux, qu'on appelle le circuit alternatif. Heureusement, dans des villes comme Bizerte, il y a des salles ouvertes comme Majestic, Ciné-Star à Menzel Tmim et Ciné-Star à Monastir.
Dans les grandes villes comme Sfax, Gabès, Nabeul, il n'y a pas de salles de cinéma. Là-bas, on distribue les films dans les centres culturels. Il y a un public énorme pour les films.

Le deuxième exemple que je pourrais citer - qui est très important dans notre parcours - c'est Ala Hallet'Aini (As I Open My Eyes / À peine j'ouvre les yeux, de Leyla Bouzid, ndlr) en 2016. On a fait un grand coup, à la fois de communication et de culture parce qu'on a fait la première projection du film le 13 janvier 2016, dans les 23 gouvernorats, en même temps. La sortie a eu lieu simultanément à Tunis et dans 33 villes du pays.
On peut arriver à dire après cet exemple que le film tunisien est le plus rentable en Tunisie par rapport au film japonais, égyptien, etc. Il attire un grand public. Et notre travail demande ici un grand investissement pour la publicité, les médias et la communication.

Est-ce que vous travaillez avec une équipe bien définie ? Avez-vous des conseillers, des spécialistes formés en audiovisuel, aux techniques de l'image, de son, de montage, etc. ?
On a une petite équipe de cinq ou six personnes en permanence dans le groupe. L'un s'occupe de la communication, l'autre de l'administration, etc. Après, il y a d'autres tâches qui sont techniques, parfois on fait appel à des gens externes pour effectuer un travail bien déterminé : par exemple pour le montage d'une bande d'annonce d'un film.

Quels sont les éléments ou les réseaux utilisés, pour solidifier votre activité de distribution ?
Il s'agit de différentes sortes de réseaux et de partenaires. Il y a des partenaires tunisiens qui sont principalement les producteurs des films qu'on distribue, les cinéastes avec lesquels on travaille et les partenaires médiatiques aussi : la presse, les sites web et surtout les radios. Il y a aussi différentes associations très actives sur le plan culturel et cinématographique qui font parfois des actions sociales, scolaires. Ces différents réseaux nous aident à diffuser l'information. Ensuite, il y a des partenaires étrangers, ceux qu'on appelle les vendeurs internationaux, comme MK2, MC Distribution, des partenaires en Égypte comme Zawya Distribution, au Maroc aussi, etc.
Je cite aussi des réseaux associatifs comme NACE [Networking Arab Civic Education, basé à Tunis, Ndr], il y a aussi la Confédération internationale des cinémas d'art et essai (CICAE). Ces réseaux nous ont permis plein de contacts, de connexions, avec des gens, dans le monde entier, spécialisés dans le cinéma d'art et essai.

Pouvez-vous nous préciser les genres de films que vous préférez le plus, pour la progression de votre projet ?
Comme exploitant de salle et distributeur spécialisé dans le cinéma indépendant, le cinéma d'auteur et le cinéma d'art et essai, je me concentre le plus sur la diffusion de ce type des films en Tunisie. On a essayé de créer une existence pour ces genres dans notre pays. Maintenant, le travail est fixé sur l'amélioration de ce genre. Ce sont des films qui faisaient quelques dizaines d'entrées en 2014, maintenant, ils font quelques centaines d'entrées. On s'est dit que ces films-là ont besoin de nous en tant que distributeur et non pas les films à grand budget, les films américains, qui ont un poster 3D.

L'état du cinéma en Tunisie


Qu'est-ce qui pèse le plus sur la production cinématographique en Tunisie ? Un manque d'idées, de scénarios, de scripts, de sponsoring, etc. ?

La vie d'un film c'est : idée, scénario, développement, tournage, montage, post- production, festival, salle de cinéma, critique, TV, DVD, etc. En Tunisie, on a des problèmes au début (au niveau du scénario) et à la fin (au niveau de la diffusion et de la critique). On n'a pas des spécialistes de scénarios, des critiques, etc.

Pensez -vous que le cinéma de notre pays souffre-t-il de l'absence total de critiques ? De nos jours, on n'a plus aucune revue spécialisée de cinéma.
Malheureusement, en Tunisie et au niveau du secteur de cinéma, comme la distribution n'est pas très développée, la production n'est pas très développée et la critique n'est pas très développée. C'est un circuit lié et la critique fait partie de ce circuit du cinéma. Mais, malheureusement, aujourd'hui, pour faire progresser le cinéma, que ce soit les cinéastes tunisiens eux-mêmes qui font des films, que ce soit pour les Tunisiens ; ils ont besoin des avis de ce public. Mais ce type de critique reste incitatif et n'ouvre pas les idées aux grands débats. La critique à proprement dit n'existe qu'à l'étranger : en France, en Italie, etc. Mais, on a besoin de la critique de Tunisiens.
Le journaliste pose la question concernant les solutions. Le distributeur essaye d'expliquer en disant : " Il y a des initiatives". On peut citer l'association d'Insaf Machta qui travaille sur un programme Ichitna ("Vie commune") où elle fait souvent des ateliers, des films, des débats. Mais, de toute façon ça reste des initiatives qui manquent de moyens.
Pour développer la critique de cinéma, il faut avoir des travaux et des associations à l'échelle nationale.

Le cinéma tunisien, l'état politique et social du pays


Après la Révolution 2011, on est débarrassé de grands tabous, mais on a perdu la sécurité. Nous pensons surtout à l'affaire de la salle Afric'art (incendiée) et l'affiche du film La Sidi la Rabi ["Ni Dieu ni maître", renommé "Laïcité inchallah" de Nadia El Fani], en 1991.
Au centre-ville de Tunis par exemple, et à cause de l'absence de sécurité, les gens n'osent pas sortir la nuit après 20h, sauf les jours de JCC et le mois de ramadan. Tout au long de l'année, les rues du centre-ville initialement marquent une absence totale de la sécurité.

Une affiche de films peut avoir des conséquences. On peut arriver à diffuser le message avec intelligence et toucher un public large. En faisant une affiche portant les termes "La Sidi la Rabi" ["Ni Maître ni Dieu", en arabe, NDLR], le film Laïcité inchallah a donné un prétexte aux Salafistes qui ont incendié la salle de cinéma AfricArt.
La faute ne provient pas de la cinéaste, à mon avis la faute est du fait de ceux qui l'ont agressée. Néanmoins, les hommes de culture devraient être plus raisonnables que les fanatiques. Il y a différentes formes d'expressions et on peut toujours trouver des méthodes pour passer les idées sans être attaqué par les extrémistes.

La problématique du cinéma tunisien se base-t-elle sur l'imaginaire ou sur le quotidien du public ?
Actuellement, la plupart des films tunisiens sont tous ancrés dans la réalité sociale, politique et quotidienne du pays. Surtout les films de ces dernières années, qui ont un succès, qui ont fait plus d'entrées et qui ont touché le public, sont des films qui traitent de la vie réelle du Tunisien. Nhebbek Hedi [Hédi - Un vent de liberté, de Mohamed Ben Attia, 2016] raconte l'histoire d'un salarié, Ala Kaf Afrit [La Belle et la Meute, de Kaouther Ben Hania, 2017] où Mériem le personnage principal était une jeune femme anonyme faisant partie de la société. Les films tunisiens se basent le plus sur les histoires de famille, les rencontres humaines, la politique aussi.

Est-ce que nous pouvons connaitre les raisons qui ont poussé les producteurs étrangers à choisir et préférer le Maroc pour leur tournage ?
Oui, c'est une grande question. Même les grands producteurs et le ministère n'arrivent pas à résoudre ce problème. En fait, ils disent qu'il y a un problème de sécurité. Ils vont ramener des équipes étrangères, des matériels, des stars, en Tunisie. Pour faire tout ça, il faut une assurance et l'assurance ne couvre pas la situation instable. Et comme les paysages en Tunisie rassemblent à ceux au Maroc (qui offre des conditions plus favorables et la sécurité), les producteurs du monde préfèrent de tourner leur film là-bas. Il y a des mécanismes qui sont mis en place par plusieurs pays comme Malte ; ils proposent des avantages au niveau de la douane, des hôtels pour que les gens viennent tourner chez eux. Ils savent que lorsqu'ils tournent chez eux, il s'agit de la promotion et de la publicité.

Comment vous voyez l'avenir du cinéma en Tunisie ?
Je suis optimiste. On peut faire des choses et on peut réussir. Au ciné Mad'art, on a commencé de rien. On était des étudiants, on a créé un projet et on est arrivé à toucher un but et on continue. Nous sommes passionnés par notre travail. J'étais un assistant à Mad'art et maintenant, avec Monsieur Moncef, je m'implique dans la direction de l'espace Mad'art.

Le cinéma est une industrie...
Oui, le cinéma est l'un des secteurs d'industrie. En Tunisie, il ne l'est pas encore, mais on peut y arriver.

Quels sont les points forts d'un film pour être primé, vu la réussite de Challat de Kaouther Ben Hania ou Hédi de Mohamed Ben Attia ?
Je pense qu'il n'y a pas de recette et des ingrédients. Il y a des ingrédients commerciaux pour que le film marche. Les acteurs qui jouent, le sujet, la mode, le traitement, la communication, l'image qu'on donne du film avant même le voir, les techniques de scénarios, sont tous des points forts qui assurent l'importance de chaque travail du cinéma. Hédi est le premier film tunisien à avoir l'Ours d'Or à Venise. Challat de Tunis est fait à partir d'une histoire réelle. Il faut mettre une stratégie et savoir bien conjuguer tous les éléments constituant un film.







Les projets de Ciné Mad'art


Quelles sont vos prochaines préparations, vos projets, après cette réussite distinguée ?
J'essaye de continuer la réussite. Le projet c'est de réussir les prochaines sorties. Cette saison, on a des grands films : Fi Inayya [Regarde-moi] de Nejib Belkadhi, (sortie le 11 septembre 2018, sélectionné au festival de Toronto et Los Angeles), Hédii (sorti le 26 septembre 2018), Dachra d'Abdel Halim Bouchnak dont c'est le premier film et qui a été sélectionné au festival de Venise en Avant-première. On a aussi des films internationaux : films palestiniens, algériens, etc.

par Rachid Hasni et Kawther Mansouri

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